Le mois dernier, Radio MNE a diffusé, trois heures durant, une émission consacrée à la volonté du Crédit Mutuel de fermer l’imprimerie du journal L’Alsace à Mulhouse. Débutant par un reportage d’une heure sur place, lors d’une nuit d’impression,  les salariés ont fait part de leur incompréhension, leur désarroi et leur volonté de ne pas se laisser faire, l’émission s’est poursuivie par un débat dans les studios avec les syndicats, des élus politiques, des associations, des lecteurs… Et c’est là que nous avons été surpris par les interventions de Mme la maire de Mulhouse, Mme Lutz, et de M. Olivier Becht, député, qui avaient, il y a encore quelques jours exprimé leur total soutien au maintien de l’imprimerie à Mulhouse. Dans la soirée du 14 décembre, tout a semblé changer…

Depuis le début, les sala­riés pou­vaient comp­ter sur un sou­tien plus ou moins affi­ché de nom­breux élus poli­tiques. M. Becht fut même le pre­mier à envoyer un cour­rier à M. Thé­ry, PDG du Cré­dit Mutuel, pour lui faire part de sa désap­pro­ba­tion  devant son choix de liqui­der 70 emplois et tous les autres induits. Il est vrai que M. Becht avait de l’expérience : c’est sur sa com­mune de Rix­heim que le Cré­dit Mutuel pos­sé­dait une impri­me­rie, Roto Off­set, d’où sor­tait le jour­nal gra­tuit PAM (Petites annonces mul­hou­siennes). Au prin­temps 2012, la banque a déci­dé de fer­mer cette usine et licen­ciait 116 sala­riés… tout en pro­met­tant à M. le maire Becht des com­pen­sa­tions devant cette grosse tuile indus­trielle et sociale. Il attend tou­jours… Fort de cette expé­rience, il a bien com­pris que les pro­messes n’engageaient que ceux qui y croient et exige donc, à nou­veau, des contre­par­ties à la fer­me­ture de l’imprimerie mul­hou­sienne cette fois-ci.

M. Becht croit avoir fait son job… et advienne que pourra !

M. Car­li, l’exécuteur des basses œuvres du Cré­dit Mutuel, a bien com­pris le mes­sage. Il pro­met donc aux élus mul­hou­siens (muni­ci­pa­li­té et par­le­men­taire) la créa­tion de « quelque chose dans le domaine du numé­rique » dans le cadre de l’initiative KM0 de Mul­house. Les sala­riés vou­draient en savoir plus, le « quelque chose » étant quand même un peu vague… La ques­tion fut donc posée à M. Car­li lors de l’émission de radio MNE qui dit sans hési­ter : « Il ne s’agira pas d’un outil indus­triel, mais plu­tôt d’une struc­ture qui reste encore à défi­nir tant dans son rôle que sa com­po­si­tion. » Cela pour répondre au Comi­té d’entreprise de L’Alsace qui pro­pose que soit ins­tal­lée une impri­me­rie numé­rique, nou­velle tech­no­lo­gie dans le domaine des indus­tries gra­phiques et qui auraient toute leur place dans le pro­jet de la ville. Mais le Cré­dit Mutuel n’en veut pas.

Et que dit M. Becht lors de la même émis­sion : « J’ai eu des garan­ties de M. Car­li que le Cré­dit Mutuel va ins­tal­ler un outil indus­triel dans le cadre de KM0 ». Et donc je n’ai plus rien à redire à la fer­me­ture de l’imprimerie du jour­nal ! Naïf, M. Becht ? On à peine à le croire vu son par­cours et son pédi­grée. Alors, quelque peu mani­pu­la­teur, le dépu­té ? Ce serait plu­tôt dans ce registre qu’il fau­drait cher­cher. M. Becht a sûre­ment eu des assu­rances, comme en 2012 en tant que maire de Rix­heim. Son sou­tien aux sala­riés du jour­nal était donc une simple mani­pu­la­tion d’un dépu­té vou­lant appa­raître sou­te­nant son électorat…mais flan­chant à la pre­mière pro­messe de Gas­con d’une banque qui a d’évidence des argu­ments pour tran­quilli­ser le député.

