Ce texte n’épuise pas la problématique des dérives dont ces contrats de travail sont l’objet. C’est un simple témoignage, lancé à l’adresse de leurs défenseurs, et une invitation à penser hors les réflexes pavloviens de la gauche radicale, à partir d’éléments documentés (alsaciens pour partie), et des sources crédibles. Il s’agit surtout de rappeler, y compris de manière polémique, que le dispositif des contrats aidés constitue une solution douteuse parmi les normes sociales et juridiques de rigueur en matière salariale, singulièrement dans le contexte associatif et institutionnel, où ces contrats pullulent dans un climat d’impunité sans pareil. Et que, partant, il n’y a rien de moins normal que de les favoriser, ou les maintenir pour ce qu’ils sont (on pense notamment au dispositif « CUI-CAE »). Quand bien même s’agirait-il d’invoquer de fallacieux prétextes…

A la récente annonce d’une réduc­tion sen­sible du bud­get alloué aux contrats aidés lors du second semestre 2017, la ministre du tra­vail, Muriel Péni­caud, pro­vo­qua l’incompréhension, voire la colère, de nom­breuses struc­tures tri­bu­taires de cette forme déro­ga­toire de contrat de tra­vail. Pour­tant, ce feu rou­lant pro­tes­ta­taire dis­si­mule quelques omis­sions qu’il convient de rap­pe­ler obli­geam­ment aux oreilles de ces péti­tion­naires dému­nis. En com­men­çant par sou­li­gner com­bien, de longue date, le sec­teur para-public et asso­cia­tif use, et abuse, de toute la pano­plie offerte par ces dis­po­si­tions sala­riales dés­équi­li­brées, et à temps sou­vent incomplet.

Fort heu­reu­se­ment, nos plai­gnants dis­posent d’un kit de plai­doi­rie prêt à ser­vir, dont voi­ci à peu près la trame: « Ces contrats aidés agissent comme un trem­plin vers l’emploi, par les effets conju­gués de l’activité pro­fes­sion­nelle, de l’accompagnement et de la for­ma­tion. De fait, ces contrats aidés sont des­ti­nés aux plus fra­gi­li­sé-e‑s par le chô­mage de masse : per­sonnes pri­vées d’emploi sans qua­li­fi­ca­tion, jeunes des quar­tiers, per­sonnes âgées et handicapées».

Face à un ramage un peu trop beau pour ne pas plu­mer spon­ta­né­ment les bonnes âmes pro­gres­sistes, il est temps d’examiner ce dont on parle, par-delà les cris d’orfraie misérabilistes.

Aide-toi toi même !

Élé­ment cen­tral de la poli­tique de l’emploi, et du trai­te­ment social du chô­mage de masse, l’État, au tra­vers de Pôle-emploi (pres­crip­teur dans 80 % des cas), régale depuis belle lurette les employeurs du sec­teur non-mar­chand de ce genre de dis­po­si­tifs. Plus de 30 ans déjà que les acro­nymes TUC, CES, CEC, CAE, CUI-CUI et autres noms flo­raux sur­gissent au fir­ma­ment du pré­ca­riat low-cost ambu­lant. Et ce n’est pas prêt de chan­ger, tant le recours à ces contrats indi­rec­te­ment sub­ven­tion­nés par l’État consti­tue­rait, selon les éco­no­mistes, une sorte d’amortisseur social de cir­cons­tance (effet «contra­cy­clique » dans leur lan­gage), en cas de hausse signi­fi­ca­tive du niveau de chô­mage. Le sous-emploi aurait donc ses rai­sons que la dérai­son admettrait.

Pour preuve, une par­tie de la presse de « gauche » emboîte alors le pas de nos « sous-employeurs » pri­vés et publics, et s’émeut du coup de canif envi­sa­gé par le gou­ver­ne­ment Macron à leur sujet. Et d’évoquer tour à tour le rôle « socia­le­ment utile » des­dits contrats, le « coup dur pour les asso­cia­tions », l’« effet de lutte à court terme contre le chô­mage » ou, plus har­di encore : « l’effet sur la liste d’attente des chô­meurs ». Le sol­dat-chô­meur, avan­çant péni­ble­ment dans la file d’attente de l’armée de réserve des sans-tur­bin sau­ra donc se conso­ler. Car le contrat-aidé vien­dra à lui aus­si sûre­ment que le nuage de sau­te­relle vien­dra ense­men­cer son avenir.

