LE RÉGIME LOCAL ALSACE-MOSELLE ENTRE SPÉCIFICITÉ RÉGIONALE ET MODÈLE UNIVERSEL

Une confé­rence-débat s’est tenue same­di 11 juin à Col­mar en mati­née sur le thème de l’avenir du régime local Alsace-Moselle (en abré­gé : RLAM).

L’organisateur, Unser Land, avait choi­si l’anonymat afin de ras­sem­bler plus lar­ge­ment autour d’un sujet qui concerne la grande majo­ri­té de la popu­la­tion des trois dépar­te­ments. Ce fut peine per­due : une quin­zaine de per­sonnes seule­ment ont répon­du à l’invitation. Bien dom­mage éga­le­ment, car, comme l’a rap­pe­lé l’intervenant rete­nu, Antoine Fabian, vice-pré­sident de l’organisme en ques­tion, ni le méca­nisme du dis­po­si­tif, ni les enjeux liés à sa péren­ni­sa­tion suite à la mise en place de l’ANI (accord natio­nal inter­pro­fes­sion­nel signé en 2013) ne sont clai­re­ment com­pris par une popu­la­tion pour­tant atta­chée à son existence.

Antoine Fabian situe le régime local dans l’histoire de la région, évoque son par­cours per­son­nel d’ouvrier-chaudronnier, sa par­ti­ci­pa­tion à l’Institut du droit local, ins­tance de réflexion sur l’ensemble des dis­po­si­tions juri­diques en vigueur dans la région, son man­dat de maire de Roderen.

La sécu est née à … Mulhouse !

Éton­nante filia­tion : c’est à Mul­house que Bis­marck découvre une assu­rance créée loca­le­ment contre le risque d’accident de tra­vail (NDLR : à charge des ouvriers !), basée sur le prin­cipe de la coti­sa­tion, et qui lui ins­pire l’idée d’une pro­tec­tion sociale cou­vrant mala­die et vieillesse, ce qui lui per­met de cou­per l’herbe sous les pieds de la social-démo­cra­tie qui reven­di­quait une telle couverture.

La Sécu­ri­té sociale de 1945 issue du Conseil Natio­nal de la Résis­tance repren­dra le sys­tème dit « bis­mar­ckien » (fon­dé sur la coti­sa­tion, en oppo­si­tion au sys­tème « beve­rid­gien », basé sur l’assistance publique).

Pour res­ter dans les grandes lignes, le RLAM (régime local d’assurance mala­die), qui fonc­tionne en com­plé­ment de la Sécu­ri­té sociale, assure 90% de rem­bour­se­ment là où la sécu­ri­té sociale n’en assume que 70, ain­si qu’une prise en charge totale de l’hospitalisation (y com­pris for­fait jour­na­lier) et ce, grâce à une modique coti­sa­tion sala­riale sup­plé­men­taire, et dépla­fon­née, de 1,5%.

Michel Rocard avait repris en son temps (celui de la pre­mière pré­si­dence de Fran­çois Mit­ter­rand, ce der­nier, raconte l’intervenant, décou­vrant avec éton­ne­ment l’existence d’un sta­tut local en Alsace) l’idée d’une exten­sion du RLAM à l’échelon natio­nal, puis renonce.

Main­te­nu à titre pro­vi­soire en 1946, le régime devra attendre le décret de 1995 pour être péren­ni­sé, et conti­nue depuis d’être plus favo­rable et plus soli­daire que le dis­po­si­tif pré­va­lant en « vieille France », puisque les familles, les retrai­tés et sur­tout les pri­vés d’emploi en res­tent béné­fi­ciaires, et ce, de manière illimitée.

Les ges­tion­naires du RLAM, déplore l’intervenant, constatent cepen­dant récem­ment une baisse des dépenses : elle serait due à un renon­ce­ment aux soins de la part de caté­go­ries pau­pé­ri­sées, ce qui n’est pas, du reste, spé­ci­fique à la région (NDLR : une autre source nous indique que ce constat reste à être vérifié) .

La loi de sécu­ri­sa­tion de l’emploi du 14 juin 2013 et son volet por­tant sur la réforme de la com­plé­men­taire san­té obli­ga­toire vont modi­fier la donne : l’obligation faite aux employeurs de sous­crire une assu­rance mala­die com­plé­men­taire pour leurs sala­riés rend le RLAM moins avan­ta­geux, du moins pour les sala­riés actifs, s’il reste dans l’état. De ce fait, il est sus­cep­tible d’être atta­qué juri­di­que­ment pour inéga­li­té de traitement.

