Jean Rottner demande à François Hollande de “lutter contre l’immigration clandestine” et “la mise en place d’un vrai droit d’asile”.
Dans une tribune libre adressée au Chef de l’Etat et reprise par le magazine «Valeurs actuelles» (22 septembre) le maire de Mulhouse livre son analyse sur la situation de Mulhouse et la question migratoire.
Oui, comme il l’écrit, la “crise dite des migrants” et le “véritable exode” qui en résulte déstabilisent le Moyen Orient et nous sommes “en temps de tristesse et de guerre”.
Oui, le Président de la République prend des engagements pour l’accueil de ces migrants “par procuration” puisque ce seraient “les communes qui auraient à organiser dans la durée cet accueil”.
Monsieur le maire insiste par ailleurs sur l’effort budgétaire déjà consenti par les communes pour répondre aux coûts induits par ces arrivées de migrants (logement, scolarisation, accès aux soins….) et affirme que sa ville serait malgré tout prête à prendre sa “juste place dans l’effort de solidarité nécessaire”.
Il insiste également sur le classement de Mulhouse, “la plus pauvre des villes de plus de 100.000 habitants” – ce qui est une lecture très orientée des données statistiques disponibles, même si les classements divers ne sont pas à l’avantage de Mulhouse – et suggére, “pour éviter ce nouveau fardeau”, de “stopper ce dévoiement perpétuel du droit d’asile” qui résulterait de l’acceptation de ceux qui ne “répondent pas aux critères”.
Rappelons à Monsieur Rottner quelques vérités
Comme il l’indique sa ville concentre en effet la moitié des places d’accueil de tout le département, en particulier par le dispositif d’hébergement des arrivants (CADA.)….mais n’en assume pas le coût qui est à la charge de l’Etat (en outre ce dispositif génère localement plus d’une centaine d’emplois permanents).
Par ailleurs la quasi inexistence de subventions municipales aux associations de tous types qui suppléent, elles, aux obligations d’un Etat défaillant est aisément vérifiable.
Quant à la contribution évoquée de Mulhouse à “la mise en oeuvre d’un abri de nuit l’an passé pour prêtrer main forte à l’Etat”, elle n’est intervenue l’hiver dernier qu’après que Monsieur Rottner ait nié fort longtemps la réalité des dizaines de familles dormant dans les parcs et squats de Mulhouses, pour des périodes de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, en l’attente de la prise en compte de leur dossier par les services préfectoraux (encore a-t-il fallu pour cela la condamnation de la République par le juge administratif de Strasbourg à la suite d’instances engagées par des associations locales).
Le coût final de cette action abri de nuit (quelques locaux désaffectés mis à la disposition de quelques familles pour quelques semaines) a-t-il obéré le budget municipal à ce point? A-t-il conduit à augmenter la charge de la dette ou les impôts municipaux?
Enfin et surtout Monsieur Rottner fait appel à la notion de “migrants économiques” qui n’auraient que le droit d’être reconduits à la frontière et qui ne seraient pas dignes du même intérêt que ceux qui “risquent leur vie”.
Si cette cette dernière formule vise les réfugiés fuyant des situations de guerre, rappelons que les demandeurs d’asile présents à Mulhouse sont très majoritairement venus de pays des Balkans dont la situation anarchique et les économies mafieuses résultent justement de conflits armés dont les conséquences continuent de se faire sentir.
La qualification de “rescapés” proposée récemment par des autorités religieuses paraît plus adaptée à des situations où on ne peut sérieusement faire des distinctions entre ceux qui ont échappé à la noyade, à l’étouffement, à la guerre présente ou latente, à la mort lente dans la misère et ceux qui seraient venus faire tranquillement du tourisme économique.
Quand M. Rottner traite les personnes comme de la marchandise
Monsieur Rottner propose par ailleurs d’intensifier les procédures d’expulsion et de restaurer le droit d’asile véritable avec la formule choc “pour dix immigrés reconduits à la frontière nous pourrons alors offrir à deux réfugiés une chance de s’intégrer dans de bonnes conditions, sans donner le sentiment de léser nos compatriotes auxquels tant de générosité est parfois refusée”.
Outre qu’il ne s’agit pas ici d’une braderie ou d’une campagne publicitaire, Monsieur Rottner devrait employer des formule moins ouvertement contraires aux engagements internationaux et à la législation de notre Pays: le droit d’asile est encadré par des conventions internationales et des textes européens; il a valeur constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel; il est mis en œuvre sous contrôle du juge administratif et après une première phase d’instruction des dossiers par une service d’Etat spécialisé(l’OFPRA).
Il ne s’agit donc pas (pas encore?) de refouler et d’expulser sans aucune garantie légale, ni de faire son choix comme sur un marché aux bestiaux!
Il ne s’agit dons pas, Monsieur le maire, de demander “beaucoup à Mulhouse”, qui fait en réalité si peu, ni de demander aux communes de “faire leur devoir quand l’Etat démissionne” – ce qui est vrai par ailleurs.
Il ne s’agit pas davantage de multiplier les tracasseries administratives opposées à ces malheureux – y compris par par des services qui sont les vôtres.
Il ne s’agit pas de mettre en place dans votre ville des procédures abourtissant à les priver même de tout secours alimentaire – ce qui est le cas – , au motif qu’ils seraient des “déboutés du droit d’asile”, formule qui évacue rapidement les voies légales dont disposent encore souvent ces personnes, à des stades de procédures très variables.