Pleu­reuses enfarinées

Le niveau local n’échappe pas plus au concert de pro­tes­ta­tion de nos employeurs-aidés. Ton­nant comme un choeur de l’Armée rouge sous tran­quilli­sant, il aura tou­te­fois titillé les por­tu­gaises du jour­nal «L’Alsace », dont le numé­ro du 29 août 2017 leur ouvre lar­ge­ment le prétoire.

- Du social, du social, et encore du social, voi­là notre grand oeuvre ! s’époumonent-ils, avant d’enchaîner avec le lamen­to des tar­tuffes. Une voca­lise alsa­cienne pour tra­vailleurs sociaux contrariés.

Mais alors, que sont les esto­macs de nos étu­diants deve­nus ? s’enquiert le peuple subal­terne. Des contrats-aidés servent en effet le potage au resto‑U du « foyer de l’étudiant catho­lique » de Stras­bourg. Son direc­teur, Étienne Troest­ler, recon­naît la néces­si­té de « faire évo­luer le dis­po­si­tif », mais pas « dans la pré­ci­pi­ta­tion et sans concer­ta­tion » s’étrangle-t-il, avant d’avaler son calice de tra­vers. Une asso­cia­tion d’étudiants en méde­cine stras­bour­geoise, quant à elle, ne pour­ra plus « faire tour­ner sa café­té­ria », pré­vient-on. Elle employait sept contrats-aidés, sans doute en guise de pro­phy­laxie. Qui donc pour aller ser­vir le red­bull à ces mes­sieurs-dames les futurs notables ?

A Mul­house aus­si, des sol­dats du contrat-aidé pointent le bout du mous­que­ton. Tou­jours relayé par « L’Alsace », Jean-Luc Wer­ten­schlag, direc­teur de « Old School »-« Radio MNE », annonce sala­rier 13 per­sonnes… dont 9 en contrats aidés. « C’est une voca­tion sociale qui risque de dis­pa­raître », pré­vient-il. Le patron sera-t-il encore audible sans sa cohorte d’aspirants sociaux ? Mys­tère et bande FM. Quant à l’APA, une asso­cia­tion d’aide à la per­sonne, qui fait figure d’institution en Alsace, elle indique employer 43 contrats-aidés. Un record d’emplois aidés… char­gés d’aider ! Tan­dis que l’EPHAD de l’Arc à Mul­house emploie un ani­ma­teur… et 19 contrats aidés… char­gés de com­plé­ter l’animation! Un ratio opti­mi­sé de tra­vailleurs très animés.

Trai­ter le mal par le mal

Par delà les per­si­flages ins­pi­rés par les situa­tions appa­rem­ment ubuesques engen­drées par l’inflation de ces contrats (même si, ten­dan­ciel­le­ment, il y a un peu moins de contrats signés que lors des
années 2000), voire les petits arran­ge­ments avec la véri­té quant aux acti­vi­tés ou mis­sions réel­le­ment effec­tuées par les béné­fi­ciaires, la rigueur et le sérieux des employeurs devraient pré­va­loir en la cir­cons­tance. Cha­cun sait que der­rière ces chiffres, pour­cen­tages ou acro­nymes, il y a la vie de per­sonnes en désar­roi et en graves dif­fi­cul­tés éco­no­miques. Celles-là même qui, sou­vent, se per­suadent volon­tiers du bien-fon­dé de tels dis­po­si­tifs dont elles disent pro­fi­ter. « Un contrat aidé, c’est sans doute mieux que rien, cela per­met de se sen­tir utile, de reprendre confiance, c’est une oppor­tu­ni­té pour espé­rer rebon­dir pro­fes­sion­nel­le­ment », se promettent-elles.

