« Notre pays, berceau de la Déclaration des Droits de l’Homme, est secoué par un débat sur l’accueil des exilés. Les termes de ce débat sont très mal posés, ce qui entraîne des clivages qui n’auraient pas lieu d’être. Tout et n’importe quoi est dit au sujet des exilés qui fuient les guerres, la terreur ou la misère ».

Ain­si pré­sen­tée par Damien CAREME, maire de Grande-Synthe, aux quelques 900 par­ti­ci­pants, tous acteurs enga­gés, la Conven­tion natio­nale sur l’accueil et les migra­tions tenue à Grande – Synthe les 1er et 2 mars a lar­ge­ment  contri­bué à reca­drer un débat sou­vent biai­sé, à vali­der des infor­ma­tions et des chiffres réels, à pro­po­ser des pistes pour des solu­tions, loin des peurs, des fan­tasmes, des exploi­ta­tions politiciennes.

Com­plé­men­taire des pro­chains Etats Géné­raux de la Migra­tion orga­ni­sés par un col­lec­tif de près de 500 asso­cia­tions la conven­tion vou­lait asso­cier ces élus qui veulent ou sou­haitent agir et le mou­ve­ment associatif.

Le contexte  sécu­ri­taire et de fer­me­ture des fron­tières euro­péennes, la réponse fra­gile et par­tielle des Etats face à l’accueil des migrants et réfu­giés en France et en Europe n’empêchent pas, au contraire, la mobi­li­sa­tion de tous ceux qui ne veulent pas murer et entra­ver la libre cir­cu­la­tion des per­sonnes, de ceux qui ne croient pas  que l’arrivée « des autres » est une menace pour notre société.

Huma­nisme, actions, pro­po­si­tions, ana­lyses docu­men­tées, impli­ca­tion, sou­ci de la digni­té des per­sonnes et ont donc été à l’ordre de ces deux journées.

Le Mani­feste adop­té tra­duit bien les volon­tés des acteurs divers, mais tous enga­gés dans cette dyna­mique de tra­vail en com­mun et de res­pect mutuel.

Pho­to France 24

Un mani­feste mobi­li­sa­teur… Mor­ceaux choisis 

« La crise de l’accueil des exi­lés est d’abord et avant tout une crise de l’Union Euro­péenne et des poli­tiques empê­chant, coûte que coûte, les arri­vées en Europe de per­sonnes ayant fui leur pays… »

« De fait, l’absence de consen­sus entre les Etats de l’Union témoigne d’un manque de soli­da­ri­té euro­péenne, à la fois entre pays euro­péens et à l’égard de celles et ceux qui fuient des condi­tions de vie dra­ma­tiques, alors même que des mil­liers de vie en dépendent… »

« Tout a été entre­pris pour stop­per l’émigration vers nos pays et en par­ti­cu­lier en France : sécu­ri­sa­tion des fron­tières, finan­ce­ment et déploie­ment de forces poli­cières, régle­men­ta­tions diverses et variées limi­tant les liber­tés indi­vi­duelles des exi­lés notam­ment. Comme le signalent de nom­breuses asso­cia­tions ou encore la Com­mis­sion Natio­nale Consul­ta­tive des Droits de l’Homme, les droits fon­da­men­taux de ces per­sonnes exi­lées en France ne cessent d’être restreints. »

« Cette poli­tique de fer­me­ture et de repli sur soi ali­mente aujourd’hui la défiance, mul­ti­plie les risques poli­tiques, désta­bi­lise les opi­nions publiques et fra­gi­lise la place de la France en Europe et dans le monde. L’amalgame entre immi­gra­tion et asile doit cesser… »

« Nous ne croyons pas que les poli­tiques de fer­me­ture des fron­tières et des esprits résou­dront les crises sys­té­miques en œuvre de par le monde. Nous sommes en France, les dépo­si­taires d’une tra­di­tion his­to­rique d’accueil aujourd’hui mise en dan­ger. La France a choi­si de s’engager dans une poli­tique migra­toire d’une dure­té sans précédent… »

« Le Pré­sident de la Répu­blique avait évo­qué dans son dis­cours aux pré­fets début sep­tembre 2017, sa volon­té de « refon­der com­plè­te­ment la poli­tique d’asile et d’immigration », esti­mant entre autre que nous «accueillons mal en ne garan­tis­sant pas rapi­de­ment une mise à l’abri ou un héber­ge­ment aux migrants ». Il esti­mait, dans le même temps, que « la France était lar­ge­ment inef­fi­cace dans l’expulsion, la recon­duite aux fron­tières de ceux et celles qui n’ont pas l’accès au titre. » Depuis, le gou­ver­ne­ment est lar­ge­ment sor­ti l’ambiguïté pour mon­trer son vrai visage et ses véri­tables inten­tions en met­tant en place des mesures d’une bru­ta­li­té sans précédent… »

« Une cir­cu­laire du Minis­tère de l’Intérieur ins­taure ain­si, depuis le 12 décembre 2017, la créa­tion de  bri­gades mobiles pour contrô­ler les per­sonnes héber­gées dans les hôtels sociaux.  Cette remise en cause du prin­cipe d’hébergement incon­di­tion­nel est inac­cep­table tout comme le ren­for­ce­ment des mesures de pri­va­tion des liber­tés, le dou­ble­ment de la durée de mise en réten­tion pas­sant de 45 à 90 jours, voire à 135 jours, ou la mise en place d’une vraie course contre la montre admi­nis­tra­tive pour les deman­deurs d’asile, notam­ment pour les recours. Ces mesures consti­tuent une forme de vio­lence ins­ti­tu­tion­nelle. La réten­tion reste un lieu et un moment d’enfermement et de souf­frances inutiles, alors que la France est déjà le pays euro­péen qui a le plus expul­sé en 2016. Jamais un gou­ver­ne­ment n’avait été aus­si loin, glis­sant irré­mé­dia­ble­ment vers l’option sécuritaire.

