Le 13 juillet dernier, une très sympathique manifestation fêtait, au siège du syndicat DGB à Freiburg (Fribourg), la création, en 1947, du premier syndicat confédéré de l’après-guerre en Allemagne. Ce « BGB », Badische Gewerkschaftsbund s’est constitué deux ans avant la confédération DGB, « Deutscher Gewerkschaftsbund » en 1949. De nombreux syndicalistes (dont la CGT et la CSS helvète), des représentants des institutions sociales, du monde politique, des organisations patronales étaient présentes. L’ambiance était moins commémorative que constructive : le DGB lance une campagne « Syndicat 4.0 : un défi pour le futur »…

 

Vic­times des nazis et recons­truc­teurs de la nou­velle Allemagne…

Cela se pas­sait donc en mars 1947… Deux ans après la période nazie sous la férule d’une admi­nis­tra­tion fran­çaise puisque la France était, aux côtés de la Grande-Bre­tagne, des Etats-Unis et de l’Union sovié­tique, une des forces contrô­lant  une par­tie de l’Allemagne.

On ne dit pas assez que les vic­times des nazis étaient d’abord des Alle­mands : dès  début 1933, après les com­mu­nistes en février, les syn­di­ca­listes et les membres du Par­ti socia­liste seront inter­nés dans les pre­miers camps de concen­tra­tion construits pour éli­mi­ner phy­si­que­ment l’opposition de gauche (puis tous les autres) au NSDAP.

En 1947, les syn­di­ca­listes res­ca­pés des camps et de la guerre, consi­dèrent qu’il faut créer un contre­pou­voir au capi­ta­lisme qui veut recons­truire l’Allemagne et veulent que les syn­di­cats soient asso­ciés aux déci­sions éco­no­miques et poli­tiques pour rele­ver le pays de ses ruines. De là naquit la fameuse « Mit­bes­tim­mung » qui carac­té­rise le syn­di­ca­lisme allemand.

Dès février 1946, un « Freier Deut­scher Gewerk­schaf­sbund » est crée en zone Sovié­tique. Quelques mois après, un syn­di­cat est crée en Hesse en zone US et, dans la zone bri­tan­nique, un « DGB » se consti­tue dès avril 1947 à Bie­le­feld. Puis, peu à peu sept orga­ni­sa­tions syn­di­cales se crééent dans les Län­der et fusionnent en octobre 1949 à Munich pour for­mer le DGB que nous connais­sons encore aujourd’hui.

Sous occu­pa­tion fran­çaise… le sou­tien des syn­di­cats français

La zone fran­çaise inté­grait Rhein­land-Pflaz  (Rhé­na­nie-Pala­ti­nat), le Saar­land (Sarre), Baden-Würt­tem­berg, une par­tie de Bayern (Bavière) et quelques dis­tricts de Berlin.

Les forces d’occupation fran­çaises avaient auto­ri­sé l’activité syn­di­cale dès le 10 sep­tembre 1945. En Baden-Würt­tem­berg, de nom­breuses sec­tions locales et de branche se créèrent dans la fou­lée et les effec­tifs syn­di­caux gran­dis­saient rapi­de­ment. Aus­si­tôt appa­rut le besoin de s’unir au sein d’une « confé­dé­ra­tion » en créant  un  « Badi­scher Gewerkschaftsbund ».

Le très gaul­liste gou­ver­neur mili­taire Marie-Pierre Koe­nig voit plu­tôt d’un mau­vais œil la consti­tu­tion d’une confé­dé­ra­tion syn­di­cale sur le ter­ri­toire. Il fal­lut une forte expres­sion de soli­da­ri­té des syn­di­cats fran­çais CGT en tête avec la CFTC, pour que les syn­di­ca­listes alle­mands puissent consti­tuer leur orga­ni­sa­tion confé­dé­rale. Ce fut chose faite en mars 1947 avec pour­tant des res­tric­tions de liber­tés syn­di­cales qui mon­traient bien le visage social du gaul­lisme : le rôle du syn­di­cat était limi­té exclu­si­ve­ment à gérer les rela­tions sala­riés-patro­nat, les syn­di­ca­listes ne pou­vaient être actifs en poli­tique, les grèves étaient inter­dites… ain­si que de défi­ler avec le dra­peau rouge !