Antoine Fabian rap­pelle que les mutuelles sont mues avant tout par la recherche de pro­fit et qu’elles n’ont de « mutuelles » plus que le nom : il évoque à cet égard les coû­teuses opé­ra­tions de spon­so­ring dans les­quelles elles sont impliquées.

Le rédac­teur de ces lignes inter­vient pour faire remar­quer que la sys­té­ma­ti­sa­tion des mutuelles et autres opé­ra­teurs com­porte en outre une menace sur la Sécu­ri­té sociale elle-même qui pour­rait dès lors se défaus­ser sur elles et pro­vo­quer leur ren­ché­ris­se­ment, ce dont Antoine Fabian convient.

Un effort très modeste néan­moins incon­ce­vable par le patro­nat régional 

Or, avec un apport de 0,7 % de coti­sa­tion des employeurs, c’est-à-dire une contri­bu­tion bien moindre que celle induite par l’obligation de sous­crip­tion auprès de mutuelles san­té, le RLAM serait en mesure de cou­vrir à moindre coût le panier de soins requis par la loi qui s’appliquera en Alsace-Moselle au 1er juillet prochain.

Pour­tant, le patro­nat alsa­cien a récem­ment fait part de son hos­ti­li­té à cet amé­na­ge­ment. Le rédac­teur sug­gère ici une pos­ture idéo­lo­gique pre­nant le pas sur le bon sens comp­table : l’orateur abonde dans ce sens en évo­quant les liens du vice-pré­sident du Medef alsa­cien à des groupes d’assurances …

Antoine Fabian affirme alors qu’en fait le Medef Alsace ne res­pecte pas l’accord ANI.

Les admi­nis­tra­teurs du RLAM conscients de la menace sur le dis­po­si­tif ont sol­li­ci­té le sou­tien des 1600 com­munes du ter­ri­toire concer­né : si celles du Haut-Rhin ont bien réagi, dans le Bas-Rhin en revanche, l’initiative se heurte à des com­por­te­ments trou­blants : des maires oppo­sés au sou­tien ne mettent pas la motion en débat, les cour­riers des­ti­nés aux conseillers muni­ci­paux ne leur sont pas remis, un séna­teur fait pres­sion sur les élus locaux pour qu’ils ne signent pas la motion.

Dès lors, se demande Antoine Fabian, pour­quoi conti­nuer à faire béné­fi­cier Stras­bourg de l’aide aux actions de pré­ven­tion accor­dée par la Caisse régio­nale puisque, au contraire de Col­mar et de Mul­house, la ville ne s’est pas enga­gée en faveur de la péren­ni­sa­tion et de l’adaptation du régime local ?

Par­mi les inter­ven­tions venant de la salle, on note­ra celle fai­sant suite aux mutuelles pri­vées selon laquelle « les assu­rances pri­vées suisses fonc­tionnent bien » (pour qui ? NDLR) en com­pa­rai­son de la Sécu­ri­té sociale et de son légen­daire défi­cit. Le rédac­teur de ces lignes rap­pelle que ce défi­cit est en bonne part factice.

Aupa­ra­vant, l’intervenant aura affir­mé que la coti­sa­tion mala­die de la Sécu­ri­té sociale est pla­fon­née (NDLR : c’est inexact, le taux de coti­sa­tion de ce poste s’applique bien à la tota­li­té du salaire).

Tou­jours en lien avec l’attitude du patro­nat alsa­cien, Antoine Fabian évo­que­ra encore le devoir d’exemplarité auquel celui-ci a man­qué, et cite­ra Adam Smith (qu’il pro­nonce « Schmitt ! »), père anglais au 18è siècle du libé­ra­lisme selon lequel ce der­nier a des limites dic­tées par des obli­ga­tions morales… (Antoine Fabian est mili­tant de la CFTC).

Le décret ins­tau­rant le sta­tu quo pour le régime local mala­die-vieillesse n’est pas une bonne nou­velle, car elle inter­dit toute évo­lu­tion, ce qui signi­fie son extinc­tion à plus ou moins brève échéance. Cet état de fait ne consti­tue pas pour autant un hori­zon indé­pas­sable : une nou­velle phase de la bataille pour la sau­ve­garde du RLAM com­mence, et qui consiste notam­ment à poin­ter les insuf­fi­sances des conclu­sions de la mis­sion par­le­men­taire for­mée d’élus locaux qui ont par ailleurs brillé par leur inca­pa­ci­té à for­mu­ler des pro­po­si­tions à même de garan­tir la réelle sur­vie du régime. Peur de pas­ser pour des régionalistes ?

Daniel Murin­ger

A lire en com­plé­ment:

Le régime com­plé­men­taire local d’as­su­rance mala­die d’Al­sace-Moselle, un droit local datant de 1883.

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