La dette mul­hou­sienne explose. Pour que ça ne se voit pas trop, l’Ad­joint char­gé des finances, Phi­lippe Mai­treau, s’est livré à une par­tie de bon­ne­teau devant un conseil muni­ci­pal qui n’y a vu que du feu. Les contri­buables mul­hou­siens sont aus­si à comp­ter au nombre des gogos : ils ont déjà eu droit à des aug­men­ta­tions des impôts locaux, et il y en aura d’autres, peut-être dès 2017. Alors qu’il serait pos­sible de pro­cé­der autrement.

Je t’en­fume avec un powerpoint…

Le débat sur les orien­ta­tions bud­gé­taires 2017 était à l’ordre du jour du conseil muni­ci­pal de Mul­house, le jeu­di 13 octobre 2016. Pour Phi­lippe Mai­treau, les finances de la ville sont saines et équi­li­brées. Et, qu’on se le dise : Phi­lippe Mai­treau « maî­trise » par­fai­te­ment la dette. C’est la for­mule magique de maitreaul’Ad­joint aux finances ; répé­tée avec aplomb, elle fait office d’é­cran occul­tant l’es­sen­tiel. Tan­dis que sur un autre écran est pro­je­té un splen­dide power­point, orné de gra­phiques colo­rés et impec­cables, éla­bo­rés par le très sérieux cabi­net Klop­fer. Irré­pro­chable et péda­go­gique, non ? En tout cas, en l’ab­sence d’op­po­sants cohé­rents, c’est d’une grande effi­ca­ci­té pour élar­gir le cercle des gogos que même des scep­tiques peuvent être ten­tés de rejoindre.

D’au­tant que les don­nées réelles sont beau­coup moins sédui­santes : de décembre 2014 à sep­tembre 2016, la dette publique mul­hou­sienne est pas­sée de 172 mil­lions d’eu­ros à 214,7 mil­lions d’eu­ros, soit une aug­men­ta­tion de plus de 42 mil­lions d’eu­ros en moins de deux ans. C’est à dire un bond de 25% pour une dette qui était déjà dif­fi­ci­le­ment sou­te­nable dans une ville dont le poten­tiel fis­cal est par­ti­cu­liè­re­ment bas.

De fait, la méca­nique de la dette s’est embal­lée depuis que les res­pon­sables muni­ci­paux ont accep­té de payer une ran­çon de 19 mil­lions d’eu­ros exi­gée par des finan­ciers voyous tapis dans une banque dont per­sonne n’a même osé pro­non­cer le nom (1). Dans cette affaire, contraints de sous­crire en sep­tembre 2015 un fara­mi­neux emprunt d’un mon­tant de plus de 52 mil­lions d’eu­ros auprès de la SFIL/CAFFIL (ex Dexia), les élus vont infli­ger aux contri­buables mul­hou­siens le paie­ment de plus de 16 mil­lions d’eu­ros d’in­té­rêts d’i­ci la fin du contrat, pré­vue pour le 1er jan­vier 2035.

19 mil­lions plus 16 mil­lions, cela fait 35 mil­lions d’eu­ros, pré­le­vés dans une ville pauvre et remis à des délin­quants ban­caires. Un scé­na­rio effa­rant, subis par des élus qui viennent ensuite nous expli­quer qu’ils « maî­trisent » la situation…

…Je t’embrouille avec des taux…

Les arti­fices n’ont pas man­qué dans l’ex­po­sé bud­gé­taire de l’Ad­joint le 13 octobre 2016. « Le taux moyen de la dette mul­hou­sienne est en baisse cette année », a‑t-il sou­li­gné. Com­ment peut-il en être autre­ment, puisque sur toute la pla­nète finance les taux baissent, au point de deve­nir par­fois néga­tifs ?! Mais sans doute que l’o­ra­teur espé­rait sug­gé­rer par son boni­ment que c’est le coût glo­bal de la dette qui baisse. Sur ce point, nos lec­teurs curieux et sou­cieux de prendre connais­sance de don­nées signi­fi­ca­tives pour­ront consul­ter ici un docu­ment édi­fiant.

