Des res­pon­sables asso­cia­tifs convain­cus, des res­pon­sables poli­tiques à la recherche d’arguments, un audi­toire conquis, voi­là résu­mée, en quelques mots, la réunion publique orga­ni­sée same­di 11 juin à Col­mar par le par­ti Unser Land. Le sujet était la fer­me­ture de la Cen­trale nucléaire de Fes­sen­heim. Et la conclu­sion en fut : et le plus vite possible !

Nadia Hoog, res­pon­sables d’Unser Land à Col­mar, donne d’emblée le ton : « Il est dif­fi­cile de se faire une idée de butte en blanc à l’écoute du débat poli­tiques entre les Répu­bli­cains (pour le main­tien de la cen­trale) et les Socia­listes-Eco­lo­gistes (pour la fer­me­ture). Nous vou­lons voir plus clair grâce à cette conférence ».

André Hatz, porte-parole de l’association Stop Fes­sen­heim, et Lucien Jen­ny, du Col­lec­tif « Les Citoyens Vigi­lants des envi­rons de Fes­sen­heim », ont pen­dant plus de deux heures, déve­lop­pés une série d’arguments pour jus­ti­fier la fer­me­ture de la Centrale.

Une cen­trale vieille et usée

Dans le parc nucléaire fran­çais, huit cen­trales ont plus de 30 ans. La plus vieille est Fes­sen­heim avec 39 ans. Or, elles étaient conçues pour ne pas dépas­ser les trente ans d’exploitation. Des signes de fatigues s’accumulent, un nombre impor­tant de pannes se suc­cèdent (un des deux réac­teurs est à nou­veau arrê­té à Fes­sen­heim), la cuve bom­bar­dée de neu­trons se fra­gi­lise… Les répa­ra­tions qui sont menées res­semblent plus à de l’acharnement thé­ra­peu­tique, affirme André Hatz, car elles ne rendent la cen­trale abso­lu­ment pas plus sûre. Exemple : le « radier » (dalle sur laquelle est construite la cen­trale et les réac­teurs) a une épais­seur d’un mètre. Inca­pable de résis­ter à une fusion d’un réac­teur qui tra­ver­se­rait cette dalle sans pro­blème jusqu’à pol­luer la nappe phréa­tique qui se trouve à quelques mètres en-des­sous. Et l’intervenant de rap­pe­ler que la cen­trale de Fuku­shi­ma avait un radier d’une épais­seur de 4 à 8 mètres que le réac­teur à fusion à tra­ver­sé sans dif­fi­cul­té. Des tra­vaux sont réa­li­sés pour aug­men­ter le radier de Fes­sen­heim de… 50 centimètres !

Un risque sis­mique avéré

La France a déjà arrê­té 13 réac­teurs (des piles à com­bus­tible) par le pas­sé. Cer­tains déman­tè­le­ments sont encore en cours. Ce n’est pas que l’âge de Fes­sen­heim qui jus­ti­fie son arrêt rapide, c’est éga­le­ment l’implantation sur une faille sis­mique et une construc­tion en contre­bas du grand canal d’Alsace (8 mètres sous le niveau de l’eau) qui ren­drait la cen­trale inon­dable en cas de rup­ture d’une digue. Avec les consé­quences qu’on a pu véri­fier à Fuku­shi­ma. Or, la région a déjà connu de nom­breuses alertes sis­miques. Il est vrai que celle de 1356 d’une magni­tude de 6,2 ou 6,9 sur l’échelle de Rich­ter sert de réfé­rence même si elle date. La Haute-Alsace a pour­tant connu des séismes plus récents : en 1980, Sie­rentz en a connu un d’une puis­sance de 4,7. Et tous les sis­mo­logues sont d’accord pour consi­dé­rer qu’un trem­ble­ment de terre sur­vien­dra. Le tout est de savoir quand et de quelle ampleur. Mais là aus­si le prin­cipe de pré­cau­tion vou­drait qu’on ne joue pas la poli­tique de l’autruche en atten­dant que cela arrive.

Une opa­ci­té dans l’information

La ten­dance à mani­pu­ler l’opinion est géné­rale quand il s’agit du nucléaire. Savez-vous, rap­pelle André Hatz, qu’en France, nous avons connu deux fusions du cœur de réac­teur dans une cen­trale, à Saint-Laurent-du-Pont pour être pré­cis ? En avez-vous enten­du par­ler ? Non. Pour­tant, suite à cela du plu­to­nium s’est retrou­vé dans la Loire.

Les inci­dents qui se suc­cèdent à Fes­sen­heim sont sys­té­ma­ti­que­ment mino­rés voire sous-esti­més et donne lieu à de coû­teuses répa­ra­tions. Alors que le gou­ver­ne­ment s’est enga­gé à fer­mer la cen­trale (à pré­sent en 2017), EDF engage des tra­vaux de forage d’un puits pour pui­ser de l’eau dans la nappe phréa­tique car l’Agence de sûre­té nucléaire (ASN) a décou­vert que le refroi­dis­se­ment uni­que­ment assu­ré par l’eau du Canal d’Alsace serait insuf­fi­sant en cas de panne sérieuse…

Une ren­ta­bi­li­té douteuse

Les chiffres d’EDF, y com­pris ceux véhi­cu­lés par un syn­di­cat comme la CGT, sur la ren­ta­bi­li­té de la Cen­trale sont for­te­ment contes­tés, essen­tiel­le­ment par Lucien Jen­ny. L’ancien chef d’entreprise a éplu­ché les chiffres et arrive à la conclu­sion qu’entre les arrêts nom­breux des réac­teurs, le coût éle­vé de pro­duc­tion, l’électricité pro­duite par Fes­sen­heim coûte de l’argent à EDF. On pour­rait donc pen­ser qu’EDF aurait tout inté­rêt à fer­mer cette uni­té. Sur ce point, Lucien Jen­ny n’argumente pas trop. Faute d’aller jusqu’au bout du raisonnement ?

