La capitaine fracasse dès la rentrée
Ce 26 septembre 2024, l’exécutif mulhousien s’offrait une rentrée explosive, qui méritait bien l’écrin du grand hémicycle de la société industrielle pour se donner en spectacle.
Alors que certains pensaient, ingénument, qu’il aurait à coeur de traiter quelques menus problèmes aussi triviaux que le logement, ou le sort des 36% de mulhousiens vivant sous le seuil de pauvreté, nos chers élus ont préféré gratifier leurs administrés d’un succédané municipal de la série House of cards.
Dans un élan de colère froide, Michèle Lutz, maire de la ville, a précisément résolu de redistribuer ces cartes à la façon d’une tata flingueuse. Elle aura ainsi évincé de sa majorité, ou « dispersé », cinq adjoints , et « ventilé » trois autres conseillers municipaux délégués, en 2 heures et demi, soit la moitié de la durée du conseil municipal.
La traversée du désert des réprouvés pourrait perdurer jusqu’au prochain point d’eau, se situant vraisemblablement à l’approche de l’année électorale 2026. Où Michèle Lutz pourra examiner s’il ne lui conviendrait pas, alors, de renouer sérieusement avec l’artisanat de la coiffure.
Mais au fait, qu’ont donc perpétré ces huit élus pour mériter un bannissement express de la majorité municipale ?
La forfaiture est des plus caractérisées : la huitaine d’homoncules a en effet eu l’infamie de créer son propre groupe politique : « Mulhouse au cœur », dont l’existence associative est attestée depuis quelques mois.
Celui-ci se plaçant, suprême outrecuidance, dans une « sensibilité centriste », tout en se voulant solidaire de la majorité municipale.
Les « conjurés » revendiquèrent cette nouvelle affiliation à la suite des menaces d’exclusion de Christophe Steger (adjoint au Sport), soupçonné de préférer ses obligations professionnelles à son mandat.
De sorte que non content d’être l’exécutif le plus mal élu de France, avec plus de 75% d’abstention et 9,25 % des inscrits à Mulhouse, la majorité municipale, autrefois pourvue de 39 membres, n’en regroupe plus que 31.
Du moins, jusqu’à ce que les fonds de tiroir raclés par le Premier adjoint ne finissent par faire jaillir quelques pauvres diables à ressorts, afin d’occuper la vacance.
LR de rien
Le conseil municipal tenu ce 26 septembre dans l’hémicycle de la société industrielle « pour fêter les 800 ans de Mulhouse à l’occasion de la rentrée », selon les propos de la maire (au lieu de la salle dédiée au sein du parc des expositions), laissait présager dès l’entrée du climat morbide qui allait y prévaloir, par son seul dispositif scénique.
A la tribune, face à l’assemblée, se trouvaient en place Catherine Rapp (adjointe LR), Alain Couchot (1er adjoint LR), Michèle Lutz (maire LR), Florian Colom (adjoint LR), et Regis Ochsenbein (directeur général des services).
Tous observaient le regard torve et le visage impassible la salle se remplir à partir de 14h45, un horaire également inhabituel pour un conseil municipal.
Mis à part Ochsenbein, fonctionnaire territorial, les quatre autres formaient le quarteron local du parti le plus décrédibilisé de France et de Navarre : « Les Républicains ». Dont le score réalisé aux dernières élections législatives, témoigne des profondeurs ectoplasmiques qu’il aura atteint, avec 5,41% des suffrages exprimés.
C’est donc à une reprise en main politique à laquelle le public (inhabituellement fourni) du conseil municipal allait assister, escomptant un pugilat sanglant entre « chers collègues ».
Au lieu de cela, l’ambiance électrique, les regards noirs entre ex-colistiers, les piques acerbes et alliances de circonstance, ont plutôt concouru à former une sorte d’opéra-bouffe balzacien sur près de la moitié de la durée d’un conseil marathonien (près de 5 heures), dont l’exécutif mulhousien maintient la pratique, un mois sur deux.
L’ordre du jour appelait donc tout d’abord à la légalisation de l’éradication à la racine de l’alliance municipale nouvellement rebelle.
Ainsi qu’à l’habitude, Michèle Lutz commence par égrener son texte d’introduction d’un air absent, en débitant un (ordinaire) propos amorphe sur la situation politique nationale, puis en arrive aux considérations personnelles, qui la voit bafouiller et heurter sa lecture, signe évident de tension.
