Un débat consacré à la situation en Grèce intitulé «La Grèce, alors tout va bien ? » s’est tenu le 16 janvier 2016 à la Maison de la citoyenneté de Kingersheim. On y comptait la présence d’Haïk Apiaman, responsable de l’association de solidarité populaire de Grèce ; Marie Christine Vergiat, députée européenne front de gauche ; Patrick Saurin, membre de la commission vérité sur la dette grecque (CADTM) et Georges Audras, président d’Attac68 et spécialiste des monnaies alternatives.
Michel Muller, rédacteur d’Alterpresse68, et animateur du débat, rappela tout d’abord la série des memoranda imposés aux gouvernements grecs, et dont le dernier, à l’origine d’un referendum proposé par le gouvernement Tsipras, suscita un véritable tollé de la part de l’Eurogroupe. Il fut déclencheur de la création du Collectif 68 en soutien au peuple grec, lequel se destine à mener des actions et à illustrer l’espace des possibles, tant politique que financier, en direction du peuple grec et de tous les européens par ailleurs.
Le contenu même du dernier mémorandum prescrit à la Grèce par l’ensemble de la classe politique européenne a fait l’objet d’études présentant les risques à venir et envisageant des formes de solidarité à élaborer.
Haïk Apiaman rappela pour sa part qu’en matière de redistribution, les disparités grecques sont très prégnantes. Ainsi, 1% de la population possède 31% des richesses du pays. Par ailleurs, 24% des jeunes sont sans emploi. Au besoin de solidarité dont les grecs ont besoin depuis la crise des dettes souveraines, s’ajoute celui du coût de l’accueil en flux continu des migrants en provenance des Balkans. Les budgets de nombreux ministères, dont celui de la santé et de l’éducation ont été sabrés. La moitié des écoles du pays ont fermé. Mais cela n’affecte pas le bien être de la minorité de possédants ou l’immense patrimoine de l’Eglise orthodoxe. La famille est, comme dans bien des pays du Sud, le seul amortisseur social encore solide. L’espoir que les grecs auront placé dans Syriza aura pourtant vécu le 20 février 2015, lorsque Tsipras signe un accord avec les créanciers européens. On connaît l’épilogue, avec un referendum organisé le 5 juillet 2015, qui rejetait massivement l’austérité à plus de 60%, et une volte-face de Tsipras en date du 13 juillet 2015, qui signa alors sa reddition contre l’Eurogroupe par un dernier mémorandum aggravant la situation générale.
Il y a donc lieu de manifester partout sa solidarité avec le peuple grec et de l’exprimer clairement.
Patrick Saurin rappelle que la dette grecque a un siècle.
Le 3° mémorandum d’avril 2015 est de fait un plan d’austérité sur la dette, qui n’a jamais été discuté ou analysé. D’où la création d’une commission pour la vérité dont le but est d’en révéler l’origine.
Le fait est que la dette est essentiellement détenue par les banques allemandes et françaises. Ce sont les banques européennes qui ont provoqué les migrations de crédit vers les banques privées, et la spéculation avec ses aléas et risques multiples. La dette souveraine, qui appartenait au secteur bancaire privé a été socialisée… et a servi à recapitaliser les banques à hauteur de 48 milliards !
Le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, présidé par Eric Toussaint, a demandé que soit respecté un moratoire de sorte à éviter le pire, car le remboursement est insoutenable par ses conséquences sanitaires et sociales. Les droits humains fondamentaux ne sont pas respectés. S’organise en outre une mise sous tutelle du pays assortie d’une liquidation de ses biens. Englouti par une crise humanitaire sans précédent depuis la guerre, le pays se voit infligé un déni de démocratie. Par conséquent, le comité formule 2 propositions à ce sujet:
1° Ne plus payer la dette
2° Reprendre le contrôle du secteur bancaire
Marie-Christine Vergiat souligne que l’Union Européenne compte 128 millions de personnes menacées d’exclusion. Beaucoup parmi elles sont grecques. C’est assez dire si Syriza a provoqué un immense espoir lors de l’élection de Tsipras en janvier 2015.
Elle se souvient amèrement de l’accueil méprisant qu’ont réservé la Commission Européenne et de nombreux parlementaires européens à Tsipras, lors de son passage à Strasbourg. Il ne faut cependant pas se tromper d’ennemis : c’est le Conseil des Ministres de la Zone Euro qui a brandi la menace d’une sortie de la Grèce de la zone monétaire. Le vote des Grecs a été compréhensible mais c’est la droite (qui a truqué les comptes publics) et le Pasok (parti socialiste grec) qui sont les responsables politiques du bras de fer avec l’Europe.
Les mesures de soutien, prises en décembre 2015, ne sont pas destinées à servir de système de redistribution populaire mais à garantir une recapitalisation bancaire et à réassurer les créanciers.
La Roumanie, la Bulgarie et les Pays Baltes connaissent notamment, avec quelques particularismes, la même situation.
La situation grecque devient plus aiguë à mesure que la crise migratoire s’ajoute aux autres problèmes.
Il y a quelques mois, les migrants passaient de la Libye vers l’Italie, actuellement ceux qui viennent des Balkans arrivent en Europe par la Grèce.
Il existe trois urgences : sociale, démocratique, et celle relative aux libertés. Ce sont les enjeux actuels de l’Europe.
Pour Georges Audras, l’indépendance par rapport à l’euro est encore à construire. Mettre en place une monnaie nationale complémentaire de l’euro est un projet politique à imaginer, l’euro restant alors la monnaie commune.
