F. Jordan, président de M2A et son vice-président chargé des finances, A Homé, ont répondu fin juin au collectif haut-rhinois CP68 qui les avait interpellés deux mois plus tôt (voir l’article : Budget M2A sinistré : des aveux et un désaveu). En rédigeant fin juillet une nouvelle lettre ouverte adressée aux deux édiles pour leur (re)demander une gestion transparente, le CP68 a évoqué un problème qui a fait la une de l’actualité en ce début août : celui de la dotation étatique accordée aux collectivités qui va encore baisser de 300 millions d’euros d’ici la fin 2017, suite à une décision brutale du gouvernement qui donne priorité à la finance.
Nous reproduisons intégralement ci-dessous la lettre ouverte du CP68, datée du 2 août 2017 et adressée à MM. Jordan et Homé. Les défaillances persistantes de la « nouvelle gouvernance » de M2A en matière de transparence, vont sans doute de pair avec les choix libéraux et austéritaires, toujours privilégiés, notamment dans le domaine de la gestion de la dette publique.
C’est ce que souligne le collectif haut-rhinois qui fait des propositions concrètes, acceptables par des dirigeants qui souhaiteraient sincèrement que la transparence devienne effective. Mais une gestion plus transparente entraînera-t-elle nécessairement une prise de conscience débouchant sur d’autres choix économiques et politiques ? Un débat sur ce problème de fond va-t-il au moins s’engager ? Si le CP68 le souhaite, les élus semblent plutôt résignés, comme partout.
La lettre ouverte du CP68 à deux dirigeants de M2A :
président de M2A
(Fabian.Jordan@mulhouse-alsace.fr)
et à Monsieur A. Homé, vice président, chargé des finances et du budget de M2A)
Mulhouse, le 2 août 2017
Messieurs,
Nous vous remercions d’avoir pris le temps de répondre le 27 juin 2017 à notre courriel du 10 mai 2017 où nous vous demandions de faire preuve de davantage de transparence dans la gestion de M2A que ne l’a fait l’ancienne gouvernance sous l’égide de J.M. Bockel.
Nous regrettons cependant que vous n’ayez pas « répondu pleinement à nos questionnements », pour reprendre votre formule. Vous semblez en effet abandonner quelque peu la volonté de transparence manifestée à l’occasion de la diffusion début mars d’un document budgétaire où la réalité, inquiétante, était décrite sans détours. Dans votre réponse, vous n’évoquez plus que quelques « tensions » budgétaires, en contournant des sujets essentiels.
Le(s) toxique(s)
Nous insistons : nous souhaitons obtenir des précisions sur l’opération dite de « sécurisation » de l’emprunt toxique indexé sur la parité euro/franc suisse et souscrit par M2A auprès de la banque Dexia.
Sur ce point précis, vous ne pourrez pas être totalement transparents si vous ne divulguez pas toutes les données du tableau d’amortissement du nouvel emprunt que M2A a dû effectuer pour rembourser l’emprunt toxique et pour payer la soulte (pénalité de remboursement anticipé) exigée par Dexia qui a probablement agi au profit d’une autre banque, dite de « contrepartie », dont le nom est resté secret. Si besoin est, nous sommes prêts à vous rencontrer en présence d’un responsable des services financiers de M2A qui pourra fournir ces éléments, apparemment « techniques ». Ils ne revêtent une importance « politique » que lorsqu’ils sont totalement explicités et mis en perspective. Leurs conséquences deviennent alors perceptibles par les élus et les citoyens qui, jusqu’ici, ont été embobinés par des données incomplètes, jetées en vrac et à contretemps.
Sans vouloir polémiquer inutilement, nous trouvons stupéfiant que vous puissiez laisser entendre que cette « sécurisation » – dont vous avez précisé qu’elle a eu lieu début septembre 2015 – s’est déroulée en toute transparence. Quel citoyen de M2A sait ce qui s’est réellement passé ?!… Et combien d’élus le savent ?!… A la même époque, avant et pendant l’été 2015, le CP68 a réussi à briser l’omerta organisée autour de la « sécurisation » d’un autre emprunt toxique qui concernait la seule ville centre. Aujourd’hui encore, quand nous évoquons le bilan catastrophique de cette opération, les élus de Mulhouse se réfugient dans le déni : ils refusent d’admettre que les contribuables vont devoir payer à terme à des délinquants de la finance une quarantaine de millions d’euros pour un capital restant dû d’une dizaine de millions d’euros. Un rapport de 1 à 4, qui, si on laisse faire, va lourdement grever le budget de la ville-centre pour plusieurs décennies.
