Bataille de chiffres habituelle : les syndicats annoncent 1.300.000 manifestants, le gouvernement… 125.000 ! Évidemment, personne n’y croit. D’ailleurs, peu importe, un fait est avéré : la mobilisation ne faiblit pas, la loi Travail n’est pas acceptée par l’opinion, l’accord de la CFDT n’y change rien, il faudra bien trouver une solution… Le débat parlementaire sera-t-il le lieu où cela peut se débloquer ?

« 1.300.000 mani­fes­tants aujourd’hui dans tout le pays, plus de 4 heures avant que les der­niers mani­fes­tants pari­siens quittent la place d’Italie, des délé­ga­tions de syn­di­cats euro­péens pré­sentes en nombre, arrêt total de la pro­duc­tion dans cer­taines entre­prises, des sites d’ordures ména­gères blo­qués, des cen­taines de mil­liers de vota­tion pour le retrait  du pro­jet de loi recueillies aujourd’hui… Qui a par­lé d’essoufflement ? » dans son com­mu­ni­qué, la CGT est loin de se satis­faire d’un « baroud d’honneur » qu’aurait pu être la mani­fes­ta­tion natio­nale du 14 juin. En outre, l’unité syn­di­cale avec FO, Soli­daire et FSU semble tenir.

Le conflit prend une dimen­sion internationale

On a vu plu­sieurs délé­ga­tions étran­gères dans le défi­lé pari­sien. La CGT Alsace, quand à elle, fait état de l’appui du DGB alle­mand (ici en langue allemande)
« Les syn­di­cats alle­mands ont fait l’expérience des régres­sions sociales ini­tiées par les lois Harz et l’agenda 2010 du chan­ce­lier Schrö­der. Ils com­prennent ain­si le sens de la résis­tance enga­gée par la CGT contre cette loi. Ce sou­tien inter­na­tio­nal et cette conver­gence syn­di­cale en Europe démontrent que l’acceptation de la com­pé­ti­tion éco­no­mique au détri­ment des sala­riés n’est en rien fatale et que l’avenir est dans la construc­tion d’un rap­port de forces syn­di­cal en Europe pour har­mo­ni­ser les condi­tions sociales vers le haut. (…) La CGT Alsace est invi­tée à par­ti­ci­per à des mee­tings de soli­da­ri­té en Alle­magne notam­ment à Tübin­gen le jeu­di 16 juin et à Darm­stadt le mer­cre­di 22 juin» affirme Ray­mond Ruck, le secré­taire régio­nal de la CGT, dans un communiqué.

La bataille de l’opinion publique

Dans l’impasse dans laquelle se trouve le gou­ver­ne­ment, il tente de mobi­lise l’ensemble des médias, avec plus ou moins de bon­heur, pour gagner l’opinion publique. A noter que cela marche pour l’ensemble des télé­vi­sions et radio publiques et pri­vées (allez cher­cher un peu de plu­ra­lisme !) qui déve­loppent toutes les mêmes argu­ments. Seuls des titres de la presse écrite (papier ou numé­rique) dérogent au dis­cours conve­nu et officiel.
On hési­tant pas à tra­ves­tir la véri­té du genre : « il n’y a plus grand-chose dans cette loi et son conte­nu est favo­rable aux sala­riés ». Rap­pel à l’ordre du maga­zine Chal­lenge qui rap­pelle la réa­li­té : à lire avec inté­rêt.
Autre choix : rendre les mani­fes­ta­tions et les grèves impo­pu­laires y com­pris à grand ren­fort d’interviews télé­vi­sés de per­sonnes remon­tées par les incon­vé­nients des grèves. Alors que les son­dages montrent plu­tôt une forte ten­dance à la com­pré­hen­sion des actions menées par les syn­di­cats, les médias télé­vi­sés ne trouvent pas un seul de ces individus…
L’action de quelques dizaines de cas­seurs est évi­dem­ment du pain béni dans cette bataille idéo­lo­gique : cela fut l’essentiel de l’information dis­til­lée en direct par les BFM et consorts…
Il ne man­quait plus que le CGT-bashing : Yves Cal­vi s’est char­gé du bou­lot et a invi­té dans son émis­sion C’est dans l’air des grands experts qui, ô sur­prise, n’avaient que des pro­pos néga­tifs à l’égard de la pre­mière cen­trale syn­di­cale fran­çaise. Sou­ve­nez-vous du son­dage qui cher­chait à mesu­rer la popu­la­ri­té de Phi­lippe Mar­ti­nez, secré­taire géné­ral de la CGT : « que » 33% des Fran­çais appré­ciaient le mili­tant. Mais c’est encore plus que le double du résul­tat obte­nu par Fran­çois Hol­lande qui culmine à 15% !
Ne man­quait que l’Euro de foot­ball : les gré­vistes allaient ter­nir l’image de la France, empê­ché les sup­por­ters d’aller voir leur équipe favo­rite. On peut par ailleurs s’interroger sur la « puni­tion » que repré­sen­te­rait l’empêchement d’aller voir un spec­tacle du nou­vel opium du peuple que repré­sente le foot, mais les stades sont pleins ! Et c’est sur­tout les « hoo­li­gans » (de toutes natio­na­li­tés !) qui ter­nissent l’image de ce « sport » deve­nu spectacle.

