Déci­dé­ment, la réforme ter­ri­to­riale ne passe pas chez les Alsa­ciens : on le sait, selon un son­dage SOFRES, ils sou­haitent le retour à une région Alsace de plein exer­cice à 84 % et ce en conser­vant les deux dépar­te­ments. Comme ils l’avaient déci­dé lors du réfé­ren­dum en 2013 en reje­tant la fusion du conseil régio­nal d’Al­sace avec les deux conseils géné­raux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Ce rejet n’est pas tel­le­ment sur­pre­nant et je ne pense pas qu’on puisse le taxer de « repli sur soi et de rejet des autres » comme cer­tains ont ten­dance à le cari­ca­tu­rer. Non, à entendre les gens autour de nous, cela relève plu­tôt du sen­ti­ment que les citoyens sont de moins en moins enten­dus et ils ont l’impression que l’éloignement des centres de déci­sion aggrave ce fait. Com­ment peut-on par­ler de décen­tra­li­sa­tion quand on veut sup­pri­mer l’échelon dépar­te­men­tal et consti­tuer une méga-région sans aucun lien éco­no­mique, social, culturel…
Les pro­blèmes spé­ci­fiques de l’Alsace sont nom­breux, ne serait-ce que la situa­tion géo­gra­phique fron­ta­lière et les échanges éco­no­miques trop dés­équi­li­brés avec le Pays de Bade ou le nord de la Suisse au détri­ment de l’Alsace. Ou bien, évi­dem­ment, le pro­blème lin­guis­tique qui néces­site des inves­tis­se­ments impor­tants dans l’éducation pour que la Région puisse béné­fi­cier de l’avantage d’une popu­la­tion natu­rel­le­ment bilingue… mais pra­ti­quant de moins en moins la langue ori­gi­nelle de l’Alsace.
Cette prise de conscience des Alsa­ciens pour reve­nir à une struc­ture ter­ri­to­riale propre est pour une grande part, le fruit de mou­ve­ments asso­cia­tifs, cultu­rels, sociaux, par exemple autour de la défense du droit local…
Cela a pris une telle dimen­sion que les élus poli­tiques de tous bords s’en alarment ayant bien com­pris que l’avenir d’un élu n’était pas très assu­ré s’il ignore les aspi­ra­tions pro­fondes de ses élec­teurs. Recon­nais­sons que Unser Land fut un des plus actifs pour reje­ter ce Grand Est. Tous les autres en sont venus au même constat. Sauf le Par­ti Socia­liste qui conti­nue de défendre becs et ongles la réforme ter­ri­to­riale pon­due par Fran­çois Hol­lande… Mais qui se sou­cie encore aujourd’hui de l’avis du Par­ti socialiste ?
Donc tous les élus rous­pètent, mêmes Les Mar­cheurs Macro­niens font par­tie du lot bien que leur Pré­sident se tor­tille du popo­tin pour affir­mer clai­re­ment qu’il ne revien­dra pas sur la réforme des socia­listes. Cette obs­ti­na­tion des élus à coû­ter le poste de Pré­sident de la Grande Région à Phi­lippe Richert qui, il est vrai, était plu­tôt contre, pour deve­nir plu­tôt pour… Et fran­che­ment « pour » quand on lui a pro­po­sé le poste de président.
M. Rott­ner l’a rem­pla­cé, lui, c’est l’homme aux plus de 50.000 signa­tures sur sa péti­tion contre la créa­tion de la Grande Région… De quoi gagner le jack-pot de l’impopularité.
Alors, il vient d’avoir une idée géniale : la créa­tion d’un « Groupe Alsace », « dédié à la valo­ri­sa­tion de l’identité alsa­cienne ». Sa mis­sion, indique-t-on à la région, sera « d’identifier les nom­breuses spé­ci­fi­ci­tés de l’Alsace (lin­guis­tiques, patri­mo­niales, cultu­relles et le mar­ke­ting ter­ri­to­rial) en vue de valo­ri­ser l’héritage cultu­rel alsa­cien et de ren­for­cer le sen­ti­ment d’appartenance à ce ter­ri­toire particulier ».
Il faut avoir de la peau de sau­cis­son sur les yeux pour ne pas voir l’entourloupe qui se pré­pare. Non seule­ment on ne sort pas du Grand Est comme le demande les Alsa­ciens, mais ce « groupe » s’arroge les com­pé­tences qui relèvent aujourd’hui en grande par­tie des dépar­te­ments. Et hop, le tour est joué : comme sur d’autres ques­tions, on s’assoit allè­gre­ment sur une expres­sion popu­laire démo­cra­tique comme le réfé­ren­dum de 2013.
Une entour­loupe car ce « groupe » n’a aucune légi­ti­mi­té à part celle du prince Rott­ner. L’Alsace devrait dis­po­ser d’une vraie struc­ture ter­ri­to­riale ayant des pou­voirs de déci­sion entre autres sur les ques­tions éco­no­miques, d’aménagement du ter­ri­toire. M. Rott­ner donne un os à ron­ger à ces élites alsa­ciennes, poli­tiques et cultu­relles, prêtes à s’en empa­rer, des fois qu’il y aurait encore quelques grammes de viande qui y serait accrochés.
Car le fameux « groupe » à peine annon­cé est déjà consti­tué : on s’imagine dans quelles condi­tions, avec quelles trac­ta­tions (tu me donnes ceci, je te donne cela) les membres de ce groupe ont été appro­chés et har­pon­nés. Et les « oubliés » s’agitent : « Pour­quoi pas moi ?»
Alors qu’on pen­sait tout ce beau monde alsa­cien uni, enfin uni, pour un objec­tif qui vaut la peine, celui de rega­gner une struc­ture ter­ri­to­riale cor­res­pon­dant aux attentes de la popu­la­tion, une par­tie retourne sa veste et avale son plat de lentilles…
Ils avaient pour­tant tous sous­crits à l’idée d’un réfé­ren­dum deman­dant aux Alsa­ciens de choi­sir entre le main­tien ou la sor­tie du Grand Est. Les Corses, à leur manière, somme le Pré­sident de la Répu­blique à la dis­cus­sion. Une grande par­tie des élites alsa­ciennes tra­hit son peuple : un jour ou l’autre, ce sera peut être au peuple de tra­hir ses élites…
Michel Muller