racisme

Les pro­pos récents de Nadine Mora­no affir­mant que la France serait « un pays de race blanche », ont relan­cé la ques­tion de la pré­sence d’un mot deve­nu fâcheux dans les textes offi­ciels de la Répu­blique. Sans doute qu’au vu des réso­nances qui ont inves­ti le terme, sa sup­pres­sion peut être sou­hai­table. Néan­moins, un petit doute est permis.

D’abord, parce que ce serait céder au détour­ne­ment de ce mot, désor­mais iné­luc­ta­ble­ment ados­sé à celui de « racisme » (ori­gi­nel­le­ment « racia­lisme »), théo­rie qui intro­duit une inéga­li­té et une hié­rar­chie de valeurs entre les groupes humains.

Ensuite, parce qu’il fau­dra bien lui sub­sti­tuer un autre, dans les for­mules du genre : « … sans dis­tinc­tion de race, de reli­gion, de croyance ». Ne pas le faire s’exposerait à légi­ti­mer une dis­cri­mi­na­tion sur la base de ce que l’on ne veut plus nom­mer. Type, groupe, peuple, eth­nie ? Rien de bien satisfaisant.

De plus, ce qui est en jeu dans l’expression uti­li­sée par Nadine Mora­no n’est pas la vali­di­té du terme « race », mais l’affirmation qu’un ter­ri­toire puisse être la « pro­prié­té », exclu­sive et de toute éter­ni­té, d’un type humain carac­té­ri­sé par la cou­leur de sa peau. Dom­mage que la France colo­nia­liste n’y ait pas pen­sé avant, ce qui nous aurait évi­té une bonne part du racisme qui sévit en France, lar­ge­ment fon­dé  sur la frus­tra­tion et l’humiliation de la perte de l’empire (répu­bli­cain !) colonial …

Il n’y a bien évi­dem­ment et fon­da­men­ta­le­ment qu’une « race » humaine, et pro­ba­ble­ment de « racine » afri­caine. Notre « blan­cheur » euro­péenne n’a rien à voir avec la pure­té que la teinte sym­bo­lise, mais avec la perte de pig­ments pro­tec­teurs deve­nus inutiles sous des lati­tudes où le soleil est moins ardent.

Mais il est indé­niable que le mot « race » a aus­si, à tort ou à rai­son, le sens de « type humain » dési­gnant les groupes aux carac­tères phy­siques com­muns ou domi­nants, dont on ne sau­rait nier la réa­li­té, ce qui n’invalide en rien l’unicité de l’espèce humaine et n’induit pas davan­tage une échelle de valeur entre les dif­fé­rents groupes.

Dans la chan­son paci­fiste de la 1ère guerre mon­diale ci-des­sous, « race » fait réfé­rence aux peuples voi­sins, ici les Alle­mands, qui ne sont dis­tincts de l’auteur ano­nyme que par la langue et la culture et nul­le­ment par des traits physiques.

En outre, s’il suf­fi­sait de sup­pri­mer le nom de ce qui dérange pour éli­mi­ner l’objet ou le concept auquel il ren­voie, pour­quoi n’en fait-on pas autant pour, par exemple et au hasard, la guerre, la pau­vre­té, la mala­die, le fascisme ?

On note­ra que le « racisme » à l’œuvre en France s’en prend davan­tage à la reli­gion – à une reli­gion (autre­fois le judaïsme, aujourd’hui l’islam) -, et la répu­blique laïque semble ne pas oublier, dans son incons­cient col­lec­tif, qu’elle a aus­si été fille aînée de l’Eglise …

Dans l’arsenal racia­liste, que nombre de pen­seurs fran­çais ont contri­bué à consti­tuer, dont Joseph Arthur Gobi­neau – il fal­lait bien trou­ver une cou­ver­ture idéo­lo­gique au colo­nia­lisme et l’esclavage – , figure aus­si l’idée for­mu­lée par Ernest Renan que les peuples sémites (conjoin­te­ment hébreux et arabes) sont infé­rieurs parce que leurs langues, voi­sines au demeu­rant, sont inca­pables d’atteindre les hau­teurs phi­lo­so­phiques et poé­tiques des langues aryennes … Tant pis pour Aver­roès et Mah­moud Darwich !

