L’excellent site du Saute-Rhin de Bernard Umbrecht nous livre, chaque semaine, des bijoux d’articles parlant intelligemment de faits politiques, sociaux, culturels, de part et d’autre du Rhin. C’est souvent l’occasion de nous faire découvrir et d’interpréter de textes et/ou de personnalités dont les réflexions nous aident à mieux comprendre le monde.

Cette semaine, c’est la maire de Mul­house qui a eu les hon­neurs. Dans le registre « débla­té­rer des lieux « com­muns » mais sur­tout de mécon­nais­sance totale de l’histoire de sa ville et de sa région. A moins que cela ne soit volon­taire : l’ignorance, cela se par­donne, la fal­si­fi­ca­tion est sans pardon…

A lire sur le http://www.lesauterhin.eu/

Le début du texte comme entrée en matière…

Petite leçon d’histoire de l’Alsace dédiée à Mme Michèle Lutz, Maire de Mulhouse pour que l’on cesse enfin de déguiser les grands-mères alsaciennes en veuves de poilus.

J’ai la petite manie de mettre un calen­drier sous le cla­vier de mon ordi­na­teur. Celui-ci, trou­vé sur un pré­sen­toir à la biblio­thèque, s’y prê­tait bien. Las, j’ai dû en chan­ger pour ne plus avoir sous les yeux cet édi­to­rial de l’Almanach 2018 dans lequel Madame Michèle Lutz, maire de Mul­house, écrit à pro­pos de la célé­bra­tion de la fin de la Grande Guerre (sic) :

« En effet, après des com­bats san­glants qui ont tou­chés (sic) Mul­house dès 1914, les troupes fran­çaises sont entrées au sein de la Cité du Boll­werk, le 17 novembre 1918, met­tant fin à 47 ans d’occupation alle­mande. Comme Maire, je suis par­ti­cu­liè­re­ment atten­tif (sic) à la conser­va­tion et à la trans­mis­sion de l’héritage et du devoir de mémoire. Ces moments de recueille­ment per­mettent de se sou­ve­nir des mil­lions de sol­dats morts afin que nous puis­sions vivre libres »

Je sais que l’on va me dire que cette publi­ca­tion est anec­do­tique et que per­sonne ne la lira. Sans doute. Et j’oublie la ques­tion de l’absence de vigi­lance sur un sujet sen­sible – encore fau­drait-il qu’il soit consi­dé­ré comme tel. Je prends cela comme un symp­tôme. Symp­tôme du fait que cent ans après ce que l’on consi­dère comme la fin de la Pre­mière guerre mon­diale – elle n’était pas ter­mi­née pour tout le monde en novembre 1918 – on n’ait tou­jours à offrir aux sol­dats alsa­ciens morts sous l’uniforme alle­mand que le lin­ceul du men­songe. Ou de les dégui­ser en poi­lus dans leur tombe. Et nos grands-mères en veuves de sol­dats fran­çais. Et que l’on en soit encore à lire la Pre­mière guerre mon­diale – il n’y a pas de rai­son d’appeler Grande cette bou­che­rie indus­trielle – à tra­vers les œillères de la seconde. Bref, un point élé­men­taire de l’histoire de l’Alsace n’est tou­jours pas suf­fi­sam­ment par­ta­gé pour qu’un texte de ce genre ne soit plus pos­sible, car il est faux.

Non, mes grands-pères  n’étaient pas des poi­lus mais des sol­dats du kézère. Tout comme le poète alsa­cien Nathan Katz et beau­coup, beau­coup d’autres.

En 1914, l’Alsace était non pas occu­pée mais annexée à l’Allemagne. Les Alsa­ciens et les Lor­rains étaient juri­di­que­ment alle­mands en ver­tu du Trai­té de Franc­fort de 1871, trai­té recon­nu par la France comme par toutes les autres puis­sances. Ces qua­rante années d’annexions se sont muées pour les Alsa­ciens en « accom­mo­de­ment plus tacite que for­cé » (Annette Becker). Et ils ne sou­hai­taient cer­tai­ne­ment pas deve­nir l’enjeu d’une guerre mon­diale. Ils ne l’étaient pas d’ailleurs.

La récu­pé­ra­tion de l’Alsace-Lorraine n’a pas été à l’origine de la guerre. Elle n’est deve­nue un pré­texte et un but de guerre qu’après son déclen­che­ment. Ain­si, les 13 et 30 mars 1914 se sont dérou­lés à Mul­house de grands mee­tings paci­fistes, où sont inter­ve­nus ensemble des repré­sen­tants des dif­fé­rents par­tis poli­tiques (Centre, démo­crates et socia­listes) devant des foules esti­mées à plu­sieurs mil­liers de per­sonnes. De même, plu­sieurs per­son­na­li­tés alsa­ciennes-lor­raines avaient par­ti­ci­pé au congrès par­le­men­taire fran­co-alle­mand de Berne en mai 1913. Le refus d’une nou­velle guerre, l’espoir d’un rap­pro­che­ment fran­co-alle­mand et d’une Alsace-Lor­raine pen­sée comme un pont entre les deux pays sont les grands thèmes abor­dés lors de ces ras­sem­ble­ments. S’il y avait quelque chose à com­mé­mo­rer, il y aurait là une source d’inspiration. Mais on se fiche de tout cela comme de l’attirance pour la révo­lu­tion alle­mande de novembre 1918.

La suite (qui en vaut la peine) sur http://www.lesauterhin.eu/

Et en cir­cu­lant sur le site, vous accé­de­rez à toute une série d’articles les uns plus pas­sion­nants que les autres, par­ti­cu­liè­re­ment sur l’histoire réelle de la région Alsace… Et en plus des poèmes comme celui-ci, de Nathan Katz :

Inquiétude dan la nuit – D’Unrüehj in de Nàcht

Mànk­mol wenn de z’nacht dusse tüesch geh,
De weisch nit, was das isch,
Wu der’s Hàrz im Lib so zàmmechrampft :
Wie wenn ebber z’Hilf rieft, isch’s ibe­rem Fàll. –
Das sin d’Toti wu kä Rüehj hai unger em Bode.
Alli, wu si ver­dulbe hai im lange Chrieg,
Un wu jetz vergàsse lige
Enaime n im Weisefàll. –

Nathan Katz : D’Unrüehj in de Nàcht

Par­fois quand tu sors, la nuit,
Tu ne sais pas pourquoi
Ton cœur se serre ainsi :
On dirait que dans les champs quelqu’un appelle au secours. –
Ce sont les morts qui n’ont pas de repos dans la terre.
Tous ces morts enter­rés pen­dant la longue guerre
Et qui sont main­te­nant cou­chés là, oubliés,
Quelque part dans le champ de blé. –

Nathan Katz : Inquié­tude dans la nuit
Tra­duc­tion Guillevic