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La mobilisation n’a pas faibli, bien au contraire. La loi Travail revisitée par l’accord des syndicats « réformistes »-gouvernement n’a pas fait son effet : le nombre de manifestants a doublé par rapport à l’action du 9 mars, plus de 200 lycées ont été bloqués, 10 universités également. Il semble bien que le fait majeur de cette journée soit l’implication considérable de la jeunesse qui s’étend au fur et à mesure des semaines. On peut penser que même le retrait de la loi Valls-El Khomri ne soit plus suffisant pour s’en sortir car les sujets soulevés par les manifestants dépassent, et de loin, le texte qui vient en discussion à l’Assemblée nationale dans quelques jours. Et déjà, de nouvelles manifestations sont en cours de préparation, les 5 et 9 avril…

Quel que soit le comp­tage, la conclu­sion est la même. La police comme les orga­ni­sa­teurs ont dénom­bré le double de mani­fes­tants par rap­port au 9 mars et ont réper­to­rié 233 ras­sem­ble­ments ou défi­lés sur tout le ter­ri­toire. Mais cette jour­née est éga­le­ment mar­quée par des grèves dans les trans­ports (SNCF, Air France…), à la Tour Eif­fel, chez EDF, dans la fonc­tion publique, la presse.

Le minis­tère de l’éducation natio­nale dénom­brait en tout 176 lycées blo­qués en France. Un chiffre infé­rieur à celui annon­cé par les orga­ni­sa­tions lycéennes : 200 lycées mobi­li­sés selon la FIDL, plus de 250 selon l’UNL… Selon l’UNEF, une dizaine d’universités étaient elles-aus­si bloquées.

En Alsace éga­le­ment, le nombre de mani­fes­tants s’est accru et la pré­sence des jeunes dans les cor­tèges est deve­nue encore plus mani­feste que lors des pré­cé­dentes actions.

La loi El Khom­ri : un catalyseur

Contrai­re­ment à ce que pen­saient ou espé­raient le gou­ver­ne­ment et les orga­ni­sa­tions syn­di­cales signa­taires de la nou­velle mou­ture de la loi Tra­vail, la mobi­li­sa­tion n’a pas régres­sé et le mot d’ordre « retrait de la loi » s’est même renforcé.

Les mécon­ten­te­ments s’accumulent : le recul du pou­voir d’achat et la pré­ca­ri­té du tra­vail touchent aujourd’hui des couches de la popu­la­tion qui ne pen­saient pas être mena­cées un jour. S’y ajoutent l’état d’urgence et son lot d’assignation à rési­dence, les manœuvres autour de Notre Dame des Landes, le pas­sage en force sur la réforme ter­ri­to­riale, les condam­na­tions de syn­di­ca­listes à de la pri­son ferme…

A par­tir de cette semaine, la reprise des expul­sions des loge­ments après la « trêve hiver­nale » est un nou­veau sujet de mobi­li­sa­tion pour les asso­cia­tions qui consi­dèrent, à juste titre, qu’il est indigne d’un pays comme la France, par­mi les 10 pre­mières puis­sances éco­no­miques mon­diales, de jeter des familles à la rue…

En Alsace, deux autres « dos­siers » pré­oc­cupent une par­tie non négli­geable de la popu­la­tion : la pro­po­si­tion du pré­sident du Conseil dépar­te­men­tal 68 d’imposer un Ser­vice béné­vole obli­ga­toire pour que les béné­fi­ciaires du RSA puissent le tou­cher et le risque qui pèse sur le régime local de la com­plé­men­taire mala­die Alsace-Moselle…

Un mou­ve­ment social d’envergure, la jeu­nesse en tête…

La mobi­li­sa­tion ne fai­blit pas. Même dans les rangs de la CFDT, syn­di­cat très enga­gé pour l’acceptation de la loi Tra­vail rema­niée et espé­rant que le débat par­le­men­taire l’améliore encore, la contes­ta­tion com­mence à mon­ter. Dans le défi­lé mul­hou­sien comme par­tout ailleurs en France, des mani­fes­tants CFDT, essen­tiel­le­ment de la métal­lur­gie, étaient encore plus pré­sents que la der­nière fois. Ils reven­diquent clai­re­ment un désac­cord avec leur confé­dé­ra­tion. Un mou­ve­ment iden­tique touche l’UNSA et au sein de la CFE-CGC, on croit de moins en moins à l’efficacité de cette loi.

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Sabine Gies, secré­taire régio­nale de la CFDT et membre du Bureau natio­nal de la Confé­dé­ra­tion, recon­naît, dans une inter­view don­née à Radio MNE, que la loi ne crée­ra pas d’emplois. Et que la mobi­li­sa­tion du 31 mars sera un atout pour faire pres­sion sur les par­le­men­taires lors du débat à l’assemblée nationale.

