C’est la loi du genre, la règle du jeu : en vue d’élections les candidats-es élaborent un programme et dévoilent leurs propositions qui, juré, craché, seront mises en œuvre durant le temps de la mandature à venir. Pourquoi les sortants ne les ont-ils pas réalisés pendant leur mandat ?
Pourquoi faut-il attendre des échéances électorales pour sortir des idées qui auraient déjà pu servir lors de la dernière gestion de la collectivité ? Parce que c’est comme cela ! La démocratie représentative est faite de promesses avant les élections et les électeurs doivent attendre les prochaines échéances pour donner leur avis.
Pourtant ce serait bien qu’on puisse le faire pendant l’exercice du pouvoir. Et demander à ceux qui ne tiennent pas leurs promesses d’aller voir ailleurs sans pour autant attendre la fin de la mandature. Peut-être que la démocratie y gagnerait et que l’abstention reculerait enfin. Car il est vain de se faire des illusions : à la lecture des promesses des candidats, il est difficile de trouver des motivations enthousiasmantes pour aller déposer son billet dans les urnes. Et pourtant, le peu de démocratie qu’offre la démocratie représentative, il ne faudrait pas la laisser s’échapper… En luttant pour espérer mieux…
Elections régionales… sans référence au Grand Est…

Les professions de foi sont arrivées et, oh surprise, du moins dans les deux départements alsaciens : aucun des candidats ne se réclament du « Grand Est » ouvertement, sauf l’écologiste Romani. Les autres, même Rottner, parlent pudiquement de « la Région » cependant toutes et tous mettent en avant leur « désir » d’Alsace. Est-ce que cela aurait à voir avec le constat que 2/3 (68%) des Alsaciens se sont déclarés contre le Grand Machin lors d’un sondage en 2020…
Alors, on met illico le Grand Est sous le tapis et on parle d’autre chose. D’autant plus que le vote ne se fera pas directement pour la liste régionale mais à travers des listes départementales… Et en Alsace, autre supercherie de nos élus alsaciens sortants, on a fusionné les deux départements (ce que vous aviez refusé par referendum en 2013… mais bon, s’il faut maintenant écouter ce que dit le peuple…) et nous voterons comme une seul Alsacien-ne de Wissembourg à Saint-Louis pour la Petite Chose, la Collectivité européenne d’Alsace… Vous suivez ? Car en plus il faudra élire des candidats pour les élections départementales, ce qui se fera par cantons et par binôme… de quatre candidats (les titulaires et les suppléants). Vous suivez toujours ? Allons, un peu de bonne volonté…
Une usine à gaz à encourager l’abstention ? Là c’est carrément du mauvais esprit….
Les propositions et les promesses : est-bien la même chose ?
Neuf listes briguent la direction du Grand Est : droite, gauche, extrême-droite, écologistes, régionalistes, chacun porte son étendard. Mais cela fait belle lurette que les citoyens ne s’attardent plus aux étiquettes revendiquées tellement les politiques menées successivement par des élus se réclamant de la droite ou d’autres de la gauche… étaient quasiment du copier-coller. On n’oublie quand même pas que cette désastreuse réforme institutionnelle créant des régions impersonnelles, impopulaires et qui en fin du compte ne correspondent à plus rien, est une création du président de gôche, M. Hollande…

Rendons quand même à César ce qui revient à Jules, le seul parti qui immuablement propose les mêmes choses, c’est Lutte ouvrière qui reste fidèle à sa doxa : la seule proposition instructive est « renverser le capitalisme pour créer une société planifiée et respectueuse de l’environnement ». Soyons juste, la référence à l’environnement est une audace nouvelle. Pour le reste, cela me semble un peu court, camarades…
Autre originalité : une liste « Agir pour ne plus subir » conduite par Adil Tyane, qui veut, entre autres, « négocier avec le Luxembourg des quotas annuels de stage pour les étudiants du Grand Est » et « intégrer les Musulmans dans le Concordat d’Alsace-Moselle » … Bon, tout cela ne fera pas la rue Michel*…
Prévert au rendez-vous…
Plus conséquentes sont les projets d’autres candidats qui peuvent prétendre à plus de 5% des voix.