« Je veux dire, très sincèrement, devant notre conseil municipal, les sentiments que m’inspirent cette désertion. D’abord, beaucoup de peine. Des liens qui s’étaient créés dans l’action, la fidélité maintes fois proclamée, les yeux dans les yeux. Ces liens n’étaient manifestement que factices. Je ressens cette désertion comme un coup de poignard dans le dos. Ensuite, un peu de colère. Ma vision de la politique est conforme au sens de l’honneur, mais c’est peut-être une notion qui fait défaut à certains. Quand on accepte un mandat, on l’exerce ou on s’en démet (…). Quand on a des ambitions personnelles, on les assume sans user de prétextes fallacieux (…). Enfin, je ressens une détermination décuplée. Vous faites défaut, nous serons là. La loyauté que je dois à notre ville, aux Mulhousiennes et aux Mulhousiens, me donne encore plus d’énergie (…) »
« Désertion », « coup de poignard dans le dos », « honneur », « loyauté », tout un champ lexical martial est mobilisé par l’édile pour faire état de sa massacrante humeur.
Il est vrai qu’invoquer le registre guerrier est le moins que l’on puisse alléguer lorsque l’on est soi-même si peu légitime. A la fois personnellement (Mme Lutz n’occupe sa place qu’en vertu du bon plaisir de Jean Rottner), et démocratiquement (même si cela affecte l’ensemble des groupes municipaux), puisque être élu sur la base de 9,25% d’un corps électoral, constitue pour le moins une anomalie politique, sinon une aberration démocratique.
Cela dit, si les coupes claires dans une majorité municipale en plein mandat sont choses rares, des épisodes comparables eurent toutefois lieu récemment en France :
A Vénissieux en 2014
En octobre 2014, la maire de Vénissieux, Michèle Picard (PC), retirait les délégations de 7 adjoints sur 15. Cette décision faisait suite à des désaccords au sein de la majorité municipale, notamment sur des questions budgétaires.
A Béziers en 2015
En avril 2015, le maire de Béziers, Robert Ménard (proche du RN), a retiré leurs délégations à 4 adjoints. Cette décision intervenait après des tensions au sein de la majorité municipale et des désaccords sur la gestion de la ville.
A Levallois-Perret en 2019
En juillet 2019, le proverbial maire de Levallois-Perret Patrick Balkany (LR) retirait leurs délégations à 5 adjoints. Cette décision survenait dans un contexte de crise politique locale, alors que le maire était mis en examen dans plusieurs affaires judiciaires.
A Marseille en 2020
En décembre 2020, la maire de Marseille Michèle Rubirola (Les écologistes) retirait leurs délégations à 4 adjoints. Cette décision intervenait dans le cadre d’un remaniement de l’exécutif municipal, quelques mois après son élection.
Mais, à tout le moins, ces exclusions avaient lieu lorsque de solides différends politiques apparaissaient au sein d’un exécutif.
Cécile Sornin (adjointe à la Vie citoyenne, destituée à 32 voix contre 11), Anne-Catherine Goetz (Culture, destituée à 32 voix contre 10), Jean-Philippe Bouillé (Urbanisme, destitué à 32 voix contre 10), Christophe Steger (Sport, destitué à 32 voix contre 10) et Alfred Oberlin (Famille et seniors, destitué à 32 contre 10), ont, en revanche, toujours servis en parfaits petits soldats la maire Lutz.
En outre, trois conseillers municipaux de la majorité ont également été destitués de leurs fonctions, parce que solidaires de leurs collègues : Philippe d’Orelli, Peggy Miquée, et Malika Schmidlin Ben M’Barek.
Ces élus de sensibilité « centriste », ont donc été immédiatement perçus par les cerveaux reptiliens droitiers qui président aux destinées municipales comme autant de conspirateurs ourdissant la mort politique de Michèle Lutz à l’horizon 2026 !
Mais qui donc pourrait fomenter pareil dessein devant tant de cohérence intellectuelle et de maîtrise intellectuelle, manifestée chaque jour par une édile si singulièrement singulière ?
Supplice sino-mulhousien
Avant chaque vote entérinant la cessation des fonctions des adjoints, que ceux-ci ont voulu à bulletin secret (obtenu de justesse grâce à l’apport des voix du groupe Mulhouse cause commune), comme si leurs ex-collègues n’étaient pas mû par un réflexe pavlovien de survie personnelle, se montrant tous d’une remarquable lâcheté, les cinq réprouvés auront plaidé en vain leur cause, et leurs mérites personnels.
