Gabriel Weis­ser est père de deux enfants, habite à proxi­mi­té de la cen­trale de Fes­sen­heim et se défi­nit non comme « anti » mais bien comme « oppo­sant », c’est-à-dire citoyen ayant d’abord droit à toute l’information.

Il raconte son « réveil » lors des annonces de la catas­trophe de Fuku­shi­ma, quand il s’est sen­ti « impuis­sant » et confron­té à une « monstruosité ».
Depuis il pro­cède régu­liè­re­ment à des rele­vés de radio­ac­ti­vi­té près de la cen­trale avec son comp­teur Gei­ger per­son­nel et n’oublie jamais ses pas­tilles d’iode…

Dès 2011 il pro­tes­tait contre les inter­ven­tion pro­gram­mées à l’initiative du rec­to­rat dans les éta­blis­se­ments sco­laires de la Socié­té fran­çaise d’énergie pré­si­dée par AREVA pour explique le nucléaire aux enfants (faut – il dire le promouvoir ?).
Ses pro­tes­ta­tions média­tiques pour rap­pe­ler le devoir de neu­tra­li­té du ser­vice public de l’enseignement ont contri­bué à la fin de ces interventions.
Déjà il insis­tait sur l’incitation à la déso­béis­sance des res­pon­sables d’établissements quant à ces visites « offi­cia­li­sées » et sur l’intérêt public géné­ral qu’il pen­sait mena­cé par ce man­que­ment à la neu­tra­li­té du ser­vice public.
En 2014 il invi­tait pour ren­con­trer des lycéens le seul pay­san japo­nais à avoir refu­sé de quit­ter la zone décla­rée inter­dite dans le péri­mètre de Fuku­shi­ma ( ce « Noé du nucléaire », comme le qua­li­fie mon inter­lo­cu­teur, qui outre les vaches qu’il a donc refu­sé d’abandonner s’occupe désor­mais aus­si de bétail dont les pro­prié­taires ont éva­cué la zone interdite).
En 2016 il invite un « liqui­da­teur »  res­ca­pé de Tcher­no­byl, Oleg Vek­len­ko, et ren­contre avec lui des élèves de lycées et le maire de Fessenheim.

Actuel­le­ment, Gabriel Weis­ser pré­pare une plainte pour « mise en dan­ger de la vie d’autrui » avec le concours de Corinne Lepage, avo­cate bien connue des envi­ron­ne­men­ta­listes. Sa plainte s’ajoutera donc à celle de plu­sieurs asso­cia­tions anti­nu­cléaires pour avoir « lar­ge­ment mini­mi­sé » et décla­ré « hors délai » la fuite consta­tée à l’intérieur des ins­tal­la­tions de Fes­sen­heim le 28 février der­nier; les plai­gnants accu­sant EDF et le direc­teur de la cen­trale d’avoir « men­ti » à l’A.S.N, auto­ri­té publique de la sécu­ri­té du nucléaire en France.

Le tri­bu­nal de police de Gueb­willer a par ailleurs déjà eu à connaître de la plainte des cinq asso­cia­tions anti­nu­cléaires et ren­dra son juge­ment le 7 décembre prochain.

Depuis une nou­velle plainte a été dépo­sée contre AREVA et EDF par les asso­cia­tions anti­nu­cléaires locales, le Réseau Sor­tir du nucléaire, France Nature envi­ron­ne­ment et Green­peace pour « quatre délits majeurs » dont « usage de faux et mise en dan­ger déli­bé­rée de la vie d’au­trui  » suite aux révé­la­tions sur les 87 irré­gu­la­ri­tés rele­vées par l’A.S.N sur les pièces fabri­quées au Creu­sot pour les cen­trales nucléaires mais dont une spé­ci­fique est uti­li­sée à Fessenheim.

Cette der­nière ano­ma­lie n’au­rait été décla­rée à l’ASN que tar­di­ve­ment et cette der­nière a sus­pen­du son auto­ri­sa­tion de remise en ser­vice du réac­teur numé­ro 2. Un direc­teur adjoint de l’A.S.N, Julien Col­let, a décla­ré le 23 sep­tembre que cette défec­tuo­si­té pou­vait mettre en ques­tion la sûre­té même de la centrale.

Après sa lettre adres­sée récem­ment à 500 dépu­tés (un seul a répon­du à ce jour) leur deman­dant d’exiger la fer­me­ture immé­diate de la cen­trale de Fes­sen­heim « au nom de la sécu­ri­té des popu­la­tions rive­raines aux­quelles j’appartiens avec ma famille », notre « lan­ceur d’alerte » vient de s’adresser par cour­rier au maire de Fes­sen­heim « en tant que rive­rain de Fes­sen­heim » pour sol­li­ci­ter l’élu « comme res­pon­sable de la sécu­ri­té sur le ban de la com­mune », pour connaître les mesures que vous [le maire] sou­hai­tez mettre en œuvre pour deman­der à E.D.F, exploi­tant de la cen­trale de Fes­sen­heim, de faire face à ses obli­ga­tions ». Sa signa­ture est sui­vie de la men­tion « Rive­rain inquiet de la doyenne des cen­trales nucléaires fran­çaises, Fessenheim ».