Vous-mêmes, le saviez-vous ?… Et vous a‑t-on indiqué – à l’époque vous étiez membres de M2A – si les proportions de l’escroquerie bancaire ont été les mêmes pour l’emprunt toxique de l’agglo ?… Et avez-vous été informés en détail de la « sécurisation » d’un autre toxique qui pollue le budget du SIVOM de l’agglomération mulhousienne ?… Et est-ce que les conseillers communautaires ont été incités à évaluer précisément les incidences lourdes de tous ces toxiques sur l’ensemble des communes désormais membres de M2A ?…
Dans l’affaire du toxique de l’agglo, tous les élus se sont pliés aux diktats des organismes financiers. Quand ces derniers ont exigé illégalement que les clauses scandaleuses de la « sécurisation » restent confidentielles – et donc méconnues des citoyens – pas un seul conseiller communautaire n’a osé réagir. Ils ont fait aveuglément confiance à J.M. Bockel auquel ils ont accordé tous les pouvoirs en matière de gestion de la dette (une délégation de gestion a été votée en avril 2014). Une résignation qui a coûté cher, puisqu’elle est à l’origine d’une perte probable de plusieurs millions d’euros, si on en croit les informations confuses fournies aux élus communautaires près d’un an après la fameuse « sécurisation », que vous appelez aussi « désensibilisation », abusant d’un vocabulaire mystificateur. Les élus n’ont pas seulement été mis devant le fait accompli plusieurs mois après le méfait, « à l’occasion du débat d’orientation budgétaire 2016″, comme vous le dites. Ils n’ont eu droit, à ce moment là, ni au montant exact du surcoût accordé à des escrocs bancaires, ni au nom de la banque qui en a bénéficié. Il est vrai que lesdits élus n’ont rien demandé… Découragés face à des données tronquées qu’ils ne maîtrisent pas, ou effrayés par ce qu’ils risquaient de découvrir en se montrant plus curieux ? On ne sait trop…
Une chose est sûre : de telles méthodes n’ont rien à voir avec une gestion transparente qui pourrait constituer un obstacle à ces ruineuses pratiques.
Il ne saurait y avoir de véritable transparence sans l’observation de certaines règles. Alors qu’en matière de dette publique il conviendrait de faire preuve de rigueur et de pédagogie, vous usez dans votre réponse du 27 juin 2017 d’un détestable procédé – probablement inspiré par des éléments de l’ancienne gouvernance – en mettant en avant un chiffre trompeur : « les prêts structurés (…) n’ont jamais représenté que 2,47% de l’encours de dette au moment de la désensibilisation »… écrivez-vous. 2,47% ?!… Avec un pourcentage aussi faible, pas de quoi s’émouvoir, n’est-ce pas ?!… Les Mulhousiens de l’ancienne gouvernance ont souvent eu recours à cette technique d’enfumage. Ils l’ont parfois accompagnée d’une autre allégation : c’était, affirmaient-ils, dans un « souci de diversification de l’encours » qu’ils ont souscrit des emprunts « structurés ». Au moins, avez-vous évité de reprendre cette médiocre argutie…
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’être transparent pour le plaisir d’être transparent. Il ne s’agit pas davantage d’enquiquiner des élus pour le plaisir de les enquiquiner. Il s’agit de mettre à jour un problème central, obstinément camouflé. Celui des effets ravageurs des dettes publiques.
De ce camouflage résulte une double conséquence : l’absence d’une prise de conscience des élus et des citoyens de la gravité de la situation budgétaire d’une part, et, d’autre part, l’incapacité qui en résulte de proposer collectivement des solutions pour sortir de cette « crise » qui s’aggrave et dans laquelle on semble vouloir s’enfermer jusqu’à ce que survienne la catastrophe.
Prenons un exemple tiré de l’actualité de ces derniers mois : la « crise » budgétaire est telle à M2A que des fermetures de cantines scolaires sont envisagées. Quand vous payez prioritairement, et rubis sur l’ongle, une rançon aux prédateurs de la finance, vous faites un choix. Quand ce sont des enfants scolarisés, et parmi les plus démunis, qui sont victimes de ce choix, cela donne un aperçu consternant et même scandaleux de ce que des élus peuvent s’obliger à faire (il n’y a pas que M2A qui est concernée en l’occurrence). Ils le font en catimini, parce qu’ils n’en sont pas forcément très fiers : on veut croire en effet que c’est par honte que le problème n’a pas été mis à l’ordre du jour du dernier conseil M2A, fin juin. En tout cas, là non plus, la transparence n’y a pas gagné !…
La dette du budget annexe des transports
Dans notre courriel du 10 mai 2017 nous demandions également la mise en place d’un audit sur la dette du budget annexe des transports. Vous n’avez pas répondu sur ce point. Il y aurait là une belle occasion de donner un peu de consistance au concept de transparence et sans doute de quoi permettre diverses prises de conscience, voire de quoi échafauder des propositions à mettre en œuvre. Nous renouvelons donc notre demande.