S’attirant les remarques faussement désabusées du Premier adjoint, les piques fielleuses de l’expert-comptable Colom préparant ses effets collationnés dans un dictionnaire des citations.
Autant de flèches envoyées aussi bien en direction des ex-adjoints, qu’aux élus de l’opposition de gauche.
Vantant le caractère pluriel de la majorité, avec des adjoints venus de la « gauche », la majorité peut se satisfaire de la caution engrangée en la personne de Jean-Yves Causer, venu des rangs de l’opposition de gauche, puis siégeant en non-inscrit, avant de rejoindre la majorité à la surprise générale.
L’homme dispose d’un véritable passé de militant associatif, syndical et politique, notamment au Front de gauche à Mulhouse.
Jean-Yves Causer, qui qualifiera la maire de « courageuse », aura notamment pour mission le « dépôt de la candidature de Mulhouse au patrimoine mémoriel de l’UNESCO, au titre de son histoire industrielle, construite par des grandes familles et des milliers d’ouvriers ».
Espérons que les « milliers d’ouvriers » ne disparaîtront pas sous le verni des « grandes familles » qui seules importent les bourgeois droitiers sous la direction desquels il a choisi de servir.
Démocratie à usage unipersonnel
Bref, à l’image de ce qui se déroule sous nos yeux hagards au niveau gouvernemental, « les Républicains » et les macronistes se partagent le pouvoir en enjambant rien moins qu’une élection législative, qui a vu la victoire d’une coalition de gauche, relégué ces mêmes « Républicains » en quatrième position avec 5% des suffrages, et lessivé passablement le parti présidentiel.
Près des deux tiers des électeurs, ont ainsi rejeté le macronisme et transmuté LR en organisation politique liliputienne. Qui pis est, ceux-ci ont été élus à la faveur d’un front républicain qu’ils auront rejeté, et qui a cristallisé le rejet du RN à une forte majorité.
Ces « loosers » de la Cinquième république, sont donc aussi ses fossoyeurs, et occupent l’espace et les responsabilités politiques à l’instar de parasites infestant un hôte. C’est-à-dire en prédateurs politiques.
Cette considération vaut pareillement pour Mulhouse, puisque la municipalité est passée dans les mains de LR à la suite d’un « hold-up » on ne peut plus « légal », fomenté en 2010 par Jean-Marie Bockel, socialiste très modéré, lui aussi passé à droite, se dispensant d’interroger les électeurs mulhousiens quant à l’opportunité d’une telle bascule municipale vers la droite.
Et pourquoi donc se soucier de l’avis des citoyens ? Les électeurs mulhousiens votent en si petit nombre ! Quand bien même la ville serait sociologiquement de gauche, comme les résultats de Nadia El Hajjaji (39,04 % des voix avec 61,73 % de participation) et Florence Claudepierre 49,25 % des suffrages pour 54,07 % de participation) l’ont illustré lors des dernières élections législatives.
Mais ce n’est là, somme toute, qu’« une péripétie de plus dans l’histoire de la politique locale, une tempête dans un verre d’eau pour cette rentrée », pour paraphraser Florian Colom lors de ce conseil municipal.
Et l’attaque de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur (également LR), contre l’état de droit, serait-ce l’avant-signe d’un refoulement d’égout sous un clapotis brutalement autoritaire ?
Autres points notables de ce conseil :
Centre de santé à Bourtzwiller
Par un versement de 64 000 euros à Citivia, en charge de l’exploitation du bâtiment, la ville soutient l’association « Consultation d’accès aux soins dans l’agglomération mulhousienne » (CASAM), qui aura la charge de gérer un nouveau centre de santé à Bourtzwiller à partir du 3 novembre 2024, en lieu et place de l’ancienne maison de santé interprofessionnelle, fermée depuis plus de deux ans.
À Mulhouse, selon les chiffres de 2022 de l’ARS, 17% des 16 ans et plus n’a pas déclaré de médecin traitant, dont 2 500 habitants en affection de longue durée (ALD), ou de plus de 60 ans…
Gratuité des transports pour les seniors
La gratuité des transports pour les seniors est opérationnelle depuis le 4 janvier 2021, et a été reconduite.
Le coût de ce dispositif s’élevait à 776 000€ en 2023. Une timide velléité en matière d’élargissement de la gratuité des transports pour tous et toutes commençant enfin à se faire entendre au sein du conseil municipal…