Un article de la Badische-Zei­tung narre en détail cette période. A lire sous http://www.badische-zeitung.de/wirtschaft‑3/hunger-wiederaufbau-und-betriebspolitik–139267779.html

Regar­der vers le futur…

En accueillant ses invi­tés dans le très bel immeuble moderne du DGB à Frei­burg, Jür­gen Höf­flin, le pré­sident du DGB de la Région Bade du Sud ne man­qua pas de rap­pe­ler la soli­da­ri­té des syn­di­cats fran­çais dans la consti­tu­tion du BGB.

La convi­via­li­té du moment n’empêcha pas d’engager le débat sur le futur du syn­di­ca­lisme en Alle­magne. Mar­tin Kunz­mann, le pré­sident du DGB du Baden-Würt­tem­berg expo­sa la volon­té de son orga­ni­sa­tion d’être pré­sente dans le sala­riat actuel dans l’économie 4.0. Le main­tien de la poli­tique sociale acquise et sur­tout la cam­pagne lan­cée par le DBG pour la pré­ser­va­tion de la retraite, étaient les deux points forts de son inter­ven­tion. Le fait que seuls 50% des sala­riés soient actuel­le­ment cou­verts par une conven­tion col­lec­tive, et ce nombre régresse conti­nuel­le­ment, est sûre­ment la rai­son de vou­loir étendre la pré­sence des syn­di­cats auprès des sala­riés du monde numé­rique si sou­vent vic­times de la précarité.

 La secré­taire de Ver­di, Mela­nie Kühn rap­pe­lait que les syn­di­cats ont la capa­ci­té de le faire comme le prouve l’instauration d’un salaire mini­mum légal. « Sans les syn­di­cats, une telle avan­cée n’aurait jamais pu se faire », insista-t-elle.

Un repré­sen­tant des jeunes syn­di­ca­listes, Bene­dikt Rube, encore étu­diant, appe­la à l’unité des syn­di­cats mais éga­le­ment à une volon­té d’être plus com­ba­tif. Et de rap­pe­ler qu’une plus grande soli­da­ri­té avec les syn­di­cats fran­çais lut­tant contre la loi tra­vail aurait été salu­taire. Une bonne rai­son de rap­pe­ler ici que le contraire est éga­le­ment vrai : même en Alsace, les syn­di­cats n’ont pas tou­jours le réflexe soli­daire avec leurs col­lègues alle­mands qui, à quelques petits dizaines de kilo­mètres, se battent bien sou­vent qu’on ne le croit, pour défendre leurs acquits.

Un appel aux actions com­munes transfrontalières

La pré­si­dente du Conseil syn­di­cat Inter­ré­gio­nal des Trois Fron­tières, Katrin Dist­ler, a tenu à invi­ter des syn­di­ca­listes fran­çais et suisse à cette mani­fes­ta­tion. Occa­sion de rap­pe­ler qu’une ins­tance syn­di­cale inter­na­tio­nale locale existe, elle est très active dans son domaine (sui­vi du sta­tut des fron­ta­liers, connais­sance des situa­tions sociales au-delà des fron­tières…) et est une éma­na­tion de la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats. Une meilleure prise en compte de cette ins­tance par les syn­di­ca­listes des trois pays per­met­trait une coopé­ra­tion plus grande et de faire entendre un peu plus fort les attentes sociales du monde du tra­vail. A médi­ter dans la période dif­fi­cile qui s’ouvre pour l’ensemble du mou­ve­ment syn­di­cal, ici et ailleurs.

Michel Mul­ler