Mme Lutz : « Les élus ne peuvent inter­ve­nir dans la ges­tion des entreprises »…

Mme la maire de Mul­house nous a éga­le­ment sur­pris lors de cette émis­sion. Elle qui, a plu­sieurs reprises, a mani­fes­té son sou­tien aux sala­riés du jour­nal, semble bien plus timide à pré­sent. Elle aus­si, a‑t-elle reçue des « garan­ties » quant à la liqui­da­tion de 70 postes de tra­vail et autant d’emplois indus ? Si ce sont les mêmes que M. Becht, elle devrait être bien plus méfiante que le dépu­té quelque peu éloi­gnés des contin­gences de son élec­to­rat pré­oc­cu­pé qu’il est par son ambi­tion pour sa car­rière qui est, paraît-il, incom­men­su­rable. L’ambition, pas la carrière…

Mais Mme Lutz ne peut affir­mer que les élus ne sau­raient inter­ve­nir dans la ges­tion des entre­prises ! Non seule­ment ils peuvent mais ils doivent ! Ou bien cela signi­fie­rait que les poli­tiques ont tota­le­ment capi­tu­lés devant le moloch éco­no­mique… et ils ali­men­te­ront dès lors, encore plus la méfiance des citoyens à l’égard de la politique.

Tout n’est pas per­du, cepen­dant, pour Mme la maire ! La FILPAC-CGT, syn­di­cat majo­ri­taire dans l’entreprise, a com­man­di­té des experts pour bâtir un pro­jet d’imprimerie numé­rique dans le cadre de KM0. Cela ne crée­rait sûre­ment pas de très nom­breux emplois, mais serait un com­plé­ment de res­sources pour l’imprimerie du journal.

Sou­te­nir un tel pro­jet, Mme Lutz, n’est pas une dan­ge­reuse immix­tion dans la ges­tion d’une entre­prise : c’est rap­pe­ler au Cré­dit Mutuel qu’il a des droits et des devoirs. Si les entre­prises béné­fi­cient de sou­tien public et exo­né­ra­tions diverses des col­lec­ti­vi­tés locales, ces der­nières doivent leur impo­ser leurs devoirs : celui de déve­lop­per un espace éco­no­mique et non pas l’appauvrir en liqui­dant, sans véri­table jus­ti­fi­ca­tion, un outil industriel.

Les deux men­songes du Cré­dit Mutuel

Pour convaincre ces deux élus, le Cré­dit Mutuel a déve­lop­pé une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion qui convainc ceux qui veulent être convain­cus. Même dans une par­tie de la rédac­tion, ce qui est bien dommage.

Pre­mier men­songe : la fer­me­ture de l’imprimerie n’aura pas d’incidence sur le titre L’Alsace. Cela n’est tout sim­ple­ment pas pos­sible tech­ni­que­ment. Même les impri­meurs des Der­nières Nou­velles d’Alsace qui impri­me­raient le jour­nal mul­hou­sien selon le cré­dit Mutuel, en conviennent : il est impos­sible d’imprimer dans les délais les deux quo­ti­diens sans une réduc­tion du nombre d’édition, sans une heure de bou­clage pré­coce pour L’Alsace, sans une accé­lé­ra­tion du nombre d’articles et de pages commun.e.s aux deux jour­naux. Et, tôt ou tard, le Cré­dit Mutuel impo­se­ra le jour­nal unique devant les contraintes de l’impression à Strasbourg.

Second men­songe : les com­pen­sa­tions. Dans le  plan de M. Car­li, il n’y a qu’une seule cer­ti­tude : la fer­me­ture du centre d’impression mul­hou­sien. Tout le reste : déve­lop­pe­ment, inves­tis­se­ments, créa­tions édi­to­riales, sont de vagues pro­messes, non datées, non chif­frées. Ce ne sont que des argu­ments pour ten­ter de dévoyer le refus des impri­meurs de perdre leur emploi « puisque c’est le pas­sage obli­gé pour pré­ser­ver les autres sala­riés ». Argu­ments archi-rebat­tus à tout occa­sion par le patro­nat pour cas­ser la soli­da­ri­té entre les sala­riés et faire accep­ter les « sacri­fices »… Cela est évi­dem­ment favo­ri­sé par la divi­sion syn­di­cale qui fait preuve, une nou­velle fois, du poi­son qu’elle repré­sente pour les tra­vailleurs quand les syn­di­cats ne veulent pas s’entendre.

Des élus qui res­tent fermes…

Pour les sala­riés du jour­nal qui ne perdent pas espoir de pré­ser­ver leur entre­prise, tous les élus ne semblent pas sen­sibles aux men­songes du Cré­dit Mutuel et ne semble pas se lais­ser vas­sa­li­ser comme d’autres.

Dans un cour­rier ferme, le Conseil dépar­te­men­tal du Haut-Rhin rap­pelle à M. Thé­ry qu’il ne compte pas se lais­ser abu­ser et qu’il a bien com­pris les enjeux qui se pro­filent au-delà de la fer­me­ture de l’imprimerie.

On le voit, MM. Thé­ry et Car­li veulent pré­sen­ter la fer­me­ture de l’imprimerie comme acquise et irré­vo­cable, ils devront encore comp­ter sur une résis­tance dans le Centre- et Sud-Alsace. 2018, année erra­tique pour le Cré­dit Mutuel ?

Michel Mul­ler