« Les villes, les com­munes, les ter­ri­toires accueillants res­tent sou­vent bien seuls avec les ONG et les asso­cia­tions, en pre­mière ligne pour faire face aux enjeux de l’urgence du sort des exi­lés de tout âge. Si l’Etat fait preuve de défaillance, il nous appar­tient pour­tant d’œuvrer et d’agir à l’image de l’histoire et de la culture de l’hospitalité en France.… »

Riche en propositions…

1) « Nos villes, nos com­munes, nos ter­ri­toires peuvent deve­nir des villes, des com­munes et des ter­ri­toires refuges pour tous ceux et toutes celles qui ont besoin d’être mis à l’abri…

Des exemples existent déjà de par le monde qui doivent nous inter­ro­ger et nous ani­mer de manière prag­ma­tique. Le conseil muni­ci­pal de Mont­réal a adop­té la pro­po­si­tion du Maire dési­gnant Mont­réal comme ville refuge ou sanc­tuaire en février 2017 pour offrir à tous les mêmes droits, réfu­giés, sans papiers ou résidents.…

Cela pose évi­dem­ment des ques­tions. Une ville peut-elle se dis­tin­guer d’un Etat et prendre de sa propre ini­tia­tive des déci­sions supé­rieures à celui-ci ? Cela a été le cas à Grande-Synthe avec l’ouverture du lieu huma­ni­taire par l’action inno­vante et com­mune de la ville et de Méde­cins Sans Frontières. »

2) « Nous déli­vre­rons, comme à New York, une carte de citoyen­ne­té à cha­cun, per­met­tant aux per­sonnes, quel que soit leur sta­tut, de vivre dans nos ter­ri­toires. Inven­ter cela de manière prag­ma­tique, c’est faire face à notre devoir moral dans un contexte dans lequel les villes renoue­raient avec leur his­toire sans pour autant s’immiscer dans le droit d’asile, la natu­ra­li­sa­tion ou l’injonction défi­ni­tive de s’intégrer, voire de s’assimiler, qui relèvent des pré­ro­ga­tives de l’État ».

3) «Nous pro­po­sons au-delà de l’hospitalité des villes, la recon­nais­sance de cette pré­sence tem­po­raire, dite de tran­sit. Cela per­met­trait de « sécu­ri­ser » les par­cours migra­toires, d’offrir le temps néces­saire à la réflexion sur leur pro­jet migra­toire per­met­tant, ensuite, à cha­cun de choi­sir, de le pour­suivre, de l’amender ou d’y renoncer ».

4)« Nous deman­dons une atten­tion par­ti­cu­lière sur le deve­nir des mineurs non accom­pa­gnés et les jeunes majeurs dont la prise en charge est insa­tis­fai­sante, notam­ment par les conseils dépar­te­men­taux et l’Etat. Du fait de la fra­gi­li­té des dis­po­si­tifs de prise en charge, ces mineurs et jeunes majeurs sont ren­dus aujourd’hui pour une bonne part « invi­sibles » ou non pris en charge, ce qui menace leur inté­gri­té et celle de notre socié­té. Leur nombre s’accroît de manière inexo­rable, proche aujourd’hui des 25 000 personnes ».

5) « Nous orga­ni­se­rons un réseau d’é­lus et de col­lec­ti­vi­tés dési­rant se sai­sir des ques­tions de l’ac­cueil et des urgences liées aux migrations. »

En  pers­pec­tives…

« Nous avons ensemble l’occasion de don­ner une nou­velle impul­sion, celle de faire de la ques­tion des exi­lés une grande cause natio­nale. Nous ne pour­rons le faire seuls, mais en com­plé­men­ta­ri­té avec les citoyens, les asso­cia­tions et leurs béné­voles, les élus qu’il fau­dra convaincre, et l’Etat dont la res­pon­sa­bi­li­té juri­dique et éthique est évi­dem­ment première ».

« Cet opti­misme de la volon­té doit être conta­gieux et réso­lu, pour faire vivre et réson­ner ce qu’il y a de meilleur en nous et atteindre une véri­table cohé­sion nationale… »

Pour des ini­tia­tives locales et natio­nales en préparation…

Les Etats géné­raux de la migra­tion auront lieu fin mai à Paris.

Ils devraient mar­quer le ras­sem­ble­ment  de plus de 500 asso­cia­tions, grandes ou non, dans une démarche très proche de celle pré­sen­tée à Grande-Synthe.

Déjà les réunions de tra­vail pré­pa­ra­toires se mul­ti­plient dans nombre de dépar­te­ments, dans le cadre d’une coor­di­na­tion nationale.

(note : pour l’Alsace des acteurs asso­cia­tifs se retrou­ve­ront pour pré­pa­rer les Etats géné­raux à la Mai­son de la citoyen­ne­té de Kin­ger­sheim toute la jour­née du 14 avril). 

Ce que l’on appelle la crise migra­toire n’est en fait que la crise de l’accueil et s’il faut citer quelques phrases en conclu­sion de la conven­tion que ce soient celles, encore, du manifeste :

« Nous avons ensemble l’occasion de don­ner une nou­velle impul­sion, celle de faire de la ques­tion des exi­lés une grande cause nationale ».

Chris­tian Rubechi

 *La pho­to du camp de Grande-Synthe est du jour­nal Le Monde.