Pour­tant, cette occa­sion de rebond ne cesse de s’écraser contre le mur du réel, car les faits sont obs­ti­né­ment têtus. Et l’argumentaire de nos employeurs pré­ten­dant « faire dans le social », c’est-à-dire agir dans l’intérêt exclu­sif des per­sonnes en recherche durable d’emploi, ce à quoi est voué en prin­cipe le contrat aidé, ne résiste pas long­temps à l’examen.

Des chiffres qui grincent

Les chiffres four­nis par la DARES (la direc­tion de l’animation de la recherche, des études et des sta­tis­tiques du Minis­tère du Tra­vail) dans l’un de ses der­niers rap­ports sur ces contrats sont, à ce titre, extrê­me­ment éclairants.

Il est ici impor­tant de dis­tin­guer entre les « contrats d’avenir », les contrats de chan­tiers d’insertion (ACI), des contrats CUI-CAE («contrats d’accompagnement dans l’emploi », les plus massivement
uti­li­sés dans les admi­nis­tra­tions et les asso­cia­tions). De mul­tiples études (dont celles de la DARES) montrent en effet que l’accompagnement social et l’accès à la for­ma­tion sont, en règle géné­rale, qua­li­ta­tifs s’agissant des deux pre­miers, a contra­rio de celui que nous exa­mi­nons par­ti­cu­liè­re­ment ici, le CUI-CAE.

Le tableau figu­rant ci-des­sus (source DARES) for­ma­lise un aper­çu de la situa­tion des per­sonnes en contrat aidé (CUI-CAE) six mois après la ces­sa­tion de leur activité :

image002

Ces don­nées docu­mentent essen­tiel­le­ment 2 choses. La pre­mière est que 51 % des per­sonnes ayant contrac­té un CUI-CAE du sec­teur non-mar­chand (autre­ment dit un contrat aidé dans une asso­cia­tion, une col­lec­ti­vi­té locale ou une admi­nis­tra­tion) sont au chô­mage 6 mois après avoir ces­sé leur acti­vi­té sous cette forme. Par ailleurs, il indique que 41 % par­mi elles ont renou­ve­lé un contrat de ce type, ou au mieux un CDD. En ne pre­nant en compte que les CDI et les CDD de plus de six mois, ce taux était res­pec­ti­ve­ment de 26,7% dans le sec­teur non-mar­chand et 54,8% dans le sec­teur mar­chand, en 2009.

L’analyse de ces pre­miers élé­ments per­met de conclure assez sûre­ment que le contrat aidé est un dis­po­si­tif qui génère à la fois de la pré­ca­ri­té (de par sa nature de CDD), mais qu’il consti­tue, symé­tri­que­ment, une forme ache­vée de pré­ca­ri­té sala­riale cir­cu­laire, d’où il est extrê­me­ment dif­fi­cile de s’extirper. Consti­tuant donc une sorte d’enfermement ou de cloi­son­ne­ment social, presque à l’égal d’un RSA.

Un second tableau nous per­met d’étayer ce sentiment:

image002

Il illustre la situa­tion des per­sonnes à 30 mois de la sor­tie du dis­po­si­tif. On y apprend que 23 % des per­sonnes issues de l’un de ces contrats y sont reve­nues, mais cette fois dans le cadre d’un contrat aidé du sec­teur mar­chand (sur lequel il fau­drait se pen­cher dans un tout autre article, mais qui sem­ble­rait don­ner des résul­tats légè­re­ment supé­rieurs, cela pour diverses rai­sons). D’autre part, 31 % des per­sonnes issues d’un contrat aidé tra­vaillent désor­mais dans le cadre d’un CDI non aidé. Moins d’un tiers des béné­fi­ciaires qui renouent enfin avec un véri­table emploi, ce n’est certes pas insi­gni­fiant, mais cela demeure modeste.

D’autant que la seconde colonne trans­crit 2 chiffres bien plus stu­pé­fiants. Le pre­mier, « ‑5 », indique que le béné­fi­ciaire d’un contrat aidé à 5 points de chance en moins d’être en « emploi non aidé » que s’il s’était dis­pen­sé d’y sous­crire, et 8 points de chance en moins d’être en « CDI non aidé » que s’il n’avait jamais accep­té de contrat aidé !

