La question de « l’autonomie » de l’Alsace est revenue en force avec l’insertion contrainte de la région dans une méga-région dont l’immense majorité de ses habitants ne voulaient pas. L’apparition d’un parti qui se revendique « régionaliste » et « autonomiste », Unser Land, 3e formation politique en Alsace devant le PS, montre que les citoyens alsaciens sont sensibles à cette idée. Et dès lors, le monde politique, voire au-delà, commence à s’agiter : tout le monde a évidemment un avis sur « les autonomistes », le plus souvent tranché et définitif. Il est pénible alors, d’écouter ou de lire des propos à l’emporte-pièce, des analyses sommaires, des arguments basés sur une histoire de l’Alsace tronquée et orientée. Bref, tout cela est le fruit d’une réelle ignorance de l’origine du mouvement autonomiste en Alsace qui est à nul autre pareil.
Deux auteurs se sont attelés à la tâche pour donner les éléments historiques indispensables pour que les Alsaciens se réconcilient avec l’histoire de l’autonomisme: Bernard Wittmann, à partir d’une biographie de Jean Keppi, une des figures marquantes d’une des tendances autonomistes alsaciennes et Michel Krempper dont le livre « Aux sources de l’autonomisme alsacien-mosellan 1871–1945 » qui détaille savamment la naissance, le développement et l’affaiblissement de l’autonomisme durant cette période. A lire, et après on pourra discuter…
Les Alsaciens attachés à leur identité
Mais qu’est-ce à dire « l’identité alsacienne » ? Les uns l’analyse par son emplacement géographique, sa langue, son « savoir-vivre », les vicissitudes des changements de « camp » de la fin du XIXe au XXe siècle… Depuis 1945, époque où tout ce qui pouvait rappeler le passé germanique alsacien devait être expurgé, les Alsaciens ont baissé la tête. Ses élus politiques les premiers : ils ont été les instruments ou du moins ils ont accepté, de culpabiliser les habitants de cette région pour des fautes qui n’en étaient pas. Les Alsaciens n’ont pas choisi leur histoire : ils ont été victimes des guerres et de la vindicte des vainqueurs respectifs plus que toute autre région.
Michel Krempper le rappelle : l’autonomisme politique naît après la cession (oui, nos parlons bien de cession de notre région par la France à la Prusse) de 1871. Des hommes politiques alsaciens, libéraux pour la plupart, veulent défendre des acquis alsaciens sur le plan économique et culturel, au sein de l’empire prussien sans s’y opposer. Au tournant du siècle, l’autonomisme devient plus politique : une tendance se dessine pour un « retour à la mère patrie française », un autre pour que l’Alsace soit doté de structures administratives lui donnant une large autonomie de décision. C’est ce courant qui obtient de la Prusse un statut, certes tardivement en 1911 puis renforcé en… 1918, comme l’Alsace n’en connaîtra plus jamais… Il faut d’ailleurs remercier les auteurs de démontrer que la période de 1871 à 1918 n’est pas l’instauration d’une tyrannie comme des historiens français l’ont décrit. Un véritable essor économique et social se produit et les premières lois sociales sur la garantie maladie sont appliquées.
C’est aussi dans cette période que se développent les partis politiques et les syndicats et des grandes luttes sociales. D’importants leaders socio-démocrates allemands sont candidats et parfois élus en Alsace.
Ces quelques spécificités ne sont jamais évoqués dans les manuels d’histoire, ni dans les enseignements scolaires privés ou publics… Une population privée de son histoire : est-ce bien progressiste, tout cela ?
Et pourtant, les Alsaciens continueront de rester attachés à leur identité ou au peu qui en subsiste. Mais alors, il ne faut pas s’étonner que cette « identité » trouve parfois des chemins troubles voire embourbés… Ils le seront d’autant plus qu’on voudra étouffer ou caricaturer le passé. N’est-ce pas Karl Marx qui rappelle dans le Manifeste : « celui qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre »…
L’autonomisme : d’extrême-droite ?