Ainsi, sur le plan économique, un inventaire digne de Prévert se décline transversalement : cela va de « l’investissement dans les filières professionnelles sur des compétences perdues ou fragilisées » (Aurélie Filippetti), par la « création d’une agence de la relance et le doublement des crédit régionaux » (Brigitte Klinkert), à la « concentration la politique de soutien économique sur les TPE, PME, Pmi exclusivement » (Florian Philippot) ou bien « prendre des participations dans les entreprises à fort potentiel confrontées à des difficultés conjoncturelles » (il y en a beaucoup ?) propose Laurent Jacobelli. Pour Unser Land, il faut « faciliter le développement économique, l’emploi, l’innovation et le transfrontalier ». C’est vrai que cela ne mange pas de pain…
Tout comme Mme Romani qui, elle, propose de « soutenir l’économie sociale et solidaire ainsi que les acteurs coopératifs » … Voilà enfin de l’original….
Mais le festival sera rottnérien : attention, attacher vos ceintures, ça va déménager : « relocaliser 500 entreprises d’ici à la fin du prochain mandat ». Mazette ! « Développer de nouvelles filières industrielles » (déjà pris par les autres…), « doubler le nombre de start-up via des incubateurs ». S’il y en a deux actuelle, les doubler ne fera pas beaucoup à la fin du mandat ! On vous épargne le reste de la même veine démagogique qui n’engage en rien… et dont on se demande encore comment tout cela serait financer.
Les transports gratuits… il faudra attendre !
Dans la rubrique « transports », certains se lancent tout de même dans la promesse de gratuité : immédiatement pour les moins de 25 ans puis pour tous à la fin du mandat propose Aurélie Filippetti. Mme Romani est sur la même longueur d’onde : gratuité des transports régionaux pour les moins de 25 ans, les scolaires, les étudiants et les jeunes demandeurs d’emplois. Les vieux attendront !
Mme Klinkert soigne les Bleus : gratuité des TER pour les policiers et les gendarmes curieusement (vraiment ?) rejointe par M. Philippot qui propose la gratuité pour les moins de 25 ans… et les policiers (les policiers de moins de 25 ans auront-ils un crédit d’impôt ?) sur lesquelles M. Jacobelli renchérit : gratuité des transports pour les moins de 25 ans… et les plus de 65 ans ainsi que pour les forces de l’ordre et les pompiers.
M. Rottner, lui, ne propose pas de gratuité (l’argent va d’abord aux entreprises !) mais il veut déployer un « grand réseau de voies et d’autoroutes sécurisées en faveur du vélo ». Encore une que les Ecolos ne me prendront pas a‑t-il dû se dire.
Intéressante suggestion de Mme Romani pour les EELV : « débloquer 1 milliard d’euros pour rouvrir et moderniser les lignes ferroviaires de proximité » là où Mme Klinkert propose « d’ouvrir à la concurrence les petites lignes fermées » … Et pourquoi donc ont-elles été fermées quand Mme Klinkert et M. Rottner, entre autres, étaient aux manettes du département et de la Région ?
Quant à M. Meyer, d’Unser Land, il a lui aussi trouvé la solution miracle : « mettre en concurrence la SNCF sur toutes les lignes secondaires ». Cela va faire gagner des voix chez les Cheminots, un truc comme cela !