Autre­ment dit, le béné­fi­ciaire d’un emploi aidé subit, outre la pré­ca­ri­té et la cir­cu­la­ri­té de sa condi­tion, des situa­tions de dis­cri­mi­na­tion de fait à l’embauche !

Des employeurs désolidarisés !

Mais l’étude la DARES docu­mente éga­le­ment le carac­tère oppor­tu­niste du dis­po­si­tif aux yeux des employeurs. Dans le sec­teur-non mar­chand, celui qui nous inté­resse, près de 70 % des béné­fi­ciaires d’un contrat aidé quittent l’institution, ou l’association, aux termes de l’aide finan­cière que per­ce­vait l’employeur pour finan­cer le poste de tra­vail. Avec un record, encore un, dans l’Éducation Natio­nale, avec près de 80 % d’exclus aux termes de l’aide financière !

A contra­rio, plus de 80 % des béné­fi­ciaires d’un contrat aidé demeurent dans des entre­prises du sec­teur mar­chand. Ce qui semble illus­trer que la fin des inci­ta­tions finan­cières est com­pen­sée par la pro­duc­ti­vi­té nou­velle et le déve­lop­pe­ment du chiffre d’affaires déga­gé par la pré­sence de ces salariés.

(dé)formation d’État

Au coeur du dis­po­si­tif des contrats aidés, sont cen­sé­ment actives les « actions de for­ma­tion », préa­lable indis­pen­sable à toute réin­ser­tion durable dans l’emploi, et dont la mise en pra­tique est une obli­ga­tion légale. Pour­tant, près de 60 % des contrats ne res­pec­taient pas ce volet de la conven­tion signée entre l’employeur et Pôle-emploi en 2011.

Si tous les employeurs sont res­pon­sables de cet état de fait, l’Éducation Natio­nale, matrice ins­ti­tu­tion­nelle de for­ma­tion de la jeu­nesse fran­çaise, n’est pas même fichue de for­mer ses propres contrats aidés ! Cela tombe à point nom­mé, car l’État, qui a tou­jours fer­mé les yeux sur ces négli­gences par­ti­cu­liè­re­ment cou­pables, a déci­dé de concen­trer les prin­ci­paux moyens dévo­lus au finan­ce­ment des contrats aidés en 2017… vers l’Éducation Nationale !

Qu’en conclure, sinon que l’État, via le gou­ver­ne­ment Macron aujourd’hui, conti­nue de s’asseoir sur ses propres obli­ga­tions, et de creu­ser inlas­sa­ble­ment le sillon de misère et de pré­ca­ri­té salariale
cir­cu­laire que nous évo­quions plus haut.

Un détour­ne­ment cynique

Outre le déni de droit à la for­ma­tion, le second élé­ment à consi­dé­rer est, de fait, le cynisme bien ordi­naire d’une frac­tion non négli­geable des employeurs asso­cia­tifs ou institutionnels.

En 2011, via l’un de ses com­mu­ni­qués inti­tu­lé « Les sala­riés en contrats aidés : des sala­riés à part entière », la CGT dénon­çait déjà le juteux béné­fice que tirent les struc­tures d’accueil, de ce qu’elles ne sont pas tenues de comp­ta­bi­li­ser leurs contrats aidés dans les effec­tifs de l’entreprise. Mora­li­té : pas d’accession aux oeuvres sociales et aux ins­ti­tu­tions repré­sen­ta­tives du per­son­nel en leur sein, notamment.

A l’occasion d’un dif­fé­rend avec des employeurs pri­vés et publics, le tri­bu­nal d’instance de Mar­seille rap­pe­lait alors que : « les tra­vailleurs en contrats aidés doivent être des sala­riés à part entière ». Cela, alors que les accu­sa­tions de la CGT se fai­saient très pré­cises: « Ils [les contrats aidés] sont cen­sés per­mettre à des tra­vailleurs en grande dif­fi­cul­té d’insertion sociale de retrou­ver un emploi pérenne. Or, les études de la Dares montrent un détour­ne­ment de la fina­li­té de ces contrats : les sala­riés qui en béné­fi­cient sont de plus en plus qua­li­fiés et de moins en moins chô­meurs de longue durée ou béné­fi­ciaires de mini­ma sociaux ».

