Tri­bord ou babord, ils n’a­vaient donc rien com­pris, rien vu venir: manoeuvres poli­ti­ciennes et inco­hé­rences des par­tis poli­tiques se mul­ti­plient depuis les résul­tats de ce dimanche 6 novembre.

Alliances contre nature, front ou retraits répu­bli­cains choi­sis ou impo­sés par des appa­reils marquent la fin d’une époque, d’un mode de fonc­tion­ne­ment ins­ti­tu­tion­nel aux alter­nances prévisibles.
Mais le Front natio­nal est désor­mais aux portes du pou­voir et quel que soit le nombre de Régions qu’il diri­ge­ra après le second tour proche, le roi est nu et le mal est fait!

C’est que l’in­vo­ca­tion des « valeurs » répu­bli­caines  par un per­son­nel poli­tique téta­ni­sé par la vague bleue marine ne suf­fit plus à faire oublier au bon peuple ses maux deve­nus chro­niques et qui s’ag­gravent: pau­vre­té per­sis­tante, chô­mage de masse, exclu­sions géo­gra­phiques et déser­ti­fi­ca­tions ter­ri­to­riales, fer­me­tures des fron­tières, délires sécu­ri­taires et menaces sur les liber­tés publiques, aven­tu­risme mili­taire – Afgha­nis­tan, Libye Irak, Syrie, Mali – avec des alliés impro­bables et des objec­tifs illi­sibles, flux migra­toires trai­tés avec inhu­ma­ni­té car refu­sés par prin­cipe, implo­sion des ins­ti­tu­tions euro­péennes, aban­dons de pans entiers de sou­ve­rai­ne­té natio­nale, fis­ca­li­té incom­pré­hen­sible mais tou­jours com­plai­sante aux puis­sants.… et méca­no d’un redé­cou­page régio­nal effec­tué au mépris de toute  réfé­rence à l’his­toire, à la langue, à la culture, aux réa­li­tés économiques….summum d’un  grand oeuvre  tech­no­cra­ti­co – poli­ti­cien ins­pi­ré par quelques son­dages d’un jour et une volon­té affi­chée d’économies bud­gé­taires irréalistes .

Se dra­per dans le dra­peau tri­co­lore et dénon­cer à satié­té dans une logor­rhée média­tique  « les bar­bares », sur­en­ché­rir dans la guerre des civi­li­sa­tions, prendre des pos­tures et la pose inter­na­tio­nale pour pré­tendre régler les affaires du monde, du cli­mat aux alliances anti Daech, flat­ter les replis iden­ti­taires, ne suf­fit plus.

Le bon peuple pense n’avoir plus grand chose à perdre et de ses pro­fon­deurs, classes et couches sociales mêlées, des quar­tiers, des métro­poles, de la rura­li­té, monte et s’exprime la volon­té signi­fiée dimanche : assez !

Dans notre  monde qui bouge, où les repères socié­taux sont bous­cu­lés – qu’on n’oublie pas le « mariage pour tous », les nou­velles reli­gio­si­tés, la ten­dance au rejet par les nou­velles géné­ra­tions de toute « repré­sen­ta­tion » poli­tique quelle qu’elle soit, moins bien­veillante et à l’é­coute que les « amis » des réseaux sociaux; et que l’on n’ou­blie pas non plus les inéga­li­tés ver­ti­gi­neuses de reve­nus, l’affaiblissement déli­bé­ré des corps inter­mé­diaires, la « sur­di­té » des diri­geants car c’est alors  qu’ap­pa­raissent désor­mais des des­pe­ra­dos, enfants d’un entre-deux monde, d’un vide civi­li­sa­tion­nel, prêts au sui­cide pour­vu qu’ils meurent en tuant les enfants de la socié­té qu’ils rejettent.

Dans cette caco­pho­nie et devant ces impuis­sances qui durent, quoi d’é­ton­nant à ce qu’un  Front natio­nal qui  pro­met la lune et le soleil en même temps paraisse plus sédui­sant qu’un per­son­nel poli­tique et des par­tis usés jus­qu’à la corde?

