Les élections allemandes ont somme tout donné un résultat relativement conforme à tout ce qui se passe en Europe : recul de la droite conservatrice, affaiblissement inexorable de la social démocratie, stabilisation de la gauche transformatrice et progression importante de l’extrême-droite…Evidemment quant cela se passe en Allemagne, tout le monde voit renaître des démons anciens. Et pourtant, nous ne revivons pas une renaissance du nazisme (même si quelques nostalgiques sont toujours tapis dans l’ombre… comme en France, Italie, USA…) mais un phénomène politique liée à une crise de la démocratie représentative et d’une économie qui laisse des millions de citoyens sur le carreau. 

Que l’Allemagne pré­sen­tée riche et pros­père soit à son tour concer­née par la mon­tée de l’extrême-droite n’est que le reflet des pro­fondes inéga­li­tés sociales fruits d’une action gou­ver­ne­men­tale ini­tiée par le SPD et ses lois Hartz IV et pour­sui­vie par Mme Mer­kel avec ses dif­fé­rentes coa­li­tions au pou­voir. En reje­tant caté­go­ri­que­ment l’affirmation péremp­toire et stu­pide que  les 13% d’é­lec­teurs de l’AfD seraient des nazis (alors que nos 30% d’é­lec­teurs lepé­nistes auraient des repré­sen­tants autre­ment plus nom­breux à l’As­sem­blée natio­nale qu’au Bun­des­tag si on avait la pro­por­tion­nelle en France), L’Alterpresse pré­fère exa­mi­ner de près le vote allemand.

Le vote en Baden-Württemberg

Glo­ba­le­ment, à l’échelle fédé­rale (tableau en tête), les deux par­tis de la coa­li­tion au pou­voir perdent res­pec­ti­ve­ment 8,6% pour la CDU-CSU et 5,2% pour le SPD. Les grands gagnants sont avant tout l’AFD, avec une pro­gres­sion de 7,9% pour atteindre 12,6% du corps élec­to­ral. La FDP est l’autre vain­queur, avec une hausse de 5,9%  pour un résul­tat glo­bal de 10,7%. Die Linke et les Verts stag­nent avec une légère progression.

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Situa­tion à ten­dance iden­tique dans le Baden-Würt­tem­berg  où la CDU avait recueilli 45,7% en 2013, elle s’effondre de plus de 11 points pour ter­mi­ner à 34,8% tout en res­tant (et de loin) le pre­mier par­ti chez nos voi­sins badois. Suit le SPD avec un recul de 4,2 points à 16,4%. Les autres pro­gressent soit légè­re­ment comme Die Linke (de 1,3% à 6,4 contre 9,2 à l’échelle fédé­rale), les Verts (+2,5 pour 13,5% au final bien plus haut qu’au niveau fédé­ral et ses 8,9), la FDP avec 6,2% de pro­gres­sion arri­vant avec 12,4% au total au niveau de l’AFD qui pro­gresse de 7% pour atteindre les 12,2%.

Il est inté­res­sant de noter que le vote dans la ville de Frei­burg-in-Breis­gau dif­fère sen­si­ble­ment des résul­tats du Land et du pays : la CDU ne recueille que 28% (-6,9%), les Verts 25,4% (+4,8), le SPD 22,7 (-7,4%), Die Linke en 4e posi­tion avec 7,3% (+2,5%), l’AFD n’a « que » 7,2% (+4,7%), la FDP 5,3% (+3,4%). Il semble donc bien qu’il y ait un vote des villes et des champs. Il est vrai que Frei­burg, ville éco­lo­gique, avec un tis­su asso­cia­tif extrê­me­ment dyna­mique et actif, est diri­gée par un maire issue des Verts, Die­ter Salomon.

Elle a indu­bi­ta­ble­ment pris une option pro­gres­siste essen­tiel­le­ment en matière envi­ron­ne­men­tale. Les habi­tants ont confir­mé ce choix puisque le par­ti Vert pro­gresse beau­coup plus dans la ville qu’à l’échelle du pays (+4,8% contre 0,5%).

