Transparence
Après avoir sollicité vainement M. Sordi pour qu’il réagisse à nos questions, nous avons décidé de publier, ce mercredi 22 mars au soir, ces « 7 questions » que nous avons annoncées dans l’article : Dossier Sordi : on l’approfondit !.
Cet article est le début d’une enquête basée sur des données et des faits qu’il faut bien énumérer et préciser.
On dit bien : début d’enquête. Elle doit être poursuivie. Des citoyens pourront apporter leurs contributions. Des associations, d’autres organes de presse pourraient relayer, approfondir et élargir le dossier. Le déclencheur de tout cela fut, pour « L’Alterpresse68″ une enquête de « L’Alsace » consacrée début février à Michel Sordi et qui soulevait des questions lourdes qui méritent approfondissement.
On peut imaginer que certaines institutions comme la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) pourront trouver là matière à enquêter (1). Soulignons-le : notre démarche s’inscrit dans la voie ouverte par la loi d’octobre 2013 qui a notamment débouché sur la mise en place de la HATVP après l’affaire Cahuzac. Notre seule et unique motivation : l’action publique, donc celle de nos élus, doit être absolument transparente (2). Sinon, comment l’ « apprécier » ?!
Nous allons apporter à nos lecteurs, dans les semaines à venir, des éclaircissements sur divers points et des témoignages qui sont autant de faits troublants. Dans l’analyse, nous porterons des appréciations politiques sur certaines pratiques mises à jour. Lesquelles, rien que sur le plan moral, devraient interroger les électeurs qui peuvent aussi se demander si elles sont conformes au mandat qu’ils ont confié à leur parlementaire.
7 questions de l’équipe du journal électronique « L’Alterpresse68″ à M. Michel Sordi, député-maire de Cernay.
Question n° 1
Dans vos déclarations à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) vous vous dites « chargé de mission auprès de la direction de la construction durable ». Vous avez exercé cette activité professionnelle jusqu’en 2014 pour « HOLCIM FRANCE » qui faisait partie du groupe multinational « HOLCIM ». Vous dites exercer aujourd’hui la même activité pour une multinationale concurrente, « CRH », qui a acheté « HOLCIM FRANCE » en l’appelant « EQIOM ».
Nous nous interrogeons sur le contenu exact de cette activité professionnelle pour laquelle EQIOM a prévu de porter votre rémunération brute annuelle jusqu’à 40 157 euros dans un avenant à votre contrat de travail datant du 19 juin 2014. Dans une réponse que vous avez faite à un journaliste de « L’Alsace », vous avez comparé cette activité professionnelle chez « EQIOM » à celle qu’exerce Jean Kaspar qui fait partie du même groupe de travail que vous chez « EQIOM ». Jean Kaspar s’en est expliqué dans le même quotidien quelques jours après : il joue là un rôle habituel de consultant. Aujourd’hui président de la société « J.K. CONSULTANT », il n’a pas, juridiquement, à s’expliquer ou à se justifier sur une ancienne activité qu’il a cessé d’exercer il y a 25 ans.
En tant que député, Monsieur Sordi, votre situation est tout à fait différente : en exerçant une activité de consultant, fort bien rémunérée, dans un secteur où vous intervenez fréquemment en tant qu’élu, est-ce que vous ne vous mettez pas en situation de « conflit d’intérêts » ?
Question n° 2
D’après vos déclarations à la HATVP, votre rémunération chez « HOLCIM-FRANCE », puis chez « EQIOM », a fait un bond considérable, puisqu’elle est passée de 7 836 euros brute annuelle en 2013 à 40 157 euros brute annuelle annoncée dans un avenant de juin 2014 (pour 32 371 euros brute annuelle déclarée en 2015). Pour expliquer cette énorme progression, en réponse à une question sur ce point posée par un journaliste de « L’Alsace », vous évoquez vaguement des « frais remboursés qu’ils ont décidé de ne plus intégrer ».
Puisque vous avez précisé que vous n’avez pas changé de statut (et donc, substantiellement, de rémunération ?.…), nous nous interrogeons sur le montant étonnant – plus de 75% des sommes que vous auriez touchées – de ces « frais remboursés » qui n’apparaissaient pas dans vos déclarations concernant les années antérieures (de 2009 à 2013) fournies à la HATVP.
Ces « frais remboursés » sont-ils donc si importants ? Et pourquoi vous obligez-vous à les déclarer à la HATVP pour les années 2014 à 2016 alors que vous ne les avez pas déclarés pour les années 2009 à 2013 ?