Si la genèse de cette dette qui pèse sur le budget transport est particulière, son montant est considérable, de votre propre aveu (voir le document budgétaire que vous avez diffusé). Alors pourquoi refuser de faire la clarté sur cette question ? Les propos sévères tenus à ce sujet par l’ancien conseiller communautaire Pierre Freyburger (propos rappelés ci-dessous) devraient retenir l’attention d’élus soucieux d’une saine gestion.
Entretenir l’illusion d’un règlement des problèmes de fond qui touchent aux transports en se contentant de quelques promesses ponctuelles (pour Wittelsheim ou pour les communes de la bande rhénane, par exemple ; voir les quotidiens locaux du 26 juillet 2017) ne peut conduire qu’à des déconvenues identiques à celles survenues sous l’ancienne gouvernance. S’il persistait, votre refus implicite de mettre en place un audit sur la genèse du budget annexe des transports pourrait donner à penser que vous en craignez les conclusions. En tout cas, vous mettriez un obstacle sérieux à une prise de conscience collective de la gravité de la situation. Et la recherche d’une solution à ce problème essentiel pour le devenir de l’agglo en serait entravée.
Les solutions existent ; la transparence pourrait les faire émerger…
Car les solutions existent. Elles passeront essentiellement par la volonté de lutter contre la captation des richesses par une infime minorité. Une captation qui s’effectue en partie par un mécanisme d’accumulation des dettes publiques, actionné par des acteurs financiers hors contrôle.
L’actualité politique vient encore de mettre à jour les insurmontables contradictions dans lesquelles vous vous enfermez. Le « nouveau » pouvoir vient en effet de décider une nouvelle cure d’austérité pour les collectivités, pire encore que la précédente. « 13 milliards d’euros au lieu de 10 sur 5 ans » nous dit-on, pour l’instant, de manière confuse. Certains vont jusqu’à annoncer : « Macron engage le big bang des finances et de la fiscalité locales » (« Les Echos » du 18 juillet 2017).
Tout porte à croire que vous apporterez sagement votre contribution au nouvel « effort » demandé en vous contentant de gémir, une nouvelle fois, comme vous l’avez fait dans votre réponse, sur la « baisse importante de la DGF ». En vous gardant bien de dire que cette « baisse importante de la DGF » correspond tout bêtement au paiement – considéré comme prioritaire, tant au niveau français qu’européen – de la dette publique étatique et de ses intérêts, qui vont croissant.
Que ce soit le nouveau pouvoir macronien, ou les anciens, hollandais, sarkoziste, etc, que ce soit l’ancienne ou la nouvelle gouvernance de M2A, tous ont toujours donné ou continuent de donner une priorité absolue aux exigences de la finance. Quitte à sacrifier les services publics, quitte à augmenter les impôts, quitte à s’attaquer aux acquis sociaux, quitte à renoncer à des investissements vitaux, ce sont, fondamentalement, toujours les mêmes choix économiques libéraux qui sont imposés.
Répétons-le : d’autres choix sont possibles ; à son modeste niveau, le CP68 en a déjà proposés (voir ci-dessous). Sans avoir l’outrecuidance de vous demander d’y adhérer, nous nous permettons cependant, concrètement, de vous suggérer une façon de faire qui pourrait être de nature à faciliter au moins quelques prises de conscience politiques partielles dans les rangs de M2A : nous vous proposons de rendre systématique la publication complète des données du tableau d’amortissement de chaque emprunt effectué. Et ce, bien entendu, dans le cadre du débat qui devra nécessairement précéder la décision d’effectuer, ou non, l’emprunt. Ce qui suppose, bien sûr, que le conseil M2A abandonne le procédé qui consiste à déléguer ce pouvoir à son seul président. (Soit dit en passant, appliqué brutalement, ce type de pratiques opaques et autoritaires a été à l’origine de reproches émanant de la Chambre Régionale de Comptes à l’encontre de votre prédécesseur mulhousien lorsqu’il gérait la ville-centre…).
