Attaché au Centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT UR 3436), un laboratoire de l’université de Haute-Alsace de Mulhouse, Teva Meyer est géographe et maitre de conférence en géographie et géopolitique.
Il a récemment réalisé d’excellentes cartes stratifiant le territoire mulhousien en fonction des suffrages alloués aux principaux candidats lors de l’élection présidentielle de 2022.
Nous nous sommes appuyés sur celles-ci afin de réaliser un petit commentaire politique circonstancié sur les principaux candidats qui se trouvaient en lice.
Comme on le constate dans les deux cartes réalisées en 2013 par l’agence urbaine de la région mulhousienne ‑AURM- (mais qui conservent cependant leur actualité en ce jour), la ville de Mulhouse a pour singularité, liée à son histoire industrielle et sociale, de concentrer à la fois une forte population ouvrière… laquelle est, également, la plus paupérisée de toute l’agglomération.
Au niveau national, Zemmour réunit 7,05% des suffrages exprimés. Avec des pointes supérieures dans la France de l’Est.
Les zones de force régionales sont typiques du FN originel des années 80 : le pourtour méditerranéen, la région lyonnaise, l’Île-de-France et à un niveau moindre la Lorraine, l’Alsace et la Bourgogne.
Le nationalisme ethnique et la vision paranoïde d’un supposé « grand remplacement » de populations par des « hordes immigrées » a porté d’abord auprès de la droite nationaliste, des catholiques traditionalistes et autres chrétiens fondamentalistes, ainsi que de quelques capitaines d’industrie qui leur sont proches.
S’ils ont plébiscité le candidat Zemmour, c’est en se délestant manifestement de la candidate LR, dont le parti est l’attributaire usuel de leurs suffrages.
Quoi qu’il en soit, à Mulhouse, le vote Zemmour est un modèle caricatural de vote de classe : les bataillons les plus zélés du bloc grand bourgeois, surplombant la ville depuis la colline du Rebberg, jusqu’au parterre du centre historique, avec même une incursion au sein du quartier Haut-Poirier, se sont empressés de lui faire allégeance, bien relative, toutefois, avec 8 à 12% des suffrages exprimés.
Contrairement à ce que l’on a pu entendre en divers endroits, le vote Le Pen ne se calque en rien sur le vote Zemmour. Il lui est même symétriquement opposé.
Il s’agit d’un vote sociologiquement populaire, contrairement à celui en faveur de l’ex-journaliste du Figaro.
En France, il couvre le littoral méditerranéen et la France industrielle du Nord et de l’Est, dans laquelle la famille Le Pen s’est ancrée depuis la fin des années 80.
C’est également un vote de la France périphérique, où l’on retrouve des classes populaires, notamment ouvrières, autrefois présentes dans les centres urbains dont elles ont été chassées, ou dont elle se sont chassées, pour diverses raisons (sentiment d’insécurité, prix de l’immobilier, présence immigrée trop manifeste, gentrification…).
A Mulhouse, les mêmes bourgeois du Rebberg ne s’y reconnaissent d’ailleurs pas (entre 7,5 et 13% toutefois), tandis que les quartiers excentrés (Drouot, Bourtzwiller-Nord, limitrophes des villes de Rixheim, Illzach et Kingersheim, (perçus à tort ou à raison comme plus socialement favorisés), ainsi que Wolf-Wagner, objet de fantasmes religieux depuis l’implantation de la grande mosquée An-Nour, ou encore le quartier de la Cité, constitué d’habitats individualisés populaires, font le plein de suffrages lepenistes (entre 22 et 29% des exprimés).
C’en est frappant : les électeurs LREM et EELV occupent, peu ou prou, les mêmes quartiers mulhousiens. C’est à dire principalement le Rebberg, Dornach et le centre-ville historique. Bien sûr, les suffrages entre les deux partis ne sont pas comparables en volume. Quand Macron atteint 48% à son meilleur, c’est 10% seulement pour Jadot.
Il n’empêche que s’il n’est pas surprenant que les macronistes ne se préoccupent guère des secteurs urbains principalement populaires, comme en témoigne le faible niveau d’adhésion atteint dans le quartier des Coteaux ou à Bourtzwiller, il est bien plus problématique que les écologistes ne sachent vraiment pas mieux faire…
Le fait n’est pourtant pas pour étonner. Le tropisme libre-échangiste européen unit les deux électorats. Et aucun parmi ceux-ci n’envisage d’en réviser les contours, options budgétaires ou encore prérogatives.
Comme souvent, la partie sociale du programme écologiste lorgne du coté du centre-gauche, en dépit de mesures favorables aux salariés. Peut-être le prix à payer pour s’offrir un brevet de respectabilité. Le candidat Jadot faisant en effet valoir une « écologie de gouvernement ».
A la formule « l’écologie sans lutte des classes, c’est le jardinage » des altermondialistes, Jadot a cru devoir retricoter la sienne en « L’écologie, c’est le jardinage et la justice sociale ».
Espérer gauchiser son discours quand on est perçu comme un centriste de l’écologie (positionnement qui est déjà celui de plusieurs candidats hors EELV) n’aura donc pas été fécond politiquement. Encore moins pour espérer se constituer une base populaire.
Cette carte illustre nettement l’adhésion des quartiers populaires à l’offre politique proposée par Mélenchon.
Mulhouse n’échappant pas à la règle réitérée dans les grandes villes métropolitaines et outre-marines, ce qui relève d’une performance assez étonnante, dans une ville où 80% des électeurs, issus des mêmes quartiers, ne se sont pas déplacés lors des élections municipales de 2020.
Les Coteaux et Bourtzwiller, tout particulièrement, mais aussi des quartiers du coeur de ville, ont souscrit à plus de 50%, voire 60% dans certains bureaux de vote, à la candidature de Jean-Luc Mélenchon.
Le rapport de classe se traduisant inversement par une désertion, relative, (on compte quand même entre 8 et 27% de suffrages pour l’Union populaire), des électeurs des quartiers Rebberg, Dornach, gare centrale et centre historique.
Le pari de rallier la faveur des quartiers populaires et de nombreux électeurs diplômés désireux de changer la donne politique est réussi. Mais il est peu concluant sur un électorat constitué d’employés habitant des conurbations situées autour des grands pôles urbains, resté quant à lui fidèle au RN.
Difficile de faire plus parlant que la carte du vote LR à Mulhouse. Le parti de la majorité municipale est devenu un objet politique non identifiable, dans une ville dont le parti présidentiel, et Zemmour, ont phagocyté et rallié la bourgeoisie de manière générale, une partie des retraités, et la classe moyenne supérieure.
Un électorat qui traditionnellement se tournait jadis vers la droite démocrate-chrétienne, ou libérale, d’autant qu’il était le seul à se déplacer massivement pour voter. En témoigne encore les près de 80% d’abstention aux municipales de 2020.
Il est vrai que le tableau politique en était particulièrement désolant, avec une droite qui se présentait aux électeurs en mode éparpillé façon puzzle, avec rien moins que 4 candidates issues de ses propres rangs (Michèle Lutz, maire sortante, Lara Milion, ancienne adjointe, Fatima Jenn, ancienne adjointe, et Christelle Ritz, ancienne adjointe, ayant rejoint le RN…
Cela dit, les dernières troupes de fidèles se comptent toujours et sans surprise sur la colline forteresse du Rebberg, à Dornach, autour du quartier gare et centre historique, à l’instar de l’électorat LREM, écologiste, et dans une mesure moindre de « Reconquête », le parti de Zemmour.