Question n° 3
La société « HOLCIM BETON GRANULAT HAUT-RHIN » (« HBGHR » dont le siège social est à 68730 BLOTZHEIM) a été créée en 2014, puis enregistrée officiellement en mai 2015 après la fusion des groupes « LAFARGE » et « HOLCIM ». En principe, vous n’en dépendez plus puisque cette fusion de deux géants du béton a conduit les autorités de la concurrence à contraindre le groupe « HOLCIM » à se séparer d’un certain nombre d’actifs qui ont été achetés par le groupe irlandais « CRH » et réunis au sein de l’entité « EQIOM » dont vous dépendez actuellement.
Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles un des établissements secondaires de « HBGHR », celui qui est situé à CERNAY, figure officiellement au greffe du RCS à Mulhouse (sous le numéro de siret 80957403100211) avec l’adresse : 3 FAUBOURG DE BELFORT 68700 CERNAY. Il se trouve que c’est aussi l’adresse de votre secrétariat parlementaire. Il se trouve que c’est également l’adresse officielle de la société « S.G.I.-SAS », enregistrée au greffe du RCS de Mulhouse et dont votre épouse et collaboratrice parlementaire, Anne Sordi, est aujourd’hui la présidente.
Même si on trouve dans les annuaires un numéro de téléphone pour un (autre ?) établissement haut-rhinois de « HBGHR » situé à CERNAY, au lieu dit « La Croisière », avouez, Monsieur le député, que l’attribution de cette adresse (le 3 FAUBOURG DE BELFORT à CERNAY) à trois entités qui devraient normalement n’avoir aucun lien entre elles :
votre secrétariat de député,
la « S.G.I.-SAS », société de gestion immobilière (dont vous êtes toujours administrateur et que préside votre épouse),
ainsi qu’un établissement secondaire de « HBGHR »,
fait vraiment désordre.
Que faut-il en penser ?… S’agit-il d’un malheureux hasard ?… S’agit-il d’une malencontreuse erreur ?… S’agit-il d’une trace, maintenue accidentellement, de vos activités passées au sein du groupe « HOLCIM » ?… Ou s’agit-il d’un lien qui trahirait une activité toujours actuelle, de vous-même ou de quelqu’un de votre entourage ?…
Question n° 4
Dans votre déclaration à la HATVP, vous avez signalé l’existence de cette « S.G.I.-SAS », société de gestion immobilière. Car cette dernière est actuellement présidée par Mme Anne Sordi dont vous aviez l’obligation de mentionner toutes les activités professionnelles, s’agissant d’une de vos collaboratrices parlementaires. Vous avez indiqué aussi à la HATVP que « votre participation financière » à cette société s’élève à 525 000 euros. Vous détenez 99% du capital, soit 3196 actions, avez-vous précisé.
Il nous a paru nécessaire d’en savoir plus en cherchant sur internet.
En 2010, une AG extraordinaire de cette « S.G.I.-SA(S) », rangée dans la catégorie d’activités « location de terrains et d’autres biens immobiliers », désigne Mme Anne Sordi comme présidente. Vous y figurez comme scrutateur, sans autre fonction explicite, alors qu’en 2002 une AG vous avait autorisé à cumuler les fonctions de président de conseil d’administration et de directeur général et à « percevoir la même rémunération que celle fixée précédemment » (donc avant 2002). Lors de l’AG extraordinaire de 2010, la S.G.I. a également changé de statut. Elle s’est transformée en « Société par Actions Simplifiée » ; ce qui la dispense désormais de faire appel au contrôle de commissaires aux comptes.
Le champ des activités couvert par les statuts est très large. Il concerne particulièrement des opérations mobilières et immobilières, le bâtiment, les travaux publics : La « fabrication du béton, (…) la location de tous matériels (…) la participation de la société à toutes entreprises (…) ou groupements d’intérêts économiques » ainsi que « toutes opérations commerciales, industrielles, financières, mobilières et immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à cet objet social (…) » sont notamment envisageables dans le cadre de cette S.G.I.