Une issue à cher­cher et à trouver

Mal­gré le matra­quage idéo­lo­gique, l’opposition à cette loi per­dure. Le gou­ver­ne­ment s’est mis dans une situa­tion « dos au mur » qui l’empêche de faire ce que toute per­sonne sen­sée ferait : reti­rer la loi et la remettre en négo­cia­tion. Mais ce serait éga­le­ment sacri­fier la CFDT qui a approu­vé les dis­po­si­tions de la loi mal­gré leur impopularité.
La majo­ri­té de droite au Sénat vient au secours du gou­ver­ne­ment en reve­nant à l’origine du texte de loi pré­sen­té par M. Valls. Elle réta­blit toutes les pires dis­po­si­tions que le Pre­mier Ministre avait ima­gi­nées, y com­pris la fin de la durée légale du travail.
Cela per­met au gou­ver­ne­ment d’agiter le spectre du retour de la droite au pou­voir (l’a‑t-elle véri­ta­ble­ment quit­té ?) et de faire pas­ser l’actuelle mou­ture de la loi comme un texte accep­table par la majo­ri­té de l’Assemblée natio­nale. C’est prendre les dépu­tés quelque peu pour des imbé­ciles de faire croire que le même texte peut pas­ser du néga­tif au posi­tif, par la magie de la mani­pu­la­tion poli­tique. Il faut croire que cette voie sera étroite voir impraticable.
Reste donc la négo­cia­tion de modi­fi­ca­tion au texte actuel et essen­tiel­le­ment sur l’article 2, la hié­rar­chie des normes. La CGT quant à elle, pré­voit d’aborder cela avec la Ministre du Tra­vail ven­dre­di 17 : « Fort de cette nou­velle mobi­li­sa­tion, la délé­ga­tion qui ren­con­tre­ra la Ministre du Tra­vail ven­dre­di 17 juin por­te­ra l’exigence du retrait ; les points majeurs du blo­cage étant a mini­ma les 5 articles qui consti­tuent l’ossature du texte » ouvrant là une légère porte au gou­ver­ne­ment pour qu’il ne soit pas obli­gé de reti­rer tota­le­ment le pro­jet de loi.
Le débat par­le­men­taire peut être un moyen de trou­ver une solu­tion par des modi­fi­ca­tions par voie d’amendement réta­blis­sant la hié­rar­chie des normes.
Déjà la CGT et les autres syn­di­cats cherchent à peser sur la dis­cus­sion des dépu­tés en appe­lant à des mobi­li­sa­tions natio­nales les 23 et 28 juin prochains.
On peut conclure que ce ne sont pas les syn­di­cats oppo­sés à la loi qui sont en mau­vaises pos­tures : ils ont déjà obte­nu des avan­cées sociales dans les branches (trans­ports, SNCF, avia­tion civile…) et même un pas­sage en force de la loi à l’Assemblée natio­nale ne les écor­ne­ra pas : ils auront fait le job et ne seraient vain­cus que par un acte anti­dé­mo­cra­tique du gouvernement.
Quand à Fran­çois Hol­lande et Manuel Valls, la défaite semble se des­si­ner dans n’importe quelle confi­gu­ra­tion : ou ils uti­li­se­ront le 49–3 pour impo­ser une loi impo­pu­laire et leur ave­nir poli­tique per­son­nel sera dura­ble­ment affec­té, ou ils lâche­ront sur des points essen­tiels de leur pro­jet et leur poli­tique sociale-libé­rale sera sanctionnée.

MM