Peu de com­men­taires au len­de­main des élec­tions régio­nales à pro­pos de la vic­toire de la liste auto­no­miste en Corse ! Ce n’était pour­tant pas rien : pour la pre­mière fois dans la 5e Répu­blique, des élus se récla­mant de ce cou­rant allait diri­ger une région de la France métro­po­li­taine. Mais quand le pré­sident de l’Assemblée corse (aux pou­voirs limi­tés), Jean-Guy Tala­mo­ni, indé­pen­dan­tiste (et non auto­no­miste) fait son dis­cours en langue corse, c’est le déchaî­ne­ment ! L’unité de la Répu­blique est en jeu, le Pre­mier ministre tou­jours dans le registre guer­rier qu’il affec­tionne tant décrète qu’il n’y a pas de « nation corse » et que la langue de la Répu­blique, c’est le fran­çais. Fer­mez le ban !

Pour­tant, on par­lait la langue corse bien avant que l’île ne soit fran­çaise ! En effet, c’est le 15 mai 1768 que Gênes (à qui appar­te­nait la Corse) signe une conven­tion avec la France, cédant à cette der­nière l’exer­cice de la sou­ve­rai­ne­té en Corse, moyen­nant une rente annuelle d’environ 200 000 livres tour­nois pour une durée de 10 ans . La pro­prié­té ne devint effec­tive que dix ans après.

Mais bien avant cette date, la Corse impo­sa son indé­pen­dance aux occu­pants génois. En 1762, Pas­cal Pao­li, le « géné­ral de la nation », fait adop­ter le dra­peau à la tête de Maure et crée une mon­naie. Et c’est bien en corse que s’exprime la popu­la­tion. Voi­là pour la légi­ti­mi­té… Qui n’est pas sans rap­pe­ler celle de l’alsacien chez nous.

Mais foca­li­ser le débat autour de ce dis­cours pro­non­cé dans la langue insu­laire per­met d’évacuer la vraie ques­tion qui se pose après ces élec­tions : pour­quoi ce sont les auto­no­mistes, Gilles Siméo­ni, déjà maire de Bas­tia (ville de gauche, faut-il le rap­pe­ler) qui l’ont emporté.

Indé­pen­dance et autonomie

Si effec­ti­ve­ment, la fusion des listes entre auto­no­mistes et indé­pen­dan­tistes a per­mis de rem­por­ter les élec­tions au Conseil exé­cu­tif corse qui assure la direc­tion effec­tive des affaires, l’Assemblée corse n’assument que des fonc­tions hono­ri­fiques : son pré­sident a essen­tiel­le­ment la maî­trise de l’ordre du jour des réunions ! Mais le pré­sident du Conseil exé­cu­tif est en quelque sorte un « roi » insu­laire comme le dit le com­mu­niste Domi­nique Buc­chi­ni. Faut-il pour­tant rap­pe­ler que l’Etat garde toutes les pré­ro­ga­tives réga­liennes y com­pris celle de lever l’impôt. Les pou­voirs du Conseil exé­cu­tif ne sont donc pas aus­si éten­dus que cela.

Gilles Siméo­ni, le pré­sident du Conseil exé­cu­tif est le pré­sident de Inseme per a Cor­si­ca (Ensemble pour la Corse) qui est auto­no­miste. Il ne réclame donc pas la sépa­ra­tion avec l’Etat fran­çais mais met l’ac­cent sur la défense de ce qui fait selon lui la « nation corse » : son patri­moine, sa culture et sa langue. Il dénonce éga­le­ment la lutte contre le « clien­té­lisme » des élus de gauche et Les Répu­bli­cains et c’est sur ces bases qu’il a fait une per­cée remar­quable en 2010 avec 37.224 voix au second tour (25,88%) et 52.840 en 2015 (35,34%).

En 2010, l’indépendantiste Jean-Guy Tala­mo­ni s’était main­te­nu au second tour ; il y avait récol­té 14.159 voix. En 2015, il perd des voix sur 2010, puisqu’il passe de 9,36% à 7,72% per­dant près de 2000 suf­frages. Il ne peut reven­di­quer une vic­toire que grâce à son alliance avec Gilles Siméo­ni. En outre, les Corses récla­mant l’indépendance sont à peine 10% et guère plus nom­breux (19% dans des mou­ve­ments auto­no­mistes comme Femu a Corsica).

Com­ment inter­pré­ter le suc­cès des autonomistes ?

L’idée même d’indépendance a for­te­ment pâti des vio­lences du FLNC entre autres mais éga­le­ment des dérives mafieuses de nom­breux diri­geants de la mouvance.

Les grands per­dants du vote corse sont en réa­li­té les mêmes que sur le conti­nent. Paul Gia­cob­bi, clas­sé divers gauche, perd plus de 10.000 voix en 2015 payant sa mise en exa­men le 21 juillet der­nier avec seize autres per­sonnes pour détour­ne­ment de fonds publics. La droite se main­tien au second tour mais son chef de file Camille de Roc­ca Ser­ra perd lui aus­si près de 10.000 voix sur 2010. Le Front de gauche, lui, s’effondre, pas­sant de 13.107 voix au 1er tour en 2010 à 7.449 en 2015. Quant au Front Natio­nal, il atteint péni­ble­ment les 10% mais triple ses voix en 2015.