Un tableau synthétique, qui couvre les années 2008 à 2012 incluses, laisse apparaître un « bénéfice après impôt » très variable, allant de – 7 684 euros (perte en 2009) à 118 065 euros (gain en 2010). Lors de l’AG affectant le résultat de 2012, il a été précisé que le « bénéfice (est intégralement affecté) à la réserve ordinaire » et il a été rappelé « qu’aucun dividende, ni aucun revenu éligible ou non à la réfaction légale, n’ont été distribués au cours des trois derniers exercices. »…
Le chiffre d’affaires hors taxe est plus stable, évoluant de 2008 à 2012 entre 160 000 et 193 000 euros. La masse salariale qui concerne tantôt 1, tantôt 2 salariés, n’évolue qu’assez peu de 2009 à 2012 (entre 16 800 euros et 19 500 euros)…
Une « déclaration de confidentialité » des comptes annuels de 2013, signés par la présidente le 10 novembre 2014 et demandant « une publicité restreinte en application du de l’article L 213–25 du Code de commerce » révèle a minima une crainte de la transparence, hélas confirmée par l’impossibilité d’accéder aux comptes de 2014 et 2015…
A la lecture de ces documents, il nous paraît évident, Monsieur le Député, que l’exigence de transparence posée par le législateur en octobre 2013, et qui est à l’origine de la création de la HATVP, n’est que très partiellement satisfaite en l’occurrence. Et de sérieux doutes surgissent sur la compatibilité de votre fonction de député et du rôle que vous avez joué et que vous jouez sans doute encore dans cette « S.G.I.-SAS ». Ses activités, les flux financiers qu’elle génère, ainsi que son fonctionnement, méritent absolument une clarification de votre part.
Question n° 5
De fil en aiguille, sur internet, nous sommes tombés sur deux sociétés enregistrées au greffe du RCS de Mulhouse : la société « SORDI MICHEL » et la société « MONSIEUR MICHEL SORDI ». Les dates de création sont différentes, mais le siège social se situe à la même adresse de CERNAY. Elles disposent du même numéro siret et sont enregistrées toutes les deux dans la même catégorie d’activité :« location de terrains et d’autres biens immobiliers » (comme la S.G.I.-SAS).
Notre perplexité est d’autant plus grande que nous n’avons pas réussi à trouver d’éléments comptables. Et vous n’avez rien déclaré à leur sujet à la HATVP.
Une autre découverte nous a rendus perplexes : c’est la société « SCI BECCARO », qui est enregistrée à la même adresse de CERNAY que les deux précédentes, et toujours pour le même type d’activité. Mais, si les deux précédentes n’ont pas de mandataire social, la « SCI BECCARO » a un mandataire de type « associé-gérant », en la personne de Mme Anne Sordi. Nous n’avons trouvé aucun bilan sur cette société qui n’apparaît pas sur la déclaration faite à la HATVP où doivent pourtant être mentionnées toutes les activités de votre collaboratrice parlementaire.
Pourquoi ces manquements à l’obligation de déclaration à la HATVP ?
Question n° 6
Dans votre déclaration de décembre 2016 à la HATVP, vous précisez dans un commentaire que vous ne participez plus aux organes dirigeants d’ « Espace Rhénan SAEM ». Il peut difficilement en être autrement puisque cette société anonyme d’économie mixte, rangée dans la catégorie « construction d’autres ouvrages de génie civil », a été radiée du RCS le 22 octobre 2014 !…
En poussant un peu plus loin nos recherches, nous avons découvert un rapport de la chambre régionale des comptes sur la commune de CERNAY, daté du 16 décembre 2010, qui évoque longuement et sur un ton particulièrement sévère votre gestion de la société « Espace Rhénan » dont vous étiez le président du conseil d’administration en tant que maire de cette commune.
Trois ans plus tard, en octobre 2013, on pouvait lire dans un compte-rendu d’un conseil municipal de Masevaux : « … un protocole d’accord avec le groupe « DOMIAL/PLURIAL », visant à éviter une cessation de paiement [de la « SAEM ESPACE RHENAN »] est proposée. Ce protocole, que la ville de Masevaux, en sa qualité d’actionnaire d’ « ESPACE RHENAN », devra valider, prévoit la fusion de la « SAEM ESPACE RHENAN » avec la « SA HLM HABITAT FAMILIAL D’ALSACE ».
