Jamais à court de fan­tasmes sociaux dis­cri­mi­na­toires, deux dépu­tés LR du Haut-Rhin, Jean-Luc Reit­zer, dépu­té de la 3° cir­cons­crip­tion et ex-maire d’Alt­kirch, et Raphaël Schel­len­ber­ger dépu­té de la 4° cir­cons­crip­tion et ex-maire de Watt­willer, sou­tiennent, avec d’autres, une pro­po­si­tion de loi visant à sup­pri­mer le RSA à tout titu­laire ayant par­ti­ci­pé à une mani­fes­ta­tion s’é­tant révé­lée violente. 

Une telle ini­tia­tive résonne par­ti­cu­liè­re­ment dans notre his­toire sociale, dans le sillage de la fin de la Seconde guerre mon­diale. Nous évo­quions déjà ces der­niers jours dans un article qui por­tait sur la der­nière mani­fes­ta­tion des gilets jaunes, et les menaces d’in­ter­ven­tion armée qui pesaient sur elle, des paral­lèles avec la grande grève des mineurs de 1948.

Cette pro­po­si­tion de loi anti­so­ciale nous donne alors l’oc­ca­sion d’y revenir. 

Le mou­ve­ment de grève, extrê­me­ment dur, des mineurs fran­çais s’est dérou­lé entre le 28 sep­tembre et le 30 novembre 1948. Il fut un cruel échec pour le mou­ve­ment ouvrier. 340 000 mineurs des char­bon­nages de France se décla­rèrent gré­vistes, contre « le décret Lacoste », du nom d’un ministre de l’In­dus­trie et ex-syn­di­ca­liste à la CGT, qui pré­voyait notam­ment des baisses de salaire, et une rému­né­ra­tion à la tâche, qui fai­sait méca­ni­que­ment bais­ser le salaire des mineurs. 

Le mou­ve­ment social, par son ampleur et sa puis­sance sur plu­sieurs semaines, fut décla­ré « insur­rec­tion­nel » par Jules Moch, sinistre de l’In­té­rieur issu de la SFIO. Cela lui per­mit de faire don­ner la police et l’ar­mée, en répres­sion des manifestants. 

La grève eut éga­le­ment des consé­quences syn­di­cales d’im­por­tance, puisque c’est à ce moment que la CGT connut une scis­sion au cours de laquelle nai­tra FO, créée avec l’ap­pui et les fonds de l’OSS, ancêtre de la CIA, pour dimi­nuer l’influence du par­ti com­mu­niste fran­çais, qui venait de quit­ter le gou­ver­ne­ment 2 années plus tôt, mais res­tait extrê­me­ment influent. 

Mais ce que l’on sait moins, et qui per­met de relier cette his­toire avec la pro­po­si­tion de loi sup­pri­mant le RSA pour cer­tains mani­fes­tants, est que la répres­sion gou­ver­ne­men­tale eut éga­le­ment des consé­quences sociales. 

En effet, outre la pri­va­tion des droits civiques, un pro­jet de déchéance de la natio­na­li­té, et des licen­cie­ments dis­ci­pli­naires de masse (3000 mineurs dont 117 délé­gués syn­di­caux en firent les frais), la répres­sion pri­va éga­le­ment les gré­vistes de leurs allo­ca­tions familiales. 

Ces allo­ca­tions repré­sen­taient une part tout à fait sub­stan­tielle du reve­nu des familles de mineurs. Le 11 novembre 1948, le gou­ver­ne­ment décide de sup­pri­mer le béné­fice de ces allo­ca­tions aux mineurs ayant exer­cé moins de 18 jours dans le mois pour fait de grève. 

Il s’a­gis­sait clai­re­ment d’un chan­tage social des­ti­né à obli­ger les mineurs en grève à reprendre le travail. 

L’a­na­lo­gie avec la pro­po­si­tion de loi pri­vant les allo­ca­taires de leur RSA au pré­texte d’un mou­ve­ment social poten­tiel­le­ment violent (alors que l’im­mense majo­ri­té par­mi eux n’ y a jamais par­ti­ci­pé, pour peu que l’on connaisse un peu le public), parait alors frappante. 

Ici encore, des par­le­men­taires cherchent à dis­sua­der et cri­mi­na­li­ser la par­ti­ci­pa­tion de citoyens au mou­ve­ment social, au pré­texte de leur situa­tion maté­rielle. Pour preuve, la pro­po­si­tion s’ins­crit dans le cadre de l’article 431–7 du Code pénal, men­tion­nant « la par­ti­ci­pa­tion délic­tueuse à un attrou­pe­ment », et pré­voyant, en com­plé­ment de la peine prin­ci­pale, l’in­ter­dic­tion des droits civiques, civils et de famille, et une inter­dic­tion de séjour. Cela vous rap­pelle-t-il quelque chose ? 

En 2014, soit 66 ans plus tard, l’ex-garde des Sceaux Chris­tiane Tau­bi­ra annon­çait qu’elle allait « répa­rer l’in­jus­tice » faite aux mineurs de 1948. Elle s’ex­pri­mait après la pro­jec­tion d’un docu­men­taire consa­cré aux der­niers sur­vi­vants de cette his­toire: L’honneur des gueules noires

Et pour l’hon­neur des titu­laires du RSA ? Ren­dez-vous dans 66 ans !