C’est un extrait des déli­bé­ra­tions du conseil muni­ci­pal du 12 octobre 2015 qui décrit ce fameux emprunt de 52 mil­lions d’eu­ros. A la page 3, vous décou­vri­rez un tableau d’a­mor­tis­se­ment, en noir et blanc, sans fio­ri­tures. A la fin de la deuxième ligne, celle qui cor­res­pond au « 1er jan­vier 2017 », on nous annonce un « flux » de près de 4,2 mil­lions d’eu­ros. Il s’a­git de l’an­nui­té de cet emprunt, qui com­prend le rem­bour­se­ment de 2,54 mil­lions de capi­tal et de celui de 1,65 mil­lions d’in­té­rêts dus pour 2016, à un taux exor­bi­tant (2).

…Je te roule dans la farine (fis­cale)…

Voi­là donc 4,2 mil­lions d’eu­ros sup­plé­men­taires à sor­tir de la poche du contri­buable mul­hou­sien ou/et du contri­buable fran­çais via les dota­tions et sub­ven­tions natio­nales. Et ce, uni­que­ment pour l’emprunt sous­crit en sep­tembre 2015. Lequel, rap­pe­lons-le, ne repré­sente que moins du quart de la dette totale mul­hou­sienne. Sou­li­gnons encore une fois qu’emprunter d’un seul coup 52 mil­lions d’eu­ros, pour une ville comme Mul­house, c’est énorme, puisque cela repré­sente à 1 mil­lion près l’é­qui­valent du pro­duit annuel du total des taxes d’ha­bi­ta­tion et fon­cière.

maitreaurottnerCom­ment s’é­ton­ner dans ces condi­tions qu’une nou­velle « hausse modé­rée des impôts » fasse par­tie des hypo­thèses envi­sa­gées par l’Ad­joint aux finances ? Certes, 2017 n’est pas une année comme les autres. La « hausse modé­rée », pas encore déci­dée, pour­rait être repor­tée. Il suf­fi­rait, pour ce faire, d’aug­men­ter encore un peu la dette, en cer­ti­fiant crâ­ne­ment qu’elle reste « maî­tri­sée ». Avant des élec­tions « déci­sives », c’est moins ris­qué que d’a­bi­mer un peu plus ce qui reste des ser­vices publics, ou d’exi­ger des agents ter­ri­to­riaux une aug­men­ta­tion du temps de tra­vail non rému­né­rée pour « maî­tri­ser » la masse sala­riale, ou de dimi­nuer diverses sub­ven­tions asso­cia­tives et cultu­relles, pour ne citer que quelques uns des pro­cé­dés qui ont eu cours ces der­nières années.

Le gou­ver­ne­ment imite Mul­house, ou l’in­verse. Face à l’emballement de la dette de l’E­tat, il a réduit sévè­re­ment le mon­tant des dota­tions affec­tées aux col­lec­ti­vi­tés locales. Cette réduc­tion dras­tique, Phi­lippe Mai­treau l’a sou­vent évo­quée devant le conseil muni­ci­pal. His­toire de sug­gé­rer, dans le jeu de bon­ne­teau, que la dette et les inven­teurs de la logique aus­té­ri­taire pré­sen­tée comme remède, ne sont pas mul­hou­siens. Autre tour de passe-passe : pour prou­ver sa sagesse et ses talents, l’Ad­joint aime redire qu’il a obte­nu d’on fonds de sou­tien de l’E­tat 8,7 mil­lions d’eu­ros pour allé­ger d’au­tant la ran­çon ver­sée à BARCLAYS (en se gar­dant de dire, bien sûr, que ces 8,7 mil­lions servent à cela). Mais ce sou­tien, après tout, n’est-ce pas une dota­tion excep­tion­nelle dont béné­fi­cie Mul­house ? Et qui la paie, sinon les contri­buables fran­çais (donc aus­si des mulhousiens ) ?