Bien que très intéressante, une monnaie nationale ou régionale serait délicate à mettre en œuvre car elle resterait attachée à un projet propre, et demeurerait non convertible. Elle pourrait servir pour appuyer la transition écologique, les marchés de l’agriculture paysanne, l’isolation ou le marché intérieur en général, et ferait face aux banques toutes puissantes. Elle pourrait servir de support monétaire pour un revenu de base, des investissements citoyens dans les entreprises…
En seconde partie de débat, Michel Muller questionne la mise en place de rapports de force, et rappelle que les propositions de Syriza allaient à l’encontre des dogmes économiques en vigueur dans le monde, dont celles de la gauche gouvernementale française. La question des solidarités avec le peuple grec n’a pas été réussie. L’impuissance conduit au désenchantement. Les égoïsmes nationaux demeurent vifs. Mais la question grecque redeviendra d’actualité, autant que reviendront au premier plan les questions relatives à la crise économique et financière. Le motif qui motive la tenue de ce débat est notamment celui de relancer des processus de solidarité avec les grecs. Mais il s’agit surtout de concrétiser ces processus par des initiatives et des propositions alternatives. La question économique est évidemment centrale à ce titre : peut-on lutter contre les dogmes libéraux ? Et qu’en est-il de la dimension humanitaire ? La grande pauvreté s’étend, certes en Grèce, mais partout ailleurs dans l’ensemble des pays européens. Il ne s’agit pas seulement de pauvreté globale, mais bien de redistribution des richesses qu’il faut mettre en oeuvre.
Patrick Saurin ajoute que les droits humains et les fonctions onusiennes devraient primer devant les droits nationaux.
Il interroge la situation de la lutte de classes en cette période. A propos des monnaies alternatives, il mentionne une monnaie de ce type en Équateur. Par ailleurs, un contrôle collectif des banques est en discussion en Islande.
Marie-Christine Vergiat dénonce le manque de soutien aux Grecs. Tsipras a pourtant cherché des alliances dans son face à face avec les allemands et autres « austéritaires ». Il escomptait notamment un relais de la part de la France et de l’Italie, espérant voir se desserrer l’étau. L’Allemagne n’étant en principe pas seule à décider en la matière.
La bataille politique commence avec la mise en place du pacte de stabilité exigé à l’endroit des Grecs par 11 des pays de l’UE. Le commissaire français Moscovici fait partie de ceux-là.
Haïk Apiaman suggère d’effacer la dette et d’exiger le retour des droits de chacun en Grèce. Il appelle à imaginer des expériences de solidarité active en créant les rapports de force utiles à l’émancipation des peuples, et cela à partir de situations concrètes. Agir et partir de là où nous en sommes. Avec un travail de pédagogie utile, pour être crédible, sur les mécanismes bancaires : la banque européenne sert les banques au lieu d’être utile aux acteurs de l’économie.
Patrick Saurin rappelle que l’entrée de la Grèce dans l’Euro en 2001 s’est faite au prix d’une manipulation éhontée des comptes publics par la banque Goldman Sachs. L’augmentation du niveau d’endettement a eu un effet d’entraînement et a vu les banques françaises s’y associer, provoquant ainsi une bulle spéculative incontrôlable, qui d’ailleurs ne se trouvait pas inscrits dans les bilans.
Marie Christine Vergiat ajoute que le fonctionnement de l’Europe est en déliquescence, les pays se repliant chacun sur leurs égoïsmes nationaux. D’où l’urgence de créer des solidarités, imaginer des alternatives, des solidarités concrètes.
Patrick Saurin précise que Varoufakis est à la manœuvre pour lancer une initiative contre les politiques d’austérité en Europe, dont il a bien mesuré les enjeux en se frottant à ses homologues européens. Cette initiative a été suspendue depuis la survenue des attentats de Paris, mais devrait reprendre prochainement. Il s’agirait pour nous de proposer des projets ou programmes d’urgence, n’était le faible état de nos forces. Par exemple reprendre le contrôle de la sphère financière, à travers les banques et la monnaie. Le crédit et la garantie du système des dépôt relevant du bien commun. Socialiser le système bancaire, et reprendre la main en matière de création monétaire. L’Espagne a mené une série d’initiative à ce sujet, par le truchement de comités citoyens ou mouvements des places, qui ont généré des propositions de réformes intéressantes. Des mouvements pour des audits publics se sont engagés, de même que des organisations d’autodéfense contre les crédits hypothécaires ou les saisies immobilières.
Il faut mettre en place un plan d’urgence contre le capitalisme en crise, alors même que la situation politique profite aux partis xénophobes et racistes à travers le continent.
Enfin, Bernard Schaeffer, rédacteur à Alterpresse68, incite à combattre le silence médiatique. En ne délaissant pas l’action concrète. En la développant à cet effet, pour qu’elle dérange les pouvoirs établis.
Par ailleurs, le conseil populaire 68 pour l’abolition de la dette publique veut élaborer un audit citoyen.
A l’échelle de la France, un tel audit ferait apparaître que 57% des dettes sont illégitimes. 28 millions d’euros sont confisqués aux contribuables Mulhousiens.
Un moratoire s’impose, mais également des actions collectives en matière de rejet des remboursements des emprunts toxiques, sans omettre le combat contre les logiques d’austérité.
A visionner :
Des extraits vidéo de ces débats du 16 janvier 2016 à Kingersheim ont été mis en ligne sur ce site. A voir dans l’article :