Il s’agit simplement de s’inscrire résolument et complètement dans une légalité existante, d’essayer de comprendre un phénomène majeur pour nos pays qui dure et durera, à ne pas chercher à se défausser du mistigri au détriment de l’autre, au prix de quelques petits mensonges, de raisonnements spécieux, d’une ignorance certaine des réalités humaines, juridiques, géopolitiques… et pour des raisons politiciennes évidentes.
Comme le dit si bien Monsieur Rottner en conclusion de sa lettre nous sommes “à un tournant de notre Histoire” et “la crise des migrants, le calvaire enduré par ces femmes et ces enfants jetés sur des routes souvent hostiles, appellent des mesures fortes”.
A la recherche des voix du FN… comme Mme Morano ?
Membre éminent d’un parti qui s’appelle “Les Républicains, le maire de Mulhouse pourrait se rappeler les valeurs fondamentales de la République, des Traités internationaux signés par la France, comme la Convention de Genève, l’existence de directives européennes sur les conditions d’accueil de ces personnes, sans oublier le respect dû aux décisions de notre justice.
A tout le moins il pourrait s’inscrire dans les élans de générosité qui se développent chez nombre de ses administrés pour accueillir, loger, aider dans les maquis administratifs et juridiques et lutter contre les rejets “politiques ” de principe, comme le sien.
Il semble préférer les grossiers amalgames entre ceux qu’il nomme “migrants économiques”, “faux demandeurs d’asile”, “réfugiés”, pour décider, à la place des institutions et tribunaux compétents, que la France “accueille des demandeurs d’asile qui ne répondent pas aux critères”.
“En tant qu’homme, en tant que médecin, je ne peux fermer ma porte” déclare-t-il dans cette tribune libre.
Il aurait pu se dispenser d’en écrire le reste.
Christian Rubechi
Djamila Sonzogni répond à Jean ROTTNER
Monsieur le Maire, vous êtes plus conservateur que le Pape François et comme il le dit si bien il ne s’agit pas de réfugiés, ni de migrants, mais de rescapés !
Au moment où des millions d’hommes, de femmes et d’enfants fuient au risque d’y laisser leur vie, votre appel est tout simplement indécent !
Alors qu’il s’agit pour la France de ne recueillir qu’une infime partie d’entre eux, oser faire un tri entre bons et mauvais réfugiés est tout simplement immoral ou politicien.
Le Pape François lui-même appelle à repenser le droit d’asile, mais d’une façon bien moins conservatrice que la votre. D’ailleurs, il ne parle pas de réfugiés mais de rescapés, refusant la différence entre ceux qui fuient la violence et ceux qui fuient la faim.
Il s’agit pour la France d’accueillir 24 000 personnes alors que l’Allemagne n’hésite pas à s’engager pour 800 000 personnes.
Ceux qui arrivent jusqu’en Europe sont une infime partie des désespérés, les autres trouvant refuge dans des pays bien plus pauvres que le notre comme en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Grèce, en Italie… sans oublier tous ceux qui restent sur place et ce sont les plus nombreux.
En ce qui concerne Mulhouse, oui, monsieur le maire, Mulhouse accueille déjà la plupart des demandeurs d’asile et autres sans papiers et même les logements sociaux du département. Mais en tant que maire de la ville centre, vice-président de la M2A, qu’avez-vous entrepris avec Monsieur Bockel, élu mulhousien et président de la M2A, pour travailler à une meilleure répartition des Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile – Ndlr) et autres centres d’hébergement, des refuges pour l’hiver, des logements sociaux ?
Oui, l’Etat doit soutenir les communes qui accueillent des réfugiés et à Mulhouse nous pouvons y arriver sans faire de tri. Nous devons évaluer les moyens que nous avons et nous engager sur un nombre de familles.
Nous n’avons pas le choix, ou plutôt nous n’avons qu’un seul choix, celui de la solidarité car ces rescapés politiques, climatiques, économiques ne reculent plus même devant la mort pour venir chez nous. Alors autant les accueillir de façon responsable plutôt que de grossir le rang des clandestins. C’est le seul moyen de leur garantir une bonne intégration qui sera bénéfique pour les accueillants et les accueillis.
Il ne faudrait pas oublier non plus notre responsabilité dans ce chaos qui fait que de plus en plus de personnes fuient leur pays : colonisation, néo-colonisation, interventions pas toujours très pertinentes dans les conflits, dérèglements climatiques provoqués par nos multinationales…
Enfin tant que l’Europe se voudra une Europe forteresse où toutes les portes et les fenêtres seront fermées nous irons à l’échec.
Il faut remettre plus de souplesse dans la liberté de circulation afin que les personnes ne se sentent pas acculées à rester quelles que soient leurs conditions de vie.
J’attends de vous monsieur le maire, que vous persuadiez Nicolas Sarkozy et Les Républicains, comme les écologistes ne cessent de le dire, d’arriver à une politique commune européenne sur les migrants, sur les réfugiés qui aille vers un alignement des droits par le haut et non pas le bas.
On ne vous demande pas, M. le maire de tout prendre en charge mais au moins de soutenir avec les moyens que nous pouvons mettre à disposition (qui ne sont pas que financiers) les citoyens qui veulent faire quelque chose, les associations (dont URGENCE WELCOME citée en exemple au niveau national) qui travaillent pour aider ses rescapés politiques, climatiques, économiques sans soutien depuis tellement de temps.
Notre devoir d’élus est de travailler avec toutes ces volontés en mettant à leur service les moyens logistiques de la ville, pour accueillir ces personnes qui fuient la violence et la misère.
Djamila SONZOGNI
Conseillère municipale de Mulhouse
Conseillère régionale EELV