Etrangement, l’écotaxe poids lourds ne fait pas partie des propositions de Mme Romani mais c’est le duo Klinkert-Rottner qui s’en empare de concert… Il n’est jamais trop tard pour bien faire mais cela a déjà été tellement promis qu’on se demande où se trouve l’entourloupe…
Jeunesse et éducation
Enfin, on va parler emploi, social, salaire, lutte contre la précarité devrait-on se dire. Si Aurélie Filippetti (aide d’urgence ponctuelle de 600 euros pour les jeunes en grande difficulté) semble vouloir s’y atteler, c’est Eliane Romani qui apparaît la plus audacieuse et originale en proposant un revenu de transition écologique mensuel de 1.000 euros sous forme de bourses ou d’allocations. Reste à en définir les conditions. On verra après les élections ?
Mme Klinkert prône la révolution ! La création d’un Pack Jeunes à 1 € par jour comprenant le prix du transport et du repas ! On est effaré par cette gabegie, heureusement qu’elle rajouter « sous conditions de ressources ». Bon faudra pas aller bien loin et ne pas faire une grande bouffe…
M. Rottner lui montre comment faire de la politique sur ce sujet : sa proposition est la création d’un Pass-mobilités/formation pour 10.000 jeunes entrant en formation chaque année (montant : 1.000 €). De quoi faire passer Mme Klinkert pour la dernière des pingres…
Les deux larrons d’extrême-droite ont biberonné aux mêmes sources : tous deux proposent le financement du permis de conduire. M. Jacobelli offre 5.000 euros à la première création d’entreprise à la sortie des études. Allons, tous entrepreneurs, voilà comment on combat le chômage ! Et M. Philippon pense réellement utile de créer un centre régional de lutte contre les addictions ! Tous des drogués ces jeunes ! Ou alcoolos ?
Bien sûr en Alsace beaucoup de monde est attentif au sort réservé à l’apprentissage de la langue régionale qui est l’alsacien comme chacun sait.
Comme il fallait s’y attendre, c’est Martin Meyer, d’UL qui est le plus clair sur le sujet : il propose de débloquer 20 millions d’euros pour les écoles pratiquant l’enseignement en immersion en Alsace-Moselle. Au moins c’est clair ! Pas tellement du côté de Mme Filippetti qui propose des « cours dans les langues frontalières aux jeunes et aux personnes en reconversion professionnelle ». On ne comprend pas tout : « langue frontalière » ? C’est l’allemand. « Reconversion professionnelle » ? Il faut donc faire des formations en allemand pour aller bosser en Allemagne. Voilà, là c’est clair…
D’ailleurs Mme Klinkert n’est pas loin de partager cette proposition, les grands esprits se rencontrent : elle propose de « consolider l’enseignement bilingue et l’apprentissage de langues étrangères en particulier l’allemand ». Cela sent bon la phrase négociée des heures durant avec les jeunes loups de LREM qui pensent toujours encore que la culture alsacienne se centre sur le kougelhopf et la réintroduction des cigognes… Avec un casque à pointe en guise de bec ?
Vous pourrez toujours chercher chez M. Rottner ou M. Philippot la moindre trace de proposition sur l’enseignement de la langue régionale. Nib, rien de rien… La candidate écologiste fait état d’intéressantes idées sur la question de l’éducation en général et propose de promouvoir les langues régionales mais dans la rubrique « culture » et non « éducation ». Pourquoi ?
Quant à Laurent Jacobelli il règle l’affaire en une phrase : promouvoir le bilinguisme et l’enseignement immersif.
Dans la rubrique « Culture » notons l’étrange idée de M Rottner avec la « création d’une plate-forme de coaching culturel gratuite ! Là où Mme Filippetti propose de passer le budget régional de la culture à 3% et que Mme Klinkert propose de double le pass-culture des jeunes avec 500 euros de plus. C’est un peu plus concret que M. le président sortant…
Environnement et institutionnel
Comme il fallait s’y attendre, la quasi-totalité des candidats sont très prolixes en matière d’environnement. C’est à la mode, bien sûr. Donc, ne lésinons pas !
