Le « Moi Soleil », comme dit le Canard Enchaî­né, a encore frap­pé et à Ver­sailles en plus… M. Macron a accueilli les nou­veaux maîtres du monde (je parle de la pla­nète) sous les ors du palais de Louis XIV. En réa­li­té, ce fut une agréable étape pour ces gens là avant d’aller assis­ter a un raout rituel et annuel à Davos, fine sta­tion suisse inac­ces­sible pour le com­mun des mor­tels… c’est-à-dire nous.

Mais la mise en scène fut bonne : tout d’un coup la France appa­rais­sait renaître, elle allait revivre cette période du XVIIe siècle où, à coups de guerres et de misère popu­laire, elle sem­blait domi­ner le monde. Avec les phi­lo­sophes des « Lumières » qui éclai­raient les socié­tés encore féo­dales alors que le monde avait déjà bas­cu­lé dans un fonc­tion­ne­ment nou­veau, ébran­lèrent réel­le­ment les aris­to­cra­tie au pouvoir.

De ce Ver­sailles là, éma­nait le mythe de la « Grande Nation » que l’histoire natio­nale a fon­dé pour asseoir une sorte de fier­té natio­nale qui devait faire accep­ter au peuple fran­çais les inéga­li­tés et injus­tices que la nou­velle socié­té bour­geoise ne man­quait pas de per­pé­tuer sous les ors désor­mais républicains.

Il y a quelque chose de comique, de drôle, de vain, de pué­ril même, de voir un pré­sident de la Répu­blique fran­çaise se plier devant les 140 grandes for­tunes mon­diales dans un lieu où c’est devant le Roi Soleil que les cour­ti­sans fai­saient la révérence.

Et jus­te­ment, les cour­ti­sans eux-aus­si, ont chan­gé de dimen­sion. Ils sont tou­jours là et assurent le déco­rum. Un des plus zélés d’entre eux, France Info, explique au bon peuple et relate fidè­le­ment la voie de son maître : « D’a­près l’É­ly­sée, ce mini-som­met aurait déjà por­té ses fruits. Les inves­tis­se­ments sur 5 ans en France devraient atteindre 3,5 mil­liards d’eu­ros et la créa­tion de 2 500 emplois ».

Et tous les autres ont sui­vi : cour­ti­sanes et cour­ti­sans, bouf­fonnes et bouf­fons, valets et vale­tailles, reprennent le thème. Oui, notre sou­ve­rain a séduit…

Car il est évident que ces gens riches n’ont atten­du qu’une récep­tion à Ver­sailles pour appor­ter leur richesse à la si peu encore « Grande Nation ». !

Tout cela n’est bien sûr que mise en scène et feu de paille : dès le len­de­main, à Davos, les vraies affaires ont repris, et là cela ne rigo­lait plus. Car cette ren­contre annuelle dans les Alpes suisses, ras­semble l’élite capi­ta­liste et les poli­tiques. Le vrai pou­voir est celui de l’économie : il demande au poli­tique de prendre les mesures favo­ri­sant le fonc­tion­ne­ment d’une éco­no­mie capi­ta­liste tou­jours plus avides de pro­fits rapides et de moins en moins encline à les partager.

Dans une étude, l’ONG Oxfam rap­pelle fort oppor­tu­né­ment aux « Davo­siens », qu’il ne faut que quatre jours au PDG de l’une des cinq pre­mières marques mon­diales du tex­tile pour empo­cher ce qu’une ouvrière du sec­teur au Ban­gla­desh met­tra une vie entière à gagner. Aux Etats-Unis, les trois per­sonnes les plus riches pos­sèdent autant que la moi­tié la plus pauvre de la popu­la­tion état­su­nienne : ce sont Bill Gates, de Micro­soft, le pdg d’Amazon, Jeff Bezos et l’investisseur War­ren Buf­fet, d’une part, et de l’autre : 160 mil­lions de personnes…

Quand le Roi Soleil pen­sait domi­ner le monde, son peuple som­brait dans la misère et son­geait à pré­pa­rer une révolution.

A Davos, le monde des affaires qui n’a jamais été aus­si riche, ne connaît pas la crise : ce sont les peuples qui les subissent de plus en plus. Pas sûr que les Fran­çais qui ver­ront peu à peu leur pou­voir d’achat fondre, les prix aug­men­ter, les ins­tru­ments de la soli­da­ri­té s’affaiblir, seront long­temps sen­sible à l’illusion que M. Macron sème avec l’aide de ses courtisans.

Car dans la mémoire col­lec­tive fran­çaise, Ver­sailles ne fut pas uni­que­ment le lieu des splen­deurs de la monar­chie à l’apogée de son pouvoir.

Après la défaite de Napo­léon III devant l’empire prus­sien, Le 31 août 1871, à Ver­sailles, l’as­sem­blée se pro­clame Consti­tuante et, dans le même temps, donne le titre de pré­sident de la Répu­blique à Adolphe Thiers. Pen­dant ce temps, le peuple de Paris s’oppose à l’armée prus­sienne et à l’Assemblée ins­tal­lée à Ver­sailles, et prend le pou­voir au sein de ce qu’on appel­le­ra la Com­mune de Paris, pre­mière ten­ta­tive d’une démo­cra­tie réel­le­ment populaire.

Bien que moins glo­ri­fiée par l’histoire offi­cielle de la France, la Com­mune de Paris est, au même titre que les phi­lo­sophes des Lumières, une contri­bu­tion de notre pays à l’élaboration de règles démo­cra­tiques nou­velles et en l’occurrence, une orga­ni­sa­tion proche de l’autogestion fin du XIXe siècle déjà. M. Thiers, le pré­sident de la Répu­blique le plus infâme que notre pays ait connu, choi­sit de mater les Com­mu­nards et ses troupes, appe­lées les « Ver­saillais » les exter­mi­nèrent lors de la Semaine san­glante du 21 au 28 mai 1871.

Ver­sailles n’incarne donc pas que les Ors de la Répu­blique, elle reflète aus­si son pire visage comme on vient de le voir. A cha­cun son symbole…

Michel Mul­ler