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Le 12 mars 2015, la Ministre de l’E­du­ca­tion Natio­nale a pré­sen­té son pro­jet de réforme du col­lège au Conseil Supé­rieur de l’E­du­ca­tion. Ce pro­jet acte la sup­pres­sion des classes bilingues en 6e.

Tous les élèves com­men­ce­ront une deuxième langue en 5e, et n’au­ront plus la pos­si­bi­li­té de l’ap­prendre dès la 6e dans ces classes bilangues. En 5e, cette deuxième langue vivante sera ensei­gnée pen­dant… deux heures par semaine.

Alors qu’en Alsace par­ti­cu­liè­re­ment, des classes bilingues se sont déve­lop­pées dans le pri­maire, il est déjà dif­fi­cile pour les parents de trou­ver un col­lège qui per­met aux enfants de conti­nuer à fré­quen­ter une classe bilingue. Et très sou­vent c’est le pri­vé qui répond à leur demande, dépeu­plant encore un peu plus l’école publique.

Qui peut sérieu­se­ment sou­te­nir qu’on appren­dra l’al­le­mand en deux heures par semaine?

L’al­le­mand est une langue exi­geante, qui néces­site plus de temps d’ap­pren­tis­sage que l’an­glais. En com­men­çant en 6e, les col­lé­giens avaient plus de chance de la maî­tri­ser en arri­vant en Ter­mi­nale. Mais il est aus­si plus facile qu’on ne le pense : logique, l’al­le­mand se pro­nonce comme il s’é­crit. Les mots et les phrases se construisent et s’emboîtent comme un jeu de cubes. For­ma­teur, il faci­lite l’ap­pren­tis­sage des autres langues, notam­ment l’an­glais dont il est proche. Mais éga­le­ment toutes les langues anglo-saxonnes du nord de l’Europe.

Et par­ler la langue de Goethe per­met l’ac­cès à de grands auteurs, phi­lo­sophes, scien­ti­fiques et musi­ciens ; c’est la décou­verte d’une culture d’une extrême richesse qui invente son ave­nir en pui­sant dans son histoire

L’Ambassade d’Allemagne s’inquiète

Il n’est pas inutile de rap­pe­ler ici que le land de Sarre d’i­ci à 2043 – le temps de for­mer une géné­ra­tion -, tous les Sar­rois devront être bilingues et maî­tri­ser le fran­çais et l’allemand au même niveau. Pour ins­tau­rer un bilin­guisme, les nou­velles géné­ra­tions seront fami­lia­ri­sées avec le fran­çais dès le plus jeune âge: dans plus de la moi­tié des Kin­der­gar­ten («jar­dins d’en­fants») de la Sarre, des inter­ve­nants fran­co­phones seront char­gés d’i­ni­tier les enfants à la langue fran­çaise. Le fran­çais devrait ensuite être ensei­gné à l’é­cole pri­maire dès la pre­mière année. Plu­sieurs classes bilingues seront éga­le­ment créées.

Le Land veut éga­le­ment faire de la maî­trise de la langue fran­çaise un cri­tère d’embauche dans ses admi­nis­tra­tions, et cer­tains postes pour­raient même être réser­vés à des employés français.

La France fait de toute évi­dence la démarche contraire… Peut-être sommes nous plus intel­li­gents que tous les autres ? Pour­tant, selon la Com­mis­sion euro­péenne, les jeunes fran­çais affichent un très faible niveau en langue à la fin de leur sco­la­ri­té. Seuls 14% des lycéens mai­trisent bien une pre­mière langue (l’an­glais), et 11% seule­ment une deuxième langue.

Suzanne Wasum-Rai­ner, ambas­sa­drice d’Allemagne à Paris  a fait part de son inquié­tude de voir le nombre d’é­lèves appre­nant l’al­le­mand recu­ler for­te­ment, avec la sup­pres­sion des classes bilangues et des sec­tions euro­péennes. «Ce pro­jet de réforme risque à nos yeux d’af­fai­blir la dyna­mique de nos accords et pro­jets bilatéraux ».

Depuis le trai­té de l’É­ly­sée en 1963, la France et l’Al­le­magne se sont enga­gées à sou­te­nir la langue de l’autre, dans une stra­té­gie de «don­nant-don­nant», esti­mant que son appren­tis­sage était cru­cial pour conso­li­der notre rap­pro­che­ment. Les classes bilangues ont été créées en France en 2004 pour relan­cer la langue alle­mande, car elle dépé­ris­sait depuis les années 1990.