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Mais ce qui semble le plus inquié­ter le gou­ver­ne­ment, c’est l’implication de la jeu­nesse. Après l’avoir trai­tée de manière condes­cen­dante, puis de façon mépri­sante (« savent-ils de quoi ils parlent ? »), le gou­ver­ne­ment doit accep­ter de dis­cu­ter avec les orga­ni­sa­tions étu­diantes et lycéennes. De dis­cu­ter de quoi ? D’abord, ne fau­drait-il pas écou­ter ce qu’elle veut, cette jeunesse ?

Ain­si, à Mul­house, des assem­blées géné­rales régu­lières se tiennent entre étu­diants et lycéens. On y dis­cute de tout, de la loi Tra­vail certes, mais pas seule­ment. Des reven­di­ca­tions naissent (même les 32 heures heb­do­ma­daires sont à l’ordre du jour), des craintes et inquié­tudes s’expriment sur l’avenir de pré­ca­ri­té qui les attend. Ils n’acceptent pas d’être consi­dé­rés comme une géné­ra­tion sacri­fiée, celle qui devra vivre moins bien que les géné­ra­tions pré­cé­dentes. Ils dénoncent l’accumulation des richesses dans les mains d’une extrême mino­ri­té de mil­liar­daires et la pau­vre­té qui s’étend dans le reste de la popu­la­tion. Les diplômes comme sésame pour trou­ver du tra­vail, ce n’est plus une réa­li­té. Alors, que faire ?

De nou­velles formes d’action…

En plus des appels à l’action tra­di­tion­nels (pro­chaines étapes le 5 et le 9 avril), com­mencent à naître des formes nou­velles, ins­pi­rées d’initiatives comme Occu­py Wall Street New York ou les Indi­gna­dos sur la place Puer­ta del Sol à Madrid. La rage que met le gou­ver­ne­ment à éva­cuer sys­té­ma­ti­que­ment les ras­sem­ble­ments qui com­mencent à se mul­ti­plier est-elle révé­la­trice d’une peur ?

Dès le 31 mars au soir,  des mani­fes­tant déci­daient de ne pas ren­trer chez eux et d’occuper la place de la Répu­blique à Paris pour une action « Nuit debout ». Une foule hété­ro­clite unie dans un désir de «chan­ger le sys­tème». Au pro­gramme : démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive, débats jusqu’au bout de la nuit et vio­lentes échauf­fou­rées avec la police qui est inter­ve­nue same­di matin. Ils sont pour­tant reve­nus dès le soir et pour être à nou­veau dispersés…

Tout cela sans la pré­sence des orga­ni­sa­tions syn­di­cales, poli­tiques ou étu­diantes. Les appré­cia­tions por­tées sur ce mou­ve­ment sont diverses : là où cer­tains voient la nais­sance d’une forme de contes­ta­tion nou­velle qui fait peur au gou­ver­ne­ment, d’autres y voient un ras­sem­ble­ment hété­ro­clite sans beau­coup de lien entre les ana­lyses, reven­di­ca­tions et objec­tifs… Mais peut être est-ce cela, la nais­sance d’une forme nou­velle de s’organiser ?

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Fré­dé­ric Lordon

A Paris, c’est Fré­dé­ric Lor­don,  éco­no­miste au CNRS et phi­lo­sophe spé­cia­liste de Spi­no­za, qui a été mis à contri­bu­tion pour ten­ter de faire la syn­thèse des mul­tiples prises de paroles qui ani­maient le mee­ting. Selon le maga­zine Poli­tis, il est un peu gêné d’être pro­pul­sé porte-parole, lui qui est l’auteur de « reven­di­quer, c’est déjà être sou­mis ». « Il est pos­sible, dit-il,  que l’on soit en train de faire quelque chose. Le pou­voir tolère nos luttes lorsqu’elles sont locales, sec­to­rielles, dis­per­sées et reven­di­ca­tives. Pas de bol pour lui, aujourd’hui nous chan­geons les règles du jeu. En don­nant au capi­tal des marges de manœuvre sans pré­cé­dent, cette loi est géné­ra­trice de la vio­lence néo­li­bé­rale qui frappe désor­mais indis­tinc­te­ment toutes les caté­go­ries du sala­riat et, par là, les pousse à redé­cou­vrir ce qu’elles ont en com­mun : la condi­tion sala­riale même. »

Donc, pas sûr que le retrait de la loi suf­fise à endi­guer le mou­ve­ment. D’autant que le gou­ver­ne­ment et le pré­sident de la Répu­blique en sont au stade de la « cui­sine poli­ti­carde » : ils craignent de perdre la face en reti­rant la loi et s’ils ne le font pas, ils per­dront tout le reste. Pas brillant comme perspective…

Michel Mul­ler

Les pho­tos qui illus­trent cet article sont pour la plu­part celles de Pierre Doli­vet, pho­to­graphe pro­fes­sion­nel, qui nous les met gra­cieu­se­ment à dis­po­si­tion. Une façon de par­ti­ci­per à la mobi­li­sa­tion. Nous lui expri­mons notre gratitude.

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