Une des tendances de l’autonomisme alsacien était animée par le Parti Communiste Français entre les deux guerres sur une base « séparatiste ». C’était le seul qui réclamait l’indépendance de l’Alsace par rapport à la France ou à l’Allemagne. Tous les autres partis autonomistes n’ont jamais réclamé la rupture avec la France : ils se contentaient d’exiger un assouplissement du centralisme français, avec évidemment aucune chance d’être entendu…
En 1940, seule une très petite minorité d’autonomistes adhère au national-socialisme hitlérien. Le pouvoir nazi considère qu’il n’y a pas de place pour une « autonomie » et pourchasse les plus velléitaires : ils sont d’abord expulsés, puis emprisonnés. A travers l’exemple de Jean Keppi, Bernard Wittmann montre la réalité de ces militants autonomistes et anti-nazis qui ont connu une répression car ils pouvaient représenter une « résistance » alsacienne : évidemment pas une résistance dans un pays « occupé » car l’Alsace n’était pas occupée : elle était territoire allemand et donc les Alsaciens étaient citoyens allemands de fait. Leur avait-on demandé leur avis ?
De 1939 à 1945 (Michel Krempper) l’Alsace a été la région de France la plus martyrisée : les victimes ont été proportionnellement trois fois plus nombreuses avec un total de 50.000 victimes dont 32.000 Malgré-nous et 5.000 Juifs (le 10e de la communauté), soit 5% de toute la population.
Et c’est cette population qui a été culpabilisée car elle était du côté des « vaincus » et n’a pas assez bien résisté ! Cette culpabilité a été longtemps intériorisée, s’est rarement exprimée. Des intellectuels comme René Schickelé, qui auraient pu faire entendre la réalité vécue par la population alsacienne, ont dû s’expatrier : la langue alsacienne, elle-même, fut bannie car elle était la langue de l’ennemi…
Cette confusion entre « allemand » et « nazi », si commune en France, est un drame pour l’Alsace : elle a dû renier sa culture spécifique pour se couler dans le moule du politiquement correct… Aujourd’hui, il n’y a plus que 3% de locuteurs alsaciens. Et il faut dare-dare organiser des classes bilangues non pas pour reconquérir sa langue d’origine, mais pour apprendre l’allemand afin de pouvoir aller travailler en Suisse et en Allemagne. L’Alsace ne peut plus nourrir ses enfants ?
Une renaissance ?
L’Alsace n’est pas la seule à vivre cette crise identitaire. Toute l’Europe connaît ces tendances qui apparaissent le plus souvent comme des replis identitaires. Depuis 1945, c’est la première fois que ce ne sont pas des partis « alsaciens » qui sont majoritaires en Alsace. Il y a bien la droite qui se revendique d’une « majorité alsacienne ». Mais au Parlement à Paris, ce « groupe » est totalement inconnu : en réalité il sert d’attrape-nigauds à des fins électorales.
Néanmoins, il faut regarder cela de plus près : s’ils sont obligés de se référer à leur origine régionale, c’est bien que cela a une résonance dans la population. Mais celle-ci commence à être fatiguée de cette posture.
Les Alsaciens réagissent alors dans les urnes à leur manière : pendant longtemps, pour beaucoup d’entre eux, le vote d’extrême-droite servait d’exutoire. Le vote FN en Alsace n’est pas de nature sociale comme ailleurs, mais pour une bonne part, l’expression d’une frustration culturelle.
Le débat public sur la fusion des deux départements alsaciens mais surtout celui sur l’intégration de l’Alsace dans la grande région, ont permis d’exprimer différemment et plus positivement cette volonté de changement. L’autonomie qui était tombée à un niveau insignifiant (1% des voix en 1978) retrouve des scores remarquables en 2015 avec près de 10% dans la région mais dépasse les 20% dans plus d’une centaine de communes.
L’intégration forcée de l’Alsace dans cette nouvelle région (avec à la clé une trahison des élus politiques qui après y avoir été opposé, s’y sont retrouvés… président de la grande région avec M. Richert) peut être vécue comme une nouvelle annexion. Les prochaines échéances politiques seront cruciales pour tous les partis en Alsace et singulièrement pour le parti Unser Land : il ne suffira pas de surfer sur une « renaissance autonomiste » mais bien de répondre aux attentes de la population alsacienne qui ne se résument pas à retrouver leur culture ancestrale. C’est dans la capacité à répondre aux défis économiques, sociaux, démocratiques et culturels qu’un parti « autonomiste » pourra représenter l’avenir.
En attendant, jetez-vous sur les deux ouvrages… Mieux connaître pour comprendre… et agir, voilà ce que nous offrent ces deux auteurs qui méritent notre gratitude d’avoir réparé un oubli dans la bibliographie régionale de ces soixante dernières années…
Michel Muller
« Aux sources de l’autonomisme alsacien-mosellan », Michel Krempper, Ed. Yoran
« Jean Keppi, une histoire de l’autonomisme alsacien », Bernard Wittmann, Ed. Yoran