L’al­le­mand a été sau­vé grâce à cette volon­té poli­tique: 11,7 % des élèves, soit plus d’un mil­lion de jeunes Fran­çais l’é­tu­dient aujourd’­hui de l’é­cole mater­nelle à la ter­mi­nale, un chiffre enfin stable. Les parents sont ras­su­rés parce que les élèves n’ont plus à choi­sir entre les deux langues au détri­ment de l’an­glais, jugé incon­tour­nable. Certes, le dis­po­si­tif attire sur­tout les bons élèves… qui affichent des résul­tats sco­laires meilleurs que ceux de leurs petits camarades.

Eli­tisme ou mixi­té sociale ?

Comme le relève un rap­port de l’Ins­pec­tion géné­rale de décembre 2014 sur les classes bilangues, «les caté­go­ries sociales favo­ri­sées y sont sur­re­pré­sen­tées» mais elles pré­servent néan­moins «une forme de mixi­té sociale dans les éta­blis­se­ments les moins favorisés».

La ministre Najat Val­laud-Bel­ka­cem affirme que ces classes sont sur­tout réser­vées à une élite et qu’une deuxième langue vivante «pour tous» avan­cée en classe de cin­quième au lieu de la classe de qua­trième sera plus éga­li­taire. Reste qu’au­jourd’­hui, un jeune Fran­çais ne choi­sit que rare­ment d’ap­prendre une pre­mière langue vivante autre que l’an­glais en classe de sixième. Et lors­qu’il prend une deuxième langue, en qua­trième, il se décide très majo­ri­tai­re­ment pour l’es­pa­gnol, répu­té plus facile.

Régis Debray : « La réforme du col­lège, un pro­gres­sisme pour les nuls »

Le phi­lo­sophe Régis Debray ne déco­lère pas : son ire est moti­vée par le fait qu’à la ren­trée 2016, les langues anciennes, latin et grec, ne seront plus une option, mais ensei­gnées via un Ensei­gne­ment pra­tique inter­dis­ci­pli­naire (EPI) Langues et culture de l’Antiquité et un « ensei­gne­ment de complément ».

Les argu­ments de Régis Debray sont per­cu­tants. Ils mettent en exergue les vraies rai­sons de cette réforme qui va affai­blir dan­ge­reu­se­ment l’apprentissage des langues et pour­quoi l’allemand, les langues régio­nales et les langues mortes sont les vic­times d’un double objec­tif : assu­mer les réduc­tions bud­gé­taires et le recul des moyens mis à dis­po­si­tion de l’éducation natio­nale et favo­ri­ser un ensei­gne­ment « uti­li­taire » au détri­ment de « l’art de for­mer les hommes » comme le récla­mait déjà en son temps Rous­seau. Autre­ment dit, que l’éducation consiste en l’acquisition de savoirs qui sont indis­pen­sables pour construire l’autonomie d’une per­sonne et pour en faire un membre réflexif et cri­tique d’une société.

Régis Debray : « L’é­li­mi­na­tion mal camou­flée du latin-grec, noyé dans ‘l’in­ter­dis­ci­pli­naire’, oublie le fait que le secon­daire, c’est d’a­bord la dis­ci­pline. L’in­ter­dis­ci­pli­naire ne peut venir qu’a­près, dans le supé­rieur : mettre le toit avant les fon­da­tions, c’est détruire d’a­vance la mai­son. Cette fausse réforme applique au domaine sco­laire la vision du monde de notre classe diri­geante. Elle est dépour­vue de conscience his­to­rique, éle­vée dans la super­sti­tion de l’é­co­no­mie et des finances, vouée au culte exclu­sif du chiffre et du quan­ti­ta­tif. Les réduc­teurs de têtes vise­ront ensuite la lit­té­ra­ture et le fran­çais, patois folk­lo­rique – le tout-éco­no­mie va avec le tout-anglais –, et l’his­toire sera réduite à la por­tion congrue. M. Mos­co­vi­ci com­mu­nique déjà par lettres en anglais avec M. Sapin. (…) La sup­pres­sion de l’en­sei­gne­ment des langues anciennes entraîne la for­ma­tion de géné­ra­tions sage­ment confor­mistes, le nez col­lé au Dow Jones ». Tout est dit…

Michel Mul­ler

Marie-Jeanne Ver­ny, cose­cré­taire de la FELCO (Fédé­ra­tion des Ensei­gnants de la langue et de la culture d’oc) qui avaient ani­mé une soi­rée-débat d’IPCD sur les langues régio­nales à Mul­house il y a quelques mois, lancent une péti­tion pour la prise en compte de leur ensei­gne­ment au collège.

http://www.petitionpublique.fr/?pi=P2015N47607