Un racisme qui se déve­loppe donc sur de toutes autres bases que la phy­sio­no­mie ou la cou­leur de peau.

L’étymologie ne nous aide pas beau­coup à mieux démê­ler le sens ori­gi­nel du mot « race ». Elles sont toutes incer­taines et hypo­thé­tiques : trois pos­si­bi­li­tés latines : ratio, cal­cul, compte, sys­tème, pro­cé­dé, gene­ra­tio (après aphé­rèses), radix, racine, souche, l’ancien fran­çais haraz, haras, éle­vage de che­vaux, l’ancien haut-alle­mand par le lom­bard rei­za, ligne, bande, l’arabe râs, ori­gine, principe.

Albert Jac­quard, que les por­teurs du pro­jet de sup­pres­sion du mot ont réqui­si­tion­né, est lui-même pru­dent : c’est à la forme inter­ro­ga­tive qu’il s’exprime : « Compte tenu des impli­ca­tions bio­lo­giques que tant d’écrits, de doc­trines et de poli­tiques ont accro­chées, de façon indé­lé­bile, au mot “race”, ne serait-il pas pru­dent de l’éliminer, comme on le fait d’un outil inutile et dangereux ? »

Autre­ment dit, c’est parce que le mot a été confis­qué qu’il fau­drait désor­mais le rayer du voca­bu­laire, au moins officiel.

Dans son « éloge de la dif­fé­rence » (nous avons cal­qué le titre de ce papier sur son ouvrage en hom­mage à sa réflexion), le géné­ti­cien exprime l’idée que la varié­té des types humains est une richesse, et dans le même temps que leur mélange est une néces­si­té pour com­battre les fai­blesses géné­tiques que les groupes peuvent déve­lop­per en demeu­rant iso­lés. Un bras­sage salu­taire (n’est-il pas vrai que les « Kìscht­la­rat­ti », les chiens bâtards, vivent plus long­temps que les chiens de race ?), tout en estom­pant de ce fait ces différences ?

Et ces dif­fé­rences, ne font-elles pas écho à la plus que sou­hai­table diver­si­té bio­lo­gique et cultu­relle, à la varié­té du vivant ? « Race » recèle d’ailleurs éga­le­ment une dimen­sion esthé­tique, qu’exprime l’adjectif déri­vé « racé ».

Maga­li Bes­sone (« Sans dis­tinc­tion de race ? Une ana­lyse cri­tique du concept de race et de ses effets pra­tiques ») se penche sur la ques­tion : « Le concept de race – et ses décli­nai­sons caté­go­rielles – a été his­to­ri­que­ment enrô­lé pour jus­ti­fier de mul­tiples formes d’injustice : dis­cri­mi­na­tion, exploi­ta­tion, oppres­sion, voire anni­hi­la­tion de groupes entiers de l’humanité. Pour lut­ter contre le racisme, il a donc pu sem­bler cohé­rent de vou­loir défi­ni­ti­ve­ment dis­qua­li­fier le concept qui en consti­tue­rait le fondement.

Ce livre défend pour­tant la thèse adverse : entre­prendre de réduire les inéga­li­tés raciales exige un usage ana­ly­tique et cri­tique du concept de race. Socia­le­ment construites, les caté­go­ries raciales sont aujourd’hui à l’œuvre, de manière plus ou moins mas­quée, dans de nom­breuses pra­tiques admi­nis­tra­tives, juri­diques et poli­tiques. Ne pas les nom­mer, c’est s’interdire d’en débus­quer les effets dis­cri­mi­na­toires. Une phi­lo­so­phie poli­tique sou­cieuse de pen­ser l’injustice sociale sous toutes ses formes, met­tant sa com­pé­tence propre de cla­ri­fi­ca­tion concep­tuelle au ser­vice d’un enga­ge­ment poli­tique, se doit d’affronter la ques­tion raciale ».

La dis­qua­li­fi­ca­tion du mot « race » a évi­dem­ment beau­coup à voir avec l’utilisation qu’en a fait le nazisme, sans oublier ses antennes, notam­ment de la France de Vichy, qui fait expli­ci­te­ment réfé­rence à la « race » juive (Shlo­mo Sand, dans « Com­ment le peuple juif fut inven­té », nous explique à quel point cette notion est une fal­si­fi­ca­tion, entre­te­nue aujourd’hui par l’Etat d’Israël, qui a pous­sé le bou­chon jusqu’à enga­ger des recherches dans les années 90 sur le « gène » juif !!!)