En effet, selon les der­niers chiffres de l’institut, plus de 25 % des béné­fi­ciaires d’un contrat aidé employés par des asso­cia­tions sont diplô­més de l’enseignement supé­rieur. Plus de 58 %, si l’on y ajoute les titu­laires du baccalauréat !

Le détour­ne­ment du dis­po­si­tif est mani­feste, et le mot n’est pas trop fort. Les exemples sont légions, et inter­net regorge de témoi­gnages à ce sujet. Notam­ment sur l’excellent site : « Le tra­vail concrè­te­ment, on vaut mieux que ça ».

Mais le site inter­net de Pôle-emploi ne démé­rite pas moins en la matière. La CGT rap­pe­lait d’ailleurs récem­ment à son sujet que près de 50 % des annonces publiées sur celui-ci étaient illé­gales, ou bidons ! Aucune véri­fi­ca­tion n’étant réa­li­sée par l’institution quant à la nature et aux spé­ci­fi­ca­tions des postes pro­po­sés par les employeurs, on y trou­ve­ra aisé­ment toutes sortes d’annonces illus­trant l’illégalité patente des employeurs publics ou asso­cia­tifs à l’égard du dis­po­si­tif CUI-CAE. Des postes d’enseignants dans des écoles pri­vées du pre­mier degré, ou d’éducateurs de jeunes enfants. Des postes équi­valent à ceux de tra­vailleurs sociaux, voire de fonctionnaires…

Tous ces exemples (non exhaus­tifs !) de pro­fes­sions qua­li­fiées et régle­men­tées, sup­posent l’obtention de diplômes d’État ou la réus­site à des concours de la fonc­tion publique. Ils sont néan­moins pro­po­sés impu­né­ment… sous la forme de contrats aidés !

Des temps très modernes

Com­ment peut-on pro­fi­ter cyni­que­ment de tant de sala­riés en situa­tion de désar­roi éco­no­mique, a for­tio­ri de l’énergie et de la créa­ti­vi­té de la jeu­nesse uni­ver­si­taire, en leur assu­rant misère éco­no­mique et dés­illu­sions, au pré­texte de l’im­pé­ra­tif de conti­nui­té d’un pro­jet asso­cia­tif, quel qu’il soit, ou afin d’assurer l’ordinaire d’une admi­nis­tra­tion en sous-effectif ?

Je fus moi-même l’un de ces rouages que l’on tord à satié­té. L’Éducation Natio­nale, encore elle, m’engagea en tant qu’« assis­tant de for­ma­tion » en contrat aidé, char­gé de recen­ser les besoins de for­ma­tion d’hommes incar­cé­rés. En réa­li­té, dans cette mai­son d’arrêt, je fis office d’enseignant. J’apprenais le fran­çais aux étran­gers en attente de juge­ment, et ser­vais de pro­fes­seur de langue auprès des déte­nus. Trop com­pli­qué et trop cher de créer un poste de fonc­tion­naire, on appuie­ra donc sur le bou­ton « contrat aidé ». Facile, et très bon mar­ché. Je n’effectue pas la pres­ta­tion de tra­vail qui figure dans mon contrat, et on ne me forme évi­dem­ment à rien. Et si je sou­haite béné­fi­cier des vacances sco­laires, ce sera 26 heures de pré­sence par semaine au lieu des 20 heures pré­vues au contrat. Rému­né­ra­tion : 578 euros nets. Prud’hommes et Cour d’Appel ont heu­reu­se­ment sif­flé la fin de la récrée pour le mam­mouth gri­mé en bau­druche administrative.

Alors que plus de la moi­tié des can­di­dats tenus de s’engager par défaut dans ces contrats sont bache­lier ou issus du supé­rieur, que la seconde moi­tié aurait besoin de se voir pro­po­ser un par­cours de for­ma­tion struc­tu­rant et diplô­mant, que dit le rap­port de la DARES sur la qua­li­té du tra­vail opé­rée par ces sala­riés ? Si 9 can­di­dats sur 10 déclarent avoir « appris des choses » au cours de leur pas­sage en CUI-CAE, ils sont 77 % a avoir effec­tué des tâches répé­ti­tives tout au long de la jour­née, 81 % pour l’Éducation Natio­nale, et 91 % dès lors que l’employeur est issu du sec­teur sani­taire et social…

Anto­no­mase ta mère !

