Il était arrivé la veille de Köln/Cologne en camping-car pour la manifestation à Strasbourg où le Parlement européen se prononçait ce 15 février sur ce qu’on nomme parfois le Tafta 2.
Dans le tram venant de l’Elsau, son badge « Ceta nein » indiquait clairement la raison de sa présence.
Sur la place Kleber, il part à la recherche d’une cinquantaine d’autres militants venus du Bade-Würtemberg et me dit qu’on se reverra plus tard, sans doute. Je lui réponds que ce serait un bon signe si ce n’était pas le cas.
Le cortège se met en route pour une bonne heure de marche jusqu’au Parlement, haut en couleurs et étonnamment jeune. A côté d’une fourgonnette-sono dont la carrosserie bien bosselée témoigne d’un passé mouvementé, un jeune homme lance à tue-tête des slogans et des chansons aux paroles modifiées pour la circonstance, qui s’en prennent au bœuf aux hormones et aux emplois menacés.
Les aigus sont parfois mal timbrés et un peu faux, mais le cœur y est. Je mets du temps à comprendre que « Ceta, cétacé » n’est pas une allusion à un quelconque Leviathan atlantique avaleur de Jonas européen, car qu’il fallait entendre « Ceta, c’est assez » : j’avais encore trop présentes en tête les 400 baleines échouées en Nouvelle-Zélande…
A côté de moi on croque des carottes crues entières. On est entre « mal-bouffe » et question sociale, et les deux préoccupations vont de pair : il est bien vrai que ce n’est pas parce que tout le monde doit manger qu’il faut manger n’importe quoi.
On s’est réjoui, lors du mouvement contre la loi-travail, de la présence de jeunes, ce qui sous-entend qu’ils n’étaient pas majoritaires : ici, la répartition des classes d’âge est beaucoup plus équilibrée, y compris parmi les participants italiens, espagnols, belges, et surtout allemands, dont la présence conséquente fait écho aux très fortes manifestations outre-Rhin de l’an passé.
Un représentant du DGB de Süd-Hessen m’offre un pin’s « soziales Europa » et un bloc de post-it rouge : « c’est la couleur que vous aimez, non ? » Oui, mais pas génial pour lire ce qu’on marque dessus !
Il s’inquiète du rachat d’Opel par PSA : tiens, me dis-je, c’est plus la vilaine Allemagne qui dévore tout sur son passage ? Pour lui, une prise de contact rapide avec les syndicats de Peugeot s’impose.
« Il nous faut une république européenne », dit cet autre, de München, originaire du Palatinat, membre de Verdi et qui travaille dans la « médiation culturelle et artistique». Il prendrait bien la française comme modèle, car il en apprécie la laïcité ; nous, en chœur : « elle n’est pas vraiment au mieux de sa forme en ce moment, inventer autre chose serait préférable ! ».
Il me laisse quelques autocollants, provenant de « frondeurs » du SPD : « si le SPD dit oui au CETA, nous dirons non au SPD ».
Elle, elle est venue de Caen, toute seule : on est plus vite à Strasbourg du Frioul que de Normandie, rappelle un camarade.
La CGT, surtout d’Alsace mais aussi de Lorraine et de Franche-Comté, est présente de façon non négligeable malgré des appels à participation tardifs et quelque peu timides. J’ai pu apercevoir un drapeau à chaque fois isolé de Solidaires, du NPA, du Cercle communiste d’Alsace, et une banderole Unser Land. Le PCF, quant à lui, a semblé vouloir se réserver pour le meeting de Mélenchon en soirée.
C’est manifestement ATTAC, avec sa capacité à mobiliser de part et d’autre des frontières, qui assure le gros des troupes.
Vers la fin du parcours, il faut presser le pas : l’heure du vote approche et il s’agit d’arriver avant elle.
La manifestation s’arrête en face du bâtiment du Parlement, que gardent les eaux de l’Ill semblables à des douves de forteresses. Trois canots pneumatiques avec quelques manifestants à bord paraissent vouloir se lancer, intrépides autant que dérisoires, à l’abordage de la citadelle de verre.
Dans l’attente du signal sonore qui annoncera la conclusion du vote, je vais me prendre deux tartines de fromage et de bon pain à la roulotte de la Confédération paysanne. Il fait beau et presque chaud.
Les résultats tombent : 408 voix pour, 254 contre et 33 abstentions. Issue attendue, mais un orateur rappelle, en anglais, immédiatement traduit en français par une voix féminine et plus jeune, que trois ans auparavant, les tenants du « oui » s’élevaient à 600, et que cette baisse était en soi déjà une victoire.
La lutte continue : on en discutera plus tard dans une salle en ville, car il reste encore à chaque Parlement national à se prononcer pour ou contre, même si on ignore ce qui se passera clairement en cas de refus de l’un d’entre eux.
Un bon millier d’opposants au CETA ont participé à la journée : un peu maigre en proportion de tout un continent concerné.
On en part avec le sentiment qu’une jonction a été ratée une fois de plus, tant les publics des mouvements sociaux récents et de celui-ci sont différents, avec aussi l’interrogation sur les raisons qui rendent un combat du type anti-CETA plus attrayants auprès des jeunes que ceux menés par les organisations politiques et syndicales « classiques », ou « historiques ».
Des combats qui ont pourtant les mêmes cibles et les mêmes objectifs, quels que soient les pays où ils ont lieu, dont celui-ci : sortir par le haut du dilemme qui prend le monde en étau entre sirènes protectionnistes et libre-échangisme débridé. Et cette issue a un nom : coopération internationale en place de concurrence sans entraves.
Daniel MURINGER
Quelques brèves et des liens pour aller plus loin
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Comment ont voté les députés européens ? 408 voix pour, 254 voix contre et 33 abstentions. Pour trouver le détail du vote de chaque député(e) cliquer ici.
- Les commentaires sur les résultats du vote du collectif CAMPACT qui mobilise les opposants allemands au CETA (entre autres) et qui compte bien poursuivre l’action auprès des politiques de leur pays grâce à ses 1,8 million de membres. Lire ici la lettre de Campact (en allemand).
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Attac-France a également réagi : Lire ici l’article paru sur leur site.
- A signaler : l’association Les Amis de la Terre, membre du collectif Stop Tafta qui milite aussi contre le CETA a obtenu de l’adjointe à la démocratie locale de la ville de Strasbourg Chantal Cutajar un soutien matériel aux manifestants anti CETA. Il s’agissait de la mise à disposition de deux gymnases pour loger les manifestants. Pour en savoir plus lire ici l’article paru dans la revue électronique Rue89-Strasbourg.
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Pour lire notre dernier article concernant les accords de libre-échange cliquer là : Il est « CETA » moins cinq, l’heure d’agir !
JJG