Osons un cal­cul que Phi­lippe Mai­treau n’est pas prêt de faire devant le conseil muni­ci­pal : les 4 années « d’ef­forts » cumu­lés – c’est à dire le cumul des baisses des dota­tions éta­tiques aux col­lec­ti­vi­tés locales sur la période 2013 à 2017 – cor­res­pondent pour Mul­house à une perte de res­sources d’en­vi­ron 19,5 mil­lions d’eu­ros en pre­nant en compte la baisse de la baisse (sic) annon­cée par Hol­lande pour 2017. Si on prend éga­le­ment en compte la sub­ven­tion excep­tion­nelle de 8,7 mil­lions d’eu­ros du fonds de sou­tien pour allé­ger la ran­çon BARCLAYS, on en déduit une perte cumu­lée pour la ville de 19,5 – 8,7 = 10,8 mil­lions d’eu­ros. Rap­pe­lons encore une fois qu’un seul emprunt, celui de 52 mil­lions d’eu­ros sous­crit en sep­tembre 2015, va géné­rer, quant à lui, une perte de 35 mil­lions d’eu­ros (inté­rêts + ran­çon BARCLAYS)…

Quelles sont, par consé­quent, les res­pon­sa­bi­li­tés res­pec­tives de l’E­tat et de la Ville dans l’aug­men­ta­tion des impôts locaux à Mul­house ? Et à quels pour­cen­tages d’é­vo­lu­tion peut-on s’at­tendre sachant que l’ap­port des contri­buables mul­hou­siens – à tra­vers les taxes d’ha­bi­ta­tion et fon­cière – fait entrer annuel­le­ment dans les caisses de la ville envi­ron 53 mil­lions d’eu­ros (mon­tant pour l’an­née 2015) ? Ce pour­rait être l’ob­jet d’une étude à confier au cabi­net Klop­fer. Mais il est vrai qu’il n’est guère envi­sa­geable qu’elle puisse don­ner lieu à la confec­tion d’un power­point très sexy…

Et j’es­quive mes responsabilités.

Comme c’est déjà arri­vé sou­vent, le CP68 (3) a dis­tri­bué un tract aux élus muni­ci­paux le jour du conseil du 13 octobre 2016. Il conte­nait une lettre ouverte au Maire de Mul­house et, en annexe, un extrait d’une déli­bé­ra­tion du conseil muni­ci­pal datant du 24 sep­tembre 2012. La ver­sion élec­tro­nique de ce tract est ici. A sa lec­ture, vous y (re)découvrirez l’en­ga­ge­ment de la Ville « dans la lutte contre les para­dis fis­caux » et la sug­ges­tion que fait le CP68 d’al­ler au bout de la démarche pour réus­sir à régler les pro­blèmes bud­gé­taires.image002

Il y a de plus en plus d’é­lus qui refusent le tract que des mili­tants leur tendent à l’en­trée de la salle du conseil muni­ci­pal. Même – comme ce fut le cas en l’oc­cur­rence – lorsque le docu­ment contient la repro­duc­tion d’une déci­sion qu’un cer­tain nombre d’entre eux ont prise durant leur pré­cé­dent man­dat, il y a 4 ans. Quant à savoir com­bien l’ont vrai­ment lu après l’a­voir accep­té, allez savoir…

L’Ad­joint aux finances, lui, l’a­vait lu ; en réponse à une ques­tion posée au sujet de ce tract par une élue d’op­po­si­tion, il a réagi par une esquive : « les banques ont presque toutes signé la charte » (?) a‑t-il lan­cé. Le maire, Jean Rott­ner, pour­tant direc­te­ment concer­né, puisque c’est lui qui était inter­pel­lé et que c’é­tait déjà sous sa res­pon­sa­bi­li­té que cette déli­bé­ra­tion de sep­tembre 2012 a été votée, est res­té muet. Tout comme le(s) élu(s) qui ont pu être à l’i­ni­tia­tive de cet enga­ge­ment anti para­dis fis­caux dont on peine à retrou­ver une trace dans les pro­pos et les actes muni­ci­paux depuis 4 ans.

Ce n’é­tait donc qu’une opé­ra­tion de com’ que les édiles mul­hou­siens pré­fè­re­raient oublier aujourd’­hui ? C’est très pro­bable. Et sauf si un bou­le­ver­se­ment majeur devait sur­ve­nir dans un sys­tème pla­né­taire à bout de souffle, ils conti­nue­ront à appli­quer obs­ti­né­ment les mêmes recettes. Celles qui ont tou­jours échouées si on se place du point de vue de l’in­té­rêt de ceux d’en bas.