On ne peut donc évi­ter la ques­tion : les voix auto­no­mistes sont-elles celles qui ne sont pas allées sur le Front Natio­nal ? Sûre­ment qu’une offre poli­tique  autre que le FN fus­ti­geant le cla­nisme des élus tra­di­tion­nels per­met de récu­pé­rer des élec­teurs qui, par pro­tes­ta­tion, auraient voté extrême-droite.

Mais pour ne pas ânon­ner des bêtises comme on les entend par­fois aus­si en Alsace à pro­pos du vote Unser Land, regar­dons les pro­po­si­tions faites par Inseme er a Cor­si­ca. Dans leur pro­gramme pour le second tour,  figure :

  • la co-offi­cia­li­té de la langue corse,
  • l’ins­tau­ra­tion d’un sta­tut de résident corse, avec des droits spé­ci­fiques pour enrayer la spé­cu­la­tion fon­cière et immobilière,
  • la mise en place d’un sta­tut fis­cal spé­ci­fique ou prônent encore l’ins­crip­tion d’une spé­ci­fi­ci­té Corse dans la Constitution
  • Quant au pro­jet éco­no­mique, il « consiste à s’affranchir des aides du gou­ver­ne­ment pour se recen­trer sur les atouts de la Corse
  • un plan de sau­ve­garde pour aider les entre­prises en dif­fi­cul­té et com­battre toutes les formes de précarité »
  • maî­tri­ser les transports,
  • don­ner la prio­ri­té à l’agriculture, à la pêche et au tou­risme de qualité,
  • tendre vers l’autonomie énergétique
  • inves­tir dans la recherche et l’innovation »,

Nous sommes loin d’un pro­gramme national-socialiste !

Mais au-delà d’une plate-forme élec­to­rale, que dit le pro­gramme adop­té lors de l’assemblée géné­rale de Inseme per a Corsica :

« Nos réflexions portent sur quatre piliers essentiels.

Le pre­mier est d’impulser une réelle poli­tique de la soli­da­ri­té, qui soit trans­ver­sale vis-à-vis des com­munes et des Inter­com­mu­na­li­tés, à tra­vers des pactes sim­pli­fiés de finan­ce­ment, vis-à-vis de l’accès au fon­cier, au loge­ment, de la créa­tion d’entreprises notam­ment chez les jeunes et les seniors en perte d’emploi…

Le second est d’imaginer une réelle poli­tique de sou­tien à l’économie pro­duc­tive par des cré­dits-épargne aux entre­prises et par un accès plus large à des mar­chés de proxi­mi­té. L’ouverture vers la Tos­cane et la Sar­daigne sont, pour nous, des prio­ri­tés abso­lues. Nous pen­sons, éga­le­ment, à des mesures fis­cales de type zone franche territorialisées.

Le troi­sième pilier est de mettre en place une réforme totale et simul­ta­née du sys­tème d’insertion et de for­ma­tion professionnelle.

Le der­nier pilier est de res­ser­rer le lien entre la CTC, les agences et offices et l’Université pour faci­li­ter l’insertion des étu­diants et le trans­fert de connais­sances, de savoirs faire et d’innovation au ser­vice des entre­prises. L’objectif est d’avoir une nou­velle donne éco­no­mique, claire et cré­dible, à pro­po­ser aux Corses.

Les Corses seront-ils écou­tés et entendus ?

Le vote auto­no­miste a pro­gres­sé dans toutes les régions où des listes ont pu se consti­tuer et répon­daient à des inter­ro­ga­tions et inquié­tudes des citoyens. C’est le cas dans le Haut-Rhin où Unser Land devient la troi­sième force poli­tique et avec laquelle il fau­dra comp­ter dans les années à venir.

Le peu de cas accor­dés à cette irrup­tion des idées d’autonomie dans le débat poli­tique est inquié­tant : ne faut-il pas entendre ces reven­di­ca­tions d’une démo­cra­tie plus directe, proche des citoyens ? Ne faut-il pas tenir compte d’un vote d’avertissement d’une popu­la­tion qui ne se sent plus pro­té­gé par l’Etat et se consi­dère aban­don­né par la Répu­blique ? Ne devrait-on pas se réjouir que ce vote n’aille jus­te­ment pas vers l’extrême-droite, du moins pour le moment ?

Les inter­ven­tions de cer­tains ultra-jaco­bins sont com­pré­hen­sibles : ils sont res­tés sur la France une et indi­vi­sible. Mais alors qu’elle est inté­grée de plus en plus dans une mon­dia­li­sa­tion éco­no­mique irré­ver­sible, ne doit-on pas trou­ver de nou­velles formes de par­ti­ci­pa­tion des citoyens à la vie publique.

Un peu plus d’autonomie pour que les citoyens puissent être déci­deurs de leur ave­nir met­trait-elle la France en si grave dan­ger ? Plus qu’un libé­ra­lisme éco­no­mique sapant l’autorité de l’Etat dans tous les domaines ? La ques­tion mérite au moins d’être posée.

Michel Mul­ler