La limitation de l’artificialisation des terres est portée par Mme Filippetti, par Martin Meyer et par Mme Romani. M. Rottner, lui, voit grand comme cela lui sied en fonction de la haute idée qu’il a de lui-même : il veut installer « 1,5 million de m² de panneaux voltaïques sur les bâtiments de la région » (mais pas d’éolienne…), 1 »00% du vignoble sans pesticide (qu’en pense M. Cattin…), « soutenir le développement en région de substituts au plastique » … Donc construire des papeteries ? …
Mme Klinkert, elle, se projette : « faire de la Région un territoire de référence dans le domaine des énergies du XXIe siècle ». En voilà un programme !
L’extrême-droite est plus prosaïque : tous les deux ont une proposition simple et percutante : soutenir la filière nucléaire. Réouvrons Fessenheim !
L’avenir de l’Alsace

Revenons à nos propos du début de l’article : 68% des Alsaciens rejettent le Grand Est et 73% des Alsaciens avaient exprimé leur souhait de retrouver une Région Alsace hors du Grand Est dans le sondage CSA/Unser Land de mai 2017.
Ont-ils été entendu par celles et ceux qui briguent leurs voix ?
En réalité, pas tellement. La voix du peuple ne monte pas dans tous les Etats-Majors…
- Mme Filippetti n’en dit mot et propose un truc alambiqué : « changer le pilotage régional en donnant toute leur place aux élus, associations et citoyens ; valoriser la diversité des territoires… » le crash du pilote n’est pas loin !
- Mme Klinkert ne parle même pas de sa CEA mais propose d’élire un vice-président par région historique avec un budget dédié… 73% d’Alsaciens vont vivre une nouvelle déception !
- MM. Philippot et Jacobelli sont unanimes (comme quoi…) : revenir aux trois anciennes régions, le second proposant même de démanteler le Grand Est. Son colistier Thierry Hans a‑t-il été entendu ?
- Comme toujours sur ces questions, Unser Land avec Martin Meyer n’a pas d’hésitation : démanteler le Grand Est, recréer les anciennes régions, faire de l’Alsace une Collectivité à statut particulier (comme la Corse semble-t-il) mais enrichit cette position de la demande du lancement d’un référendum d’initiative citoyenne sur des sujets locaux.
- M. Rottner, là aussi, fait du Rottner : lui qui était farouchement opposé aux grandes régions avant de recevoir le poste de président, essaie de faire un atterrissage après un triple salto arrière : il veut créer un « pacte (rien que cela !) avec la CEA avec des délégations de compétences sur l’économie, la santé, la gestion des fonds européens ». Il veut bien déléguer des compétences… tout en continuant à tirer les ficelles, voilà la proposition décodée…
Après ce survol des promesses multiples et variées des listes dont aucune n’a estimé le coût ni imaginé le financement (!), vous pourrez vous faire une idée de votre vote.
Même si les programmes n’ont rien de vraiment folichon, utiliser votre bulletin de vote comme un moyen d’expression. En sachant qu’il n’est pas le seul moyen à votre disposition : tant que nous serons en démocratie représentative et que votre avis ne vous est demandé qu’à tous les Saint-Glinglin, vous pouvez vous exprimer en rejoignant des associations, des syndicats, en imaginant des actions de sensibilisation des citoyens sur des injustices qui vous révoltent ou sur des solutions à des problèmes qu’il faudra imposer aux élus s’ils ne les prennent pas en compte.
La démocratie ne saurait se limiter à un vote. Point final.
*Cette expression familière, attestée au XIXe siècle, provient d’un jeu de mots digne de l’Almanach Vermot, basé sur la rue Michel-le-Comte, dans le quartier du Marais à Paris.
Cette expression est apparue après 1806, lorsque cette rue a ainsi été nommée.
Elle serait venue des conducteurs de fiacre qui, une fois leur client déposé dans la rue (ou à proximité) et l’argent de la course reçu, leur signifiait ainsi avoir le montant nécessaire.
Selon certains, elle aurait aussi pu être popularisée par les journalistes des nombreux quotidiens installés dans la rue Réaumur, située à quelques pas de la rue Michel-le-Comte.