Gabriel Weis­ser est donc un « lan­ceur d’a­lerte » de plus dans un contexte où la cen­trale alsa­cienne n’en finit pas de défrayer la chro­nique des pro­messes poli­tiques de fer­me­ture tou­jours repous­sée et des inci­dents de fonc­tion­ne­ment à répétition?

Contrai­re­ment à nombre de ses pareils notre « lan­ceur d’alerte » ne se cache pas, même s’il a sou­vent fait l’objet de pres­sions diverses. Il per­sé­vère dans son com­bat per­son­nel pour le droit à l’information, le droit pour le citoyen de « se faire sa propre opi­nion » et demande l’arrêt d’installations qu’il estime dan­ge­reuses pour les popu­la­tions rive­raines, pour sa propre sécu­ri­té ain­si que celle de sa famille.

La conclu­sion de sa lettre aux élus natio­naux doit être citée : « Avant qu’il ne soit trop tard et au nom de la Répu­blique, au nom de nos enfants, au nom des géné­ra­tions à venir, notre res­pon­sa­bi­li­té devant l’humanité doit nous conduire dans les délais les plus brefs à fer­mer la doyenne des cen­trales nucléaires hexa­go­nales et amor­cer en France la sor­tie du nucléaire ».

S’il n’ignore pas les impacts socio – éco­no­miques de la fer­me­ture de Fes­sen­heim il se situe pour­tant, lui, au des­sus des dis­cours poli­ti­ciens et tient un dis­cours de res­pon­sa­bi­li­té poli­tique, au sens noble du terme.
Simple citoyen il invoque l’intérêt géné­ral supé­rieur public, au-delà des enjeux éco­no­miques locaux
– qu’il n’est cepen­dant pas ques­tion de ne pas prendre en compte.

L’actualité nous four­nit abon­dam­ment des exemples de ces per­sonnes qui alertent et dénoncent dans de nom­breux domaines : pour en res­ter à la période récente nous avons tous en tête des noms amé­ri­cains, russes, fran­çais qui ont révé­lé des infor­ma­tions majeures et défrayé la chro­nique dans nombre de domaines pour aler­ter l’o­pi­nion publique (alertes sani­taires et envi­ron­ne­men­tales, ren­sei­gne­ments géo­po­li­tiques et diplo­ma­tie, finance, san­té, sport …).

…n’est pas un lan­ceur d’alerte au sens strict d’une légis­la­tion fran­çaise non encore défi­ni­tive par ailleurs (loi Sapin 2) – , mais il est pour­tant très repré­sen­ta­tif  de ce mou­ve­ment de fond de citoyens iso­lés mais infor­més qui décident désor­mais de bri­ser un tabou, de « faire savoir », d’alerter direc­te­ment et lar­ge­ment d’autres citoyens, sans se sou­cier de canaux iden­ti­fiés ou d’appareils orga­ni­sa­tion­nels. Ils pensent devoir être comp­table d’a­bord de de l’in­té­rêt général.

Pour une per­sonne iso­lée ou un groupe, voire une ins­ti­tu­tion, qui anti­cipe un dan­ger, un risque majeur et déclenche un pro­ces­sus de régu­la­tion, de contro­verse ou de mobi­li­sa­tion col­lec­tive (pour reprendre les termes de Wiki­pé­dia) com­bien qui savent mais se taisent ? Com­bien de vic­times de la pres­sion sociale, de la crainte des risques per­son­nel­le­ment encou­rus et dont la parole aurait pu écar­ter des menaces graves pour nos socié­tés ? Là encore l’ac­tua­li­té regorge d’exemples, de Wiki leaks aux scan­dales du média­tor, de l’a­miante, des fraudes fis­cales mas­sives, du dopage d’E­tat. des sportifs…

Dans un contexte où règnent ouver­te­ment impuis­sance poli­tique, omer­ta, inté­rêts divers et lob­bies, hié­rar­chies, inté­rêts per­son­nels, les contre pou­voirs orga­ni­sés et les corps inter­mé­diaires comme nos sys­tèmes de repré­sen­ta­tion montrent leurs limites…et la fré­né­sie média­tique (le théâtre média­tique?) n’est plus garante d’information, au contraire.

Révé­la­teurs de ce qui ne doit pas être connu, bri­seurs de tabous, lan­ceurs d’alerte estam­pillés ou simples « rive­rain inquiet », doivent donc être écou­tés, encou­ra­gés, pro­té­gés si nous vou­lons retrou­ver le goût de la démo­cra­tie, de la vraie.

Même au prix de dérives pos­sibles, il nous faut donc être très atten­tifs aux réac­tions et infor­ma­tions des « rive­rains inquiets », et pas seule­ment de ceux qui habitent près d’une cen­trale nucléaire qui com­mence à res­sem­bler à une bombe à retardement.

C.R