Il est également précisé dans ce compte-rendu de conseil municipal que « Le groupe « DOMIAL » s’est porté garant en apportant des avances de trésorerie demeurant impayées. »
Quand « ESPACE RHENAN » a frôlé la « cessation de paiement » en 2013, vous étiez toujours, en tant que Maire de CERNAY, le principal dirigeant de cette société dont les activités étaient proches de ce que vous avez appelé « la profession » – en réponse à un journaliste de « L’Alsace » qui vous questionnait sur vos activités chez « HOLCIM » puis « EQIOM » – en vous targuant [d’avoir] « quand même de l’acquis en la matière »…
En relativisant cet « acquis », nous nous interrogeons surtout, Monsieur le Député, sur la méthode mise en œuvre pour faire « disparaître » la société « ESPACE RHENAN » et ses difficultés financières. A la lecture du compte-rendu du conseil municipal de Masevaux on apprend que le secteur des bailleurs sociaux (à travers « DOMIAL/PLURIAL » et « SA HLM HABITAT FAMILIAL D’ALSACE ») est contraint d’assumer le problème. In fine, le montage financier se fait au détriment de locataires dont les organismes bailleurs sont déjà fragilisés par de lourdes dettes… qu’ils garantissent intégralement auprès… des collectivités locales !…
Le choix d’un tel montage financier, risqué et immoral, s’est sans doute fait collectivement. Vous-même, l’avez-vous suscité ou approuvé ? Et ne pensez-vous pas qu’une plus grande transparence sur ce genre de décisions et leurs conséquences serait nécessaire ?
Question n° 7
Le journal « L’Alsace » a mené une enquête aux conclusions assez sévères sur « la réalité de l’activité d’assistante parlementaire d’Anne Sordi auprès de son mari Michel » pour écrire que « L’affaire évoque, à un degré moindre, le cas de Mme Fillon ».
A notre sens, vos réfutations et explications n’ont guère été convaincantes. Peut-être allez-vous les préciser ? Ou vous les réservez à des autorités qui les auraient exigées ?
L’équipe de L’Alterpresse68
Notes (qui renvoient à l’introduction qui précède les « 7 questions »)
(1) Nous avons envoyé une copie des « 7 questions » à la HATVP, ainsi qu’à des associations agréées par la HATVP, comme « Anticor » et « Transparency International France ». Et à d’autres : voir l’article précédent : Dossier Sordi : on l’approfondit !
(2) « L’Alterpresse68 » a toujours milité pour la transparence et mis en lumière la face cachée de l’action des élus :
Nous l’annoncions en février 2015 dans un article, Opération transparence (dettes publiques) : L’Alterpresse 68 s’y associe volontiers (7 février 2015), qui renvoie à une longue série de textes où l’on voit notamment, dans le scandale du « toxique » mulhousien, les élus municipaux accepter sans réagir l’omerta imposée par les banques : Confidentialité dosée, démocratie bafouée et Mulhousiens floués (octobre 2015).
La dimension financière camouflée de la fusion forcée entre « M2A » et la communauté de communes « Porte de France Rhin Sud » a aussi été révélée : Dettes et toxiques bockéliens polluent jusqu’au Rhin (janvier 2016).
Idem pour celle que cachait Philippe Richert pendant la campagne électorale des régionales : Richert : du culot à revendre, des dettes à fourguer (novembre 2015).
Ou celle dont Eric Straumann ne voulait pas parler à son arrivée à la tête du département : Straumann a choisi la finance contre l’humain. Pas (encore) l’inverse… (mars 2016).
Le silence apeuré et un tantinet complice de la plupart des élus alsaciens face à la délinquance fiscale a été pointé : En Alsace, des élus locaux tétanisés face aux délinquants fiscaux (août 2016).
Pour Mulhouse, les conséquences fiscales des choix inavoués des élus ont été décrits : Dette et fiscalité à Mulhouse : c’est Maitreau, bonneteau, gogos ! (octobre 2016).
Et si presque tous les élus locaux, dont le député Michel Sordi, ont manifesté à Thann, début novembre 2016, pour défendre les « Urgences », aucun n’a évoqué les véritables raisons de la situation, rappelées dans « L’Alterpresse68″ : Urgences de Thann et réforme hospitalière : on ne nous dit pas tout ! (novembre 2016).
Info complémentaire :
Avant ces « 7 questions » publiées le 22 mars, un article les a annoncées le 8 mars 2017 : Dossier Sordi : on l’approfondit ! Et suite au renoncement du député à une nouvelle candidature, un autre article a été publié le 27 mars : Dossier Sordi : le député laisse béton ?! Nous pas !
Un quatrième article a été mis en ligne le 18 avril : Dossier Sordi : missions spéciales et mutisme spécieux
Un cinquième article a été mis en ligne le 29 mai : Dossiers Sordi et Stocamine : sortons la vérité du fond du trou ! ; un autre, publié le même jour, le complète en proposant une action qui vise à y voir plus clair sur le dossier Stocamine : Pour une enquête parlementaire sur le dossier Stocamine