Il faut reconnaître que la mise en œuvre de pratiques de transparence n’est pas chose facile. Même si, en l’occurrence, il s’agit de mettre en place pour la collectivité une façon de faire qui s’applique depuis longtemps pour les prêts qu’effectuent les particuliers. Pour vous faire une idée des intérêts, et donc des résistances que vous devrez affronter, nous sommes allés examiner le tableau d’amortissement – miraculeusement sauvé de l’opacité – du prêt effectué durant l’été 2015 pour « sécuriser » l’emprunt toxique de la ville de Mulhouse. On y apprend qu’au cours de la seule année 2017 il va falloir payer 4,2 millions d’euros en remboursement pour ce seul prêt (intérêts + capital). Son remboursement durera jusqu’en 2035. A terme, le contribuable mulhousien aura versé 16,432 millions d’euros pour les seuls intérêts de ce prêt, et ce, au profit de banquiers voyous…
A la vue de ces montants, et à l’idée de ce que l’on pourrait en faire dans l’intérêt de tous, nous vous prions de croire, Messieurs, que l’envie de chercher – et de mettre en œuvre – d’autres solutions nous vient. Pas à vous ?…
Le CP68
Pour en savoir plus :
La lettre du 10 mai 2017 que le CP68 a adressée à MM. Jordan et Homé a été insérée dans un article paru dans L’Alterpresse68 : Budget M2A sinistré : des aveux et un désaveu.
La réponse, datée du 27 juin 2017, de MM. Jordan et Homé est disponible ici.
La lettre du CP68, datée du 10 mai, s’appuyait sur un document fabriqué à la demande des nouveaux responsables de M2A. Ce diaporama comporte des données et des commentaires alarmistes sur la véritable situation budgétaire de M2A et sur celle du budget annexe des transports ; il est disponible ici. C’est le caractère inhabituel de ces commentaires – clairs et sans détours – qui avait incité le CP68 à penser que, peut-être, un changement d’état d’esprit était en cours et que la nouvelle gouvernance envisageait une gestion plus transparente…
Pour découvrir un exemple des effets des toxiques et des dettes de la ville centre et de M2A sur les communes de l’agglo lire : Dettes et toxiques bockéliens polluent jusqu’au Rhin (janvier 2016). Pour se faire une idée du contexte général lire Grèce, collectivités locales : même Troïka, même combat ! (juillet 2015), rédigé par Patrick Saurin qui a participé à un audit de la dette Grec. Cet article part notamment du cas de la ville de Mulhouse.
La « crise » budgétaire est illustrée par un épisode récent : Com’ M2A sur les cantines : de la bouillie pour les chats. Ce n’est malheureusement pas la première fois que les jeunes sont victimes de la « crise » budgétaire de M2A. Voir aussi : Transport scolaire : des dingues au volant écrabouillent la gratuité. Un conseiller communautaire – devenu député depuis – a été interpellé par un collectif en décembre dernier sur les régressions dont sont victimes les familles en matière de tarification des transports scolaires (lire : Elections : des pirates haut-rhinois à l’assaut du fameux « piège à cons »). Il n’a pas répondu : il a manifestement d’autres priorités que la transparence. L’accès aux piscines, voire la température de l’eau (!), ont également souffert de l’apparition d’une autre « crise » il y a quelques années, provoquée une réorganisation fiscale (avec disparition de la TP) réalisée au profit des plus grosses entreprises… Quand il s’est agi de mettre en place les rythmes scolaires, les moyens ont manqué : là encore, les jeunes ont trinqué. Entre les jeunes et la finance, les élus ont choisi la finance, en se gardant bien de signer la pétition lancée à l’époque apr le CP68 : « Pour les jeunes contre la finance ». Aujourd’hui, quelle est la « solution » – inspirée et autorisée par le nouveau ministre de l’éducation – que viennent d’adopter certains élus ? Supprimer tout ça !… Beau progrès !… Qui va y trouver son compte, sinon les créanciers des collectivités locales ?!
L’ancien conseiller communautaire Pierre Freyburger avait dénoncé en mars 2015, dans une interview accordée à L’Alterpresse68 (voir : « Bienvenue au club» Entretien avec Pierre Freyburger) : « …un système qui conduisit à vendre des bijoux de la couronne (le siège de Soléa en l’occurrence) pour assurer la trésorerie immédiate, puis le rachat du dit-siège selon un montage bancaire dont les coûts induits pèsent toujours sur les finances de l’agglo ».
Pour des ébauches d’alternatives et de choix non libéraux voir notamment : tract sur la gratuité des transports (septembre 2013) financé par non paiement des intérêts, articles sur la lutte contre la fraude fiscale : Dette et fiscalité à Mulhouse : c’est Maitreau, bonneteau, gogos ! (octobre 2016). En Alsace, des élus locaux tétanisés face aux délinquants fiscaux (août 2016).
Pour toute réponse, vous pouvez vous adresser par voie électronique : soit à l’expéditeur de ce courriel, soit à L’Alterpresse68 (redaction@lalterpresse.info) qui transmettront au collectif CP68.
Ou, si vous souhaitez procéder par la voie postale, voici l’adresse :
L’Alterpresse68 (à l’attention du CP68) BP 12123 68060 MULHOUSE Cedex 2
Article remarquable. Très documenté. Clair. Très représentatif de la situation générale.
Merci.
JPBourgeois