Et qu’importe désor­mais si les posi­tions idéo­lo­giques de ce par­ti  devraient ser­vir de repous­soir et son pro­gramme sus­ci­ter l’inquiétude des citoyens sen­sés: les faits sont têtus disait l’autre et le vote FN ne fait que  capi­ta­li­ser espoirs déçus, rejet des dis­cours creux ou men­son­gers, vraies détresses, tout cela mis en musique sur le grand air de la peur, des « xéno­pho­bies » diverses, d’identités inventées.

Et nou­vel arbitre des élé­gances, le FN signe désor­mais la fin du bipar­tisme, du « gauche » contre « droite », d’un mode de gou­ver­nance tra­di­tion­nel dans notre socié­té débous­so­lée, et joue les fai­seurs de roi avant que d’imposer demain sa reine.

Quelles réponses ?

On ne les trou­ve­ra pas dans d’autres bri­co­lages ins­ti­tu­tion­nels ou poli­ti­ciens, dans les tri­pa­touillages des modes de scru­tin, dans des dis­cours aux mots tou­jours plus creux,  ni dans l’accumulation de textes légis­la­tifs qui sou­ligne l’impuissance des poli­ti­ciens, ni non plus dans les expres­sions humanistes,vertueuses et éphé­mères de citoyens après chaque atten­tat, chaque vio­lence aveugle, chaque scan­dale heb­do­ma­daire, pas davan­tage dans des luttes sociales iso­lées, sou­vent cor­po­ra­tistes, ni dans des « Mar­seillaise » ou des « Inter­na­tio­nale » dont les accents mobi­lisent par­fois mais pour mar­cher vers où et avec qui ?

Et le temps presse 

Tous comp­tables de l’é­chec de ces élec­tions régio­nales, nous sommes désor­mais tous res­pon­sables pour évi­ter la faillite qui menace.

Il nous faut recons­truire le Poli­tique par l’analyse, l’action au plus près des réa­li­tés vécues par ceux qui ne veulent plus et ne peuvent plus, l’échange et la confron­ta­tion des idées à la lumière des faits, la fin des man­tras et de l’invocation d’idéologies dépas­sées et inopérantes.

Il faut rééla­bo­rer un dis­cours et construire des consen­sus qui ne soient pas qu’électoraux, prendre des enga­ge­ments qui durent plus que ce que durent les roses,  pour que gou­ver­ner soit de nou­veau possible,

Pour sur­vivre notre démo­cra­tie doit d’abord être mise en actes par ses citoyens eux – mêmes : d’abord par le refus com­mun et réso­lu de l’inacceptable; il s’agit de réin­ven­ter des moyens paci­fiques de lutte civique,  dans un contexte où l’adversaire n’est pas tou­jours per­son­ni­fié (la finance? les modes de pro­duc­tion?…). Il s’agit de réin­ven­ter des démo­cra­ties directes, de proxi­mi­té, natio­nales ou inter­na­tio­nales, pour tous sujets et en res­pec­tant les volon­tés expri­mées (réfé­ren­dums d’initiative locale, péti­tions mas­sives obli­ga­toi­re­ment prises en compte, actions de boy­cott, contrôle des man­dats confiés, révo­ca­tion des élus qui ont failli, res­pect de par­ti­cu­la­rismes locaux, atten­tion aux lan­ceurs d’alerte, sou­ci de la réa­li­té des contre pou­voirs, valo­ri­sa­tion des corps intermédiaires…).

Et à ceux qui deman­de­ront : avec quelles alliances ? pour quelles prio­ri­tés ? quels contrôles ? pour quel inté­rêt géné­ral ? avec quels pou­voirs réga­liens ? quelle vision socié­tale glo­bale ?, on pour­ra répondre qu’il ne s’agit de virer ni à tri­bord ni à babord mais sim­ple­ment de prendre pour bous­sole la devise de notre Répu­blique, et non les inté­rêts des puis­sants, des oli­gar­chies, d’élus pro­fes­sion­nels, de mar­chands de mots qui ne convainquent plus.

A défaut, Front Natio­nal ou pas, le navire pour­rait bien sombrer.

Chris­tian Rubechi