Le vote des sala­riés… et des syndicalistes

La CDU a obte­nu 25% du vote ouvrier mais 41% de la part des retrai­tés, 36% des « indé­pen­dants » et 20% des chô­meurs. Elle perd de nom­breuses voix par rap­port à 2013 tout comme le SPD qui récolte 23% chez les ouvriers, 24% chez les retrai­tés, 11% chez les indé­pen­dants et 23% de la part des chômeurs.

Il est inté­res­sant de voir la part du vote des sala­riés pour l’AFD et Die Linke. Nous pou­vons voir sur les deux tableaux ci-des­sous que Die Linke n’arrive pas à capi­ta­li­ser le mécon­ten­te­ment dans le sala­riat et que c’est l’AFD qui en récolte les fruits et ce dans toutes les caté­go­ries du sala­riat. Remar­quons le trans­fert spec­ta­cu­laire du vote « chô­meurs » de Die Linke vers l’AFD.

Die Linke

linke

L’AFD

afd

Lexique : Arbei­ter : ouvrier ; Anges­tellte : employés ; Selbststän­dige : indé­pen­dants ; Rent­ner : retrai­tés ; Arbeits­lose : chômeurs.

Le DGB publie ses statistiques

La prin­ci­pale cen­trale syn­di­cale d’Allemagne, le Deut­scher Gewerk­schafts­bund, publie une inté­res­sante étude sur le vote des syndicalistes.

Sur le plan géné­ral, les syn­di­ca­listes ont mis le SPD en tête avec 29% des suf­frages, la CDU suit avec 24% et l’AFD est avec ses 15% devant Die Linke et ses 12% Les Verts suivent avec 8% de confiance de la part des syndicalistes.

Il est inté­res­sant de voir où se situent les dif­fé­rences entre les votes à l’Ouest et à l’Est. La CDU avec 24% est le pre­mier par­ti chez les syn­di­ca­listes de l’Est (avec le même pour­cen­tage qu’à l’Ouest où c’est le SPD qui arrive en tête avec 31%). Celui-ci ne recueille que 18% chez les syn­di­ca­listes de l’Est qui ont voté à 22% pour Die Linke et 22% pour l’AFD. Il y là un vrai schisme entre les deux par­ties de l’Allemagne puisque Die Linke n’obtient que 11% et l’AFD 14% à l’Ouest. Remar­quons éga­le­ment que la même dif­fé­rence existe pour Verts : 9% chez les syn­di­ca­liste à l’ouest et seule­ment 3% à l’est.

Les syn­di­ca­listes « femmes » se dis­tinguent des « hommes » en votant moins pour le SPD (25% contre 30% chez les hommes) et plus pour Die Linke (14% contre 11%). Cela est encore plus net pour le vote pour les Verts : 13% chez les syn­di­ca­listes femmes, 5% chez les hommes. Quant à l’AFD, nos sœurs femmes se dis­tinguent posi­ti­ve­ment : elles ne sont que 10% à avoir fait ce choix contre 18% chez les hommes. Plus clair­voyantes les syn­di­ca­listes femmes du DGB ?

http://www.magazin-auswege.de/2017/09/so-haben-gewerkschafterinnen-gewaehlt/

On voit bien que les mêmes causes engendrent les mêmes effets : la crise sociale en Alle­magne est bien plus pro­fonde qu’on le laisse entendre ici en France. Les mani­pu­la­tions et tri­pa­touillages autour du modèle alle­mand que les médias aux ordres aiment tel­le­ment van­ter, ne peuvent cacher la réa­li­té qui s’exprime par les urnes. Alors, évi­dem­ment recon­naître que les inéga­li­tés sociales en Alle­magne font aus­si le lit de l’extrême-droite est dif­fi­cile pour ces médias : il est donc plus simple d’invoquer le retour des vieux démons nazis. Plus simple peut être mais tota­le­ment faux.

Cela me rap­pelle la réflexion d’un syn­di­ca­liste alle­mand : « Nous vous sou­te­nons dans vos mani­fes­ta­tions contre la loi Tra­vail car si chez vous aus­si le modèle Hartz IV s’impose, nous n’aurons plus beau­coup d’espoirs de nous débar­ras­ser de nos lois antisociales ».

Michel Mul­ler