En véri­té, l’essentiel à consi­dé­rer est que dans notre pays, l’étiquette socio-pro­fes­sion­nelle peut-être tout sim­ple­ment infa­mante. Nous ne sem­blons être que ce qu’un sta­tut nous confère, ou ce dont il
nous prive.

Diplô­mé ou sans for­ma­tion, de quoi alors le « contrat-aidé », ce nom com­mun mué depuis en nom propre, est-il le prête-nom ? Du sala­rié qui n’est por­té que par le type juri­dique avec lequel il se confond ? Et dont la com­pé­tence, le savoir-faire ou le métier sont indis­tincts, mal­léables ? Du han­di­ca­pé social, dont on pro­fite au gré des cir­cons­tances éco­no­miques ? Un poly­morphe inter­chan­geable, qui ser­vi­rait à rafis­to­ler les mor­ceaux de socié­té qui sombrent aus­si pres­te­ment que le Tita­nic, et dont il devrait, lui, jouer le marin sau­vé des eaux ?

Par-delà l’inertie aveugle de l’administration, qui ne reflète que la lâche­té des gou­ver­nants, ce qui trans­pa­raît sur­tout dans ce débat est le court-ter­misme dont se rendent cou­pables cer­taines struc­tures asso­cia­tives. Récla­mer des fonds, des sub­ven­tions, créer de l’emploi qua­li­fié et décem­ment rému­né­ré, est deve­nu chose aléa­toire, haras­sante, et presque chi­mé­rique, tant cela sup­pose d’énergie et de temps consa­cré, dans un contexte de res­tric­tions bud­gé­taires croissantes.

Devant ce labeur inepte, les struc­tures qui emploient ces tra­vailleurs pré­caires pra­tiquent de fait l’exploitation par omis­sion, au pré­texte que des besoins non pour­vus existent. Elles en oublient cepen­dant que se com­pro­mettre socia­le­ment pour sur­vivre, alors que l’on incarne une forme d’engagement dés­in­té­res­sé, et un modèle de déve­lop­pe­ment alter­na­tif, consti­tue une néga­tion du pro­jet qu’elles animent. La condi­tion sociale de leur déve­lop­pe­ment ne peut dépendre de l’emploi de sous-employés jetables, mais de la force de leur noyau béné­vole, et avant tout de leur rayon­ne­ment militant.

L’humilité de cette approche sup­po­se­rait à tout le moins d’admettre qu’il n’existe aucune orga­ni­sa­tion qui soit indis­pen­sable en soi, dès lors qu’elle délaisse l’idéal et la pro­messe dont elle est por­teuse. Et la néces­si­té de sur­vivre pour sur­vivre ne jus­ti­fie rien, sinon que la forme asso­cia­tive est mori­bonde, et le pro­jet exsangue. La fin ne jus­ti­fie­ra jamais l’utilisation d’un volant conti­nu de pré­caires, a for­tio­ri diplô­més et formés !

Capi­tal et jambe de bois

Avec la fin pro­gres­sive du modèle social « à la fran­çaise », et le démem­bre­ment des soli­da­ri­tés de classe, les der­nières décen­nies ont fait le lit du repli sur soi, des into­lé­rances eth­niques et reli­gieuses. Tout cela a été lar­ge­ment docu­men­té et éta­bli par les meilleurs analystes.

Au plus fort de « la crise » dont nous ne sor­tons jamais que pour y choir, au gré des cycles du capi­ta­lisme zom­bie, ni vrai­ment mort, ni tout à fait vivant, le modèle mar­chand de sur­con­som­ma­tion conti­nue pour­tant à can­ni­ba­li­ser nos ima­gi­naires. Une rep­ta­tion qui ne connaît plus d’entraves, et menace désor­mais d’engloutir nos éco­sys­tèmes matri­ciels, après avoir déjà siphon­né une part consi­dé­rable de leurs ressources.