Car la charge forte contre l’entreprise EDF est peut être la prin­ci­pale fai­blesse du dis­cours du repré­sen­tant des « Citoyens vigi­lants » à tel point qu’on pour­rait par­fois croire que l’adversaire est l’entreprise natio­nale plu­tôt que le nucléaire. 

L’intéressé s’en défend et il devient plus convain­cant quand il conteste la ren­ta­bi­li­té de la pro­duc­tion d’électricité nucléaire si on prend le coût envi­ron­ne­men­tal en compte. 

Impos­sible de résu­mer dans un article l’ensemble des argu­ments fort bien pré­sen­tés, docu­ments à l’appui.

Pour­quoi n’est-elle tou­jours pas fermée ?

C’est là la ques­tion qui mérite d’être creu­sée et il est facile d’incriminer l’entreprise EDF par­fois d’une manière cari­ca­tu­rale en dépei­gnant les diri­geants comme des inca­pables, voire pire…

C’est faire peu de cas du contexte dans lequel le choix du nucléaire a été fait au niveau poli­tique (jus­te­ment rap­pe­lé par André Hatz citant De Gaulle en 1968) et impo­sé à EDF. Le contexte géo­po­li­tique, les connais­sances scien­ti­fiques bien moins pré­cises il y 50 ans, ont conduit les dif­fé­rents pou­voirs qui se suc­cèdent, de gauche comme de droite, à pri­vi­lé­gier la pro­duc­tion nucléaire pour des rai­sons d’indépendance nationale.

Aujourd’hui que le contexte a tota­le­ment chan­gé, que les risques du nucléaire sont avé­rés, des éner­gies de sub­sti­tu­tion et propres ont été trou­vées, il fau­drait évi­dem­ment revoir non seule­ment le dogme ini­tial mais éga­le­ment le sys­tème de pro­duc­tion qui en est issu. EDF est bien capable de déve­lop­per des tech­no­lo­gies d’énergies renou­ve­lables à l’étranger, alors pour­quoi pas en France.

Il est incon­tes­table qu’en plus du choix poli­tique ori­gi­nel, tout un lob­by du nucléaire s’est ins­tal­lé (l’école des Mines en pro­duit les prin­ci­paux acteurs) et rend appa­rem­ment tout choix dif­fé­rent dif­fi­cile. Quitte à expo­ser les popu­la­tions à des risques incon­si­dé­rés. Quitte à « arro­ser » finan­ciè­re­ment les com­munes les plus en dan­ger pour s’offrir l’appui des élus contents de béné­fi­cier de sub­sides pour leur pis­cine et leur salle de spec­tacle sur­di­men­sion­née aux coûts de fonc­tion­ne­ment impos­sible à amortir.

André Hatz conclut en disant : « Ce que nous vou­lons, c’est l’arrêt immé­diat. Le déman­tè­le­ment c’est autre chose, cela pren­dra du temps. Mais la prio­ri­té, c’est de ces­ser la production ».

Sar­ko­zy et Jup­pé : vive le nucléaire

Les deux can­di­dats à la pré­si­dence de 2017 ne s’en cache pas : s’ils arrivent au pou­voir, ils conti­nue­ront d’exploiter Fes­sen­heim. Dif­fi­cile d’afficher plus de mépris pour les citoyens qui sont sou­mis au risque. 

Le report suc­ces­sif de la fer­me­ture par le pré­sident Hol­lande semble démon­trer que certes le lob­by nucléaire est aus­si effi­cace à gauche, mais fait éga­le­ment appa­raître une absence de stra­té­gie de rem­pla­ce­ment de l’énergie pro­duite par le nucléaire. Ou plu­tôt de moyens déga­gés pour déve­lop­pé les pro­duc­tions alternatives.

Pro­duire local ?

Dans ces conclu­sions, Nadia Hoog dénonce le cen­tra­lisme carac­té­ri­sant la poli­tique fran­çaise au détri­ment de la déci­sion locale et pro­pose de relan­cer la pro­duc­tion hydrau­lique dans la région en s’appuyant sur les capa­ci­tés des lacs vos­giens et le Rhin. 

Il s’agit effec­ti­ve­ment d’une piste. Pour­tant se pose aus­si la ques­tion du coût de l’énergie, de sa puis­sance pour répondre aux besoins de notre socié­té de plus en plus gour­mande d’énergie élec­trique dont le coût aug­mente sans cesse. Une nou­velle source d’inégalités en vue ? Quand EDF défen­dait un ser­vice public de l’énergie, cela per­met­tait de limi­té ces inéga­li­tés. Mais nous n’en sommes plus là : la libé­ra­li­sa­tion du mar­ché de l’énergie, le pas­sage d’EDF à une ges­tion iden­tique à celle des mul­ti­na­tio­nales du pri­vé, ont tota­le­ment chan­gé la donne. 

Il fau­dra bien que le pou­voir poli­tique traite éga­le­ment cette dimen­sion. Tout comme le pou­voir syn­di­cal, vent debout, aujourd’hui encore et dans l’unité la plus totale, contre la fer­me­ture de Fessenheim.

Michel Mul­ler

Articles com­plé­men­taires sur le sujet :

http://lalterprls.cluster011.ovh.net/nouvelle-embrouille-a-fessenheim/

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