Dans quel but ?

L’idée de race véhi­cule donc aus­si un rêve mal­sain, et celui des diri­geants israé­liens rejoint ici l’idéal nazi des centres qui avaient pour ambi­tion de fabri­quer, dans les centres de repro­duc­tion Lebens­born, des Alle­mands grands, blonds et aux yeux bleus. Para­doxes : les Pales­ti­niens sont pro­ba­ble­ment les seuls des­cen­dants des Hébreux (Ben Gou­rion et les sio­nistes de la pre­mière heure en étaient convain­cus) et la majo­ri­té des Alle­mands sont de taille moyenne, et ont les che­veux bruns ou châtains …

En marge de ces tra­giques mons­truo­si­tés, soyons sur nos gardes : même le bon­homme et débon­naire Albert Schweit­zer, prix Nobel de la paix, consi­dé­rait l’Européen comme le « grand frère » de l’Africain. Sous cou­vert de sol­li­ci­tude et d’attention à l’autre, sur­git un sub­til pater­na­lisme auto­ri­ta­riste qui se calque sur la consi­dé­ra­tion de « ses » ouvriers par le capi­taine d’industrie.

L’occasion est trop belle pour ne pas conclure avec une idée chère, en l’occurrence qu’il importe de dis­tin­guer les notions de racisme et de xéno­pho­bie, sou­vent acco­lées au point de paraître syno­nymes, ce qu’elles ne sont pas. Cela a été dit plus haut, le racisme est la croyance en une inéga­li­té des races. La xéno­pho­bie, pour sa part, est plus com­plexe : éty­mo­lo­gi­que­ment, elle est la peur de l’étranger. Peur que l’étranger ne ponc­tionne mon espace éco­no­mique, peur que la pré­ca­ri­té de son exis­tence n’en fasse un agres­seur, etc., ce qui peut sus­ci­ter de la haine, mais n’implique pas en soi un sen­ti­ment de mépris ou de supé­rio­ri­té, qui est le propre du racisme.

Il importe de faire cette nuance, parce que notre socié­té en voie de lepé­ni­sa­tion est pro­ba­ble­ment davan­tage sujette à la xéno­pho­bie qu’au racisme, ce qui est source d’espoir, car celle-là est plus facile à dis­si­per, à condi­tion d’écarter par la sécu­ri­sa­tion de l’environnement social le sen­ti­ment que « l’étranger » puisse consti­tuer une menace.

Ce n’est pas le concept de « race » qui pose pro­blème, c’est l’idée aber­rante de supré­ma­tie de l’une sur les autres.

Daniel MURINGER

En plus de la chan­son citée plus haut, j’en donne deux autres de la même période, l’une, plu­tôt sym­pa­thique, de 1917 sur les troupes colo­niales, l’autre, odieuse, de Mon­té­hus, truf­fée de cli­chés racistes (Mon­té­hus était plus ins­pi­ré quand il écri­vait « Gloire au 17è » ou « la butte rouge »)

NON, NON, PLUS DE COMBATS !

Ano­nyme

Mais voi­là qu’on nous parle de guerre,

Sous le joug venu du genre humain,

Va fal­loir gagner nos frontières

Et ris­quer la misère et la faim.

Iras-tu, selon le sort des astres,

Ris­quer ta peau ou tuer ton prochain ?

Refrain

Non, non, plus de combats!

La guerre est une boucherie.

Ici, comme là-bas,

Les hommes n’ont qu’une patrie.

Non, non, plus de combats!

La guerre fait trop de misères,

Aimons-nous, peuples d’ici-bas,

Ne nous tuons plus entre frères

 

Ouvrier tra­vaillant à l’usine,

Toi qui vis tran­quille dans ton foyer,

Pour com­battre les races voisines

Va fal­loir quit­ter ton atelier.

Iras-tu, selon le sort des astres,

Ris­quer ta peau ou tuer ton prochain ?

Refrain

Les canons, fusils, baïonnettes,

Ce ne sont pas des outils d’ouvrier,

Ils en ont, mais ceux-là sont honnêtes

Et de plus ne sont pas meurtriers.