A Mul­house comme ailleurs, dette et fis­ca­li­té conti­nue­ront donc à aug­men­ter, plus ou moins, sui­vant les cir­cons­tances. Mais, ras­su­rez-vous, à Mul­house, ces évo­lu­tions seront « modé­rées » et par­fai­te­ment « maî­tri­sées ».

B. Schaef­fer

Le 23 octobre 2016

(1) En l’oc­cur­rence la banque BARCLAYS qui s’est immis­cée dis­crè­te­ment dans le contrat de prêt sans qu’à l’é­poque les élus se méfient. Elle a exi­gé son « dû » qui vient « récom­pen­ser » son coup tor­du : 19 mil­lions d’eu­ros. Pour en savoir plus sur ce qui s’est pas­sé à Mul­house durant l’é­té 2015, voir ci-des­sous les liens menant aux articles publiés dans L’Alterpresse68 l’an­née dernière.

(2) Le taux d’in­té­rêt de 3,27% est en effet exor­bi­tant par les temps qui courent où, pour ceux qui jouent dans la cour des grands des mar­chés finan­ciers inter­na­tio­naux, les taux peuvent être néga­tifs. Ce taux de 3,27% a été impo­sé à la ville par la SFIL/CAFFIL. C’est par ce biais que la banque récu­père une par­tie de la ran­çon (d’un total de 19 mil­lions d’eu­ros) qui a pro­ba­ble­ment été payée cash à la banque BARCLAYS via la SFIL/CAFFIL.

(3) Le CP68 : Le Conseil Popu­laire 68 pour l’an­nu­la­tion des dettes publiques.

(4) Pro­fi­tons-en pour signa­ler que si les élus mul­hou­siens ne sont pas (plus ?) moti­vés par des actions anti para­dis fis­caux, des mili­tants natio­naux d’AT­TAC, eux, res­tent mobi­li­sés. Vous trou­ve­rez ici des pro­po­si­tions d’ac­tions dif­fu­sées récemment.

Pour en savoir plus :

1) Pour en savoir plus sur l’é­pi­sode bud­gé­taire désas­treux de l’é­té 2015 et ses consé­quences, vous pou­vez vous repor­ter aux articles suivants :

Prêts toxiques : des « banks­ters » tentent de bra­quer 20 mil­lions d’euros (Mul­house) (juillet 2015)

Des élus hébé­tés face à une ten­ta­tive de bra­quage sous la menace d’un toxique (juillet 2015)

Une lettre ouverte aux élus mul­hou­siens : un peu d’action, SVP… (juillet 2015)

Grèce, col­lec­ti­vi­tés locales : même Troï­ka, même com­bat ! (juillet 2015)

Dettes publiques de Mul­house et d’ailleurs : dos­sier pour infor­mer et pour agir (c’est un pre­mier bilan réa­li­sé fin juillet 2015, il ren­voie par liens aux articles pré­cé­dents et à d’autres textes per­met­tant de situer l’af­faire dans son contexte).

Confi­den­tia­li­té dosée, démo­cra­tie bafouée et Mul­hou­siens floués (octobre 2015)

A écou­ter : une inter­view d’une heure d’un spé­cia­liste des emprunts toxiques réa­li­sée quelques mois plus tard : Dettes et toxiques : entre­vue audio avec Patrick Sau­rin (février 2016)

2) Pour en savoir plus sur l’at­ti­tude des élus face à ce qui pour­rait être une manière plus per­ti­nente d’af­fron­ter la « crise », voir l’ar­ticle : Richert, Bier­ry, Strau­mann: un trio de masos aus­té­ri­taires, par­mi d’autres (sep­tembre 2016). Dans le der­nier para­graphe : « agir au lieu d’é­lire » des pro­po­si­tions sont faites en rup­ture avec la démarche élec­to­rale clas­sique qui est déjà en train de tout obs­cur­cir, accom­pa­gnées d’une pro­po­si­tion de débat.

Dans le texte : En Alsace, des élus locaux téta­ni­sés face aux délin­quants fis­caux (août 2016) vous trou­ve­rez des exemples alsa­ciens de couar­dise et un exemple alle­mand de cou­rage poli­tique. L’ar­ticle : Trans­port sco­laire : des dingues au volant écra­bouillent la gra­tui­té (sep­tembre 2016) four­nit un exemple pré­cis des consé­quences de cette couar­dise politique.