La logique éco­no­mique capi­ta­liste, fon­dée sur la rapa­ci­té cri­mi­nelle et la délin­quance sociale, doit céder le pas, de gré ou de force, devant la gra­vi­té des enjeux qui sur­viennent. Et par­mi les plus impé­ra­tifs de ces enjeux, figure rien moins que celui de pou­voir sur­vivre à ce siècle. Cela semble être le défi col­lec­tif le plus impro­bable que l’humanité ait eu à affron­ter depuis son apparition.

Mais outre les fon­da­men­taux de la vie qu’il fau­dra pré­ser­ver, ce sont les nou­velles moda­li­tés sociales de ce renou­veau éven­tuel qui doivent émer­ger au plus tôt. Avec la fin pos­sible, par épui­se­ment idéo­lo­gique et anthro­po­lo­gique, du modèle capi­ta­liste, il s’agira de repen­ser nos prio­ri­tés essentielles.

Repen­ser la place du tra­vail « pro­duc­tif », ain­si que sa fina­li­té. Et sur­tout valo­ri­ser celle de l’activité d’utilité sociale. Où la seule valeur d’usage, que l’on voit poindre aujourd’hui par le tru­che­ment de l’économie col­la­bo­ra­tive, pri­me­rait sur toute autre consi­dé­ra­tion mar­chande ou éco­no­mique. C’est dans cette optique que le monde asso­cia­tif trou­ve­rait natu­rel­le­ment de quoi irri­guer et contri­buer posi­ti­ve­ment à l’émergence d’une socié­té fon­dée sur la jus­tice et l’utilité com­mune, et non ser­vir de sup­plé­tif hypo­crite au capi­ta­lisme mercenaire.

Se battre pour faire recon­naître la valeur sociale et éco­no­mique du béné­vo­lat. Se battre encore pour garan­tir l’émancipation du citoyen, par le plein épa­nouis­se­ment de ses com­pé­tences. Se battre enfin pour que le temps libre devienne une occa­sion maté­riel­le­ment recon­nue de déli­bé­rer indé­fi­ni­ment sur les manières dont il convien­drait d’agir pour rendre la vie plus… vivable !

Au lieu de cela, nous voyons des struc­tures qui gèrent l’ordinaire, comme elles servent la soupe au cadavre auprès de qui elles servent de jambe de bois, et dont elles vou­draient récla­mer la pitance, afin de pro­lon­ger l’enfer social et éco­no­mique qu’elles appellent monde. Les sala­riés jetés aux rebuts du fait des déci­sions gou­ver­ne­men­tales quant aux à leurs contrats méritent que l’on se batte pour eux. Ils doivent être réel­le­ment « aidés », et valent plus que les larmes de cro­co­dile qu’on leur pro­digue ces temps derniers.

Sans évo­quer le sort des employeurs publics et ins­ti­tu­tion­nels auprès des­quels il n’y a rien à attendre, sinon une ®évo­lu­tion de fond en comble, les asso­cia­tions qui gèrent le pré­sent de ces sala­riés pré­caires devront déci­der si elles renoncent ou non à se ser­vir, à tra­vers eux. A défaut de quoi leurs ater­moie­ments res­sem­ble­raient plu­tôt à ceux de geô­liers qui ver­raient s’écrouler avec effroi le mur du monde qu’ils tentent vai­ne­ment de main­te­nir à tout prix.

Le mot du Ruffin

Avec une gouaille inimi­table et déli­cieu­se­ment pro­vo­ca­trice, Fran­çois Ruf­fin, dépu­té appa­ren­té « France insou­mise », a résu­mé au mieux le psy­cho­drame des hérauts ver­sa­tiles du contrat aidé après, il est vrai, avoir préa­la­ble­ment trai­té le gou­ver­ne­ment de « minable »: « Le gou­ver­ne­ment a, sur ce dos­sier, com­mis une nou­velle mal­adresse. Il va recu­ler. Il va se rendre compte que, au fond, ces contrats aidés répondent plu­tôt à son idéo­lo­gie : ils sont payés à un prix plan­cher, font bais­ser les chiffres du chô­mage, rendent les tra­vailleurs dociles, et tout ça, pour un coût dérisoire. »

Mer­ci à toi, patron !

Fer­nan­do TEIVES