L’a­cier d’un cou­teau de charrue

Vaut mieux que celui d’un Lebel:

L’un pro­duit tan­dis que l’autre tue,

L’un est utile et l’autre est criminel.

 

LA FUSION DES RACES

1917

Ano­nyme

Air : Hop ! Eh là ! Dis ohé ! Ohé !

 

Depuis que dans l’Nord de la France et ailleurs

S’sont am’nés des contin­gents étranges

D’Tonkinois, de Bédouins, d’Malgaches de Toucouleurs

Dans l’pays les p’tit’s femm’s sont aux anges

Ell’s ne peuv’nt s’empêcher de zyeu­ter l’pantalon

De ces noirs et lass’s des conjectures,

Lorsqu’ell’s trouv’nt un beau môme qui cherche une occasion

Leur cœur laisse opé­rer la nature.

Refrain

Ah ! l’effet qu’c’t’ Anna­mit’ me fait !

Déclare une petite femme.

Moi quand j’vois un Sénégalais

Dit une autr’ ça m’excite et m’emballe

Y a rien de mieux que l’café au lait

Mais voi­là c’qui m’chagrine

C’est qu’avec le café j’ai quéqu’fois des tartines

Hop !eh ! la ! dis ! hoé !

 

Mais vous pen­sez bien que tyous ces épanch’ments

Ne vont pas sans lais­ser quelques traces

Au bout de quelques mois naiss’nt p’tits gars charmants

Noirs et blancs : c’est la fusion des races

Le voi­là réso­lu le pro­blème insidieux

Trai­tant des cou­leurs complémentaires

C’ que vingt siècles n’avaient pu décou­vrir, c’est curieux

En neuf mois l’Amour a bien su le faire.

Refrain

Ah ! l’effet que ce môme me fait

Dit la mère, y m’emballe !

Y m’rappell’ mon Sénégalais

Quoi­qu’ pour­tant y soit un peu plus pâle

Y a rien de mieux que l’café au lait

Mais voi­là c’qui m’chagrine

C’est qu’mon mari n’voudra jamais croire à sa mine

Que c’est lui qui l’a fait !

 

Pan Pan l’Arbi, dite « Marche des Arbis » l9l4

Georges MONTÉHUS

Air : Marche des Zouaves

 

Moi suis content venir fair’ li voyage

Moi suis heu­reux venir voir beau Paris.

les ptit’s mou­kèr’s belles comm’ des images

Sentent bézef bon la poudre de riz.

Moi sen­ti­nell’ devant la capitale,

C’est très jou­li, moi y souis à I’honneur,

Moi la gueul’ noir’, mais moi pas les mains sales,

Moi, te le jour’, macach’, moi n’a pas peur.

 

Refrain

Hour­rah ! hourrah !

Moi suis bien content

Quand le canon tonne

Le clai­ron résonne.

Hour­rah ! hourrah !

Moi cours en avant,

En avant !

Fair’­couic couic aux All’mands !

Pan pan, I’Arbi,

Moi suis content voir Paris,

J’suis content, c’est bézef bonno

A cou­per cabèch aux sal’s Pruscots,

Car eux du tout pas gentils.

A pas peur, a pas peur, sidi,

Si Prus­cot venir, moi coup’ ki ki,

Moi coup’ ki lçi 1

 

Moi li sais bien, toi pas vou­lu la guerre

Toi li Fran­çais, c’est kif kif le bon Dieu.

Mais sal’ Prus­cot venir tuer pour tuer ta mère,

Comme un lion toi deve­nu furieux !

Va, n’a pas peur, la Franc’ jamais malade,

Moi li souis sûr, la Franc’ jamais mourir,

Car moi pour toi li souis bon camarade,

Si toi pas vivr’ ici, moi dois périr !

Au refrain

Vois-tu, sidi, moi li souis pas prophète,

Moi li pens’, après tous les combats,

Quand di l’Eu­rop’ la cart’ sera refaite,

Macach’ fini pour l’ métier de soldat,

En atten­dant li vient ser­vir la France ;

Grand chef a dit : c’est pour la liberté,

J’ ti donn mon sang pour son indépendance,

J’ ti donn mon cœur pour la fraternité !