La réforme du droit d’au­teur votée par les par­le­men­taires euro­péens à Stras­bourg est com­plexe à appré­hen­der glo­ba­le­ment. Nous ten­tons donc ici d’en résu­mer les prin­ci­paux enjeux: 

Un texte tout à fait éclai­rant sur les der­nières évo­lu­tions du droit d’au­teur est par ailleurs dis­po­nible ici.

  • Au sujet des hébergeurs:

Seul véri­table enjeu de fait pour cette réforme : contraindre les pla­te­formes dif­fu­sant des œuvres sus­cep­tibles d’être cou­vertes par des droits d’auteur, à sous­traire immé­dia­te­ment au public tout conte­nu reven­di­qué par un ayant-droit. Cela ne peut se faire par des humains, compte tenu le volume d’échange de don­nées au quo­ti­dien. C’est donc la tech­no­lo­gie de type « content-id », algo­rithme uti­li­sé par You­tube pour fil­trer auto­ma­ti­que­ment un conte­nu pro­té­gé, qui va se géné­ra­li­ser à toutes les pla­te­formes d’échange. Cela pro­fi­te­ra donc dou­ble­ment à la filiale de Google, puisque outre la revente de sa tech­no­lo­gie à ses concur­rents, elle a déjà signé nombre de par­te­na­riats avec les ayants-droits, dont la SACEM en France !

Devant l’in­sé­cu­ri­té juri­dique per­ma­nente qui se pro­file en pers­pec­tive, les pla­te­formes risquent en retour d’autocensurer en masse les conte­nus, par défaut, et sans capa­ci­té de dis­tinc­tion ou de dis­cri­mi­na­tion contex­tuelle. Au risque d’attenter à toute uti­li­sa­tion inci­dente et non commerciale. 

Exemple don­né par l’« Elec­tro­nic Fron­tier Foun­da­tion »: « Si un pho­to­graphe de presse prend une pho­to d’une vio­lence poli­cière lors d’une mani­fes­ta­tion […] et qu’il y a dans le fond de cette pho­to une publi­ci­té dont l’image est pro­té­gée, cela pour­rait suf­fire à déclen­cher le blo­cage [de la vidéo].

Les asso­cia­tifs oppo­sés au texte sont per­sua­dés que les ayants droit et les euro­dé­pu­tés, qui défendent la direc­tive, mesurent mal l’impact pra­tique d’un fil­trage éten­du, alors que les effets de bord du fil­trage actuel entraînent déjà régu­liè­re­ment le retrait abu­sif de vidéos.

Même insé­cu­ri­té juri­dique poten­tielle pour les créa­teurs de paro­dies et de détour­ne­ments. Le droit à leur exis­tence est certes ins­crit dans la direc­tive, mais per­sonne n’est capable d’affirmer à ce jour qu’il existe une tech­no­lo­gie qui sau­ra les recon­naître, pour les dis­tin­guer d’utilisations illé­gales. Cela va com­pli­quer consi­dé­ra­ble­ment la créa­tion, voire la dissuader. 

La volon­té mani­feste des ayants-droits est clai­re­ment d’interdire pro­gres­si­ve­ment tout déve­lop­pe­ment de pla­te­formes d’échanges de don­nées, ayant un modèle publi­ci­taire pour contre­par­tie de la gra­tui­té, car le mar­ché de la publi­ci­té est moins rému­né­ra­teur que le prin­cipe de l’abonnement fixe. You­Tube est bien enten­du dans le viseur. Des pres­sions s’exerceront donc sur Google pour bas­cu­ler la pla­te­forme sur un modèle ver­rouillé payant.

C’est donc la place de la cir­cu­la­tion non com­mer­ciale, ou a‑commerciale, de la culture pour les inter­nautes qui est impac­tée par la direc­tive. Place est faite pour une fer­me­ture et un ver­rouillage auto­ma­ti­sé des œuvres de l’esprit, au pro­fit des pla­te­formes de ges­tion de droits, qui sont les seuls vain­queurs de la réforme. 

Par ailleurs, chaque pays a deux ans pour trans­crire le conte­nu de la direc­tive en droit natio­nal, et il est fort à parier que la France en fera une trans­po­si­tion aus­si auto­ri­taire que pos­sible, comme on a déjà pu l’observer ces der­nières années sur des textes du même acabit. 

Quant aux artistes, au nom des­quels est mené cet usi­nage dou­teux, pas sûr du tout que l’industrie prouve que le nou­vel éco­sys­tème va réel­le­ment leur être pro­fi­table. Il leur fau­dra gérer effi­ca­ce­ment et sérieu­se­ment des droits com­plexes atta­chés à chaque œuvre en ligne, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Bien sûr, l’ar­ticle 14 leur assure «une rému­né­ra­tion juste et pro­por­tion­nelle»… Mais sera-ce sui­vi d’effet ? 

Selon le site « lesjours.fr » : « De très nom­breuses vidéos, jusqu’à 50 % des séquences conte­nant de la musique, seraient aujourd’hui mal gérées. Droits non récla­més, ayants droit qui se marchent des­sus en récla­mant la même vidéo et entraînent ain­si le blo­cage de la rému­né­ra­tion… Les cas sont nom­breux et la direc­tive copy­right n’aborde que très peu les res­pon­sa­bi­li­tés des labels et socié­tés de ges­tion sur ces ques­tions pour­tant cru­ciales. Tous pour­ront donc conti­nuer à gérer plus ou moins bien les droits de leurs artistes, voire à ne pas les gérer du tout puisque, comme cer­tains l’avouent en « off », les grandes mai­sons de disques s’occupent en prio­ri­té des artistes les plus en vue, ceux qui rap­portent le plus, puis de ceux qui râlent ».

  • Au sujet des édi­teurs de presse:

La direc­tive exclut clai­re­ment les liens hyper­textes du champ de la règle­men­ta­tion com­mer­ciale. Mais hor­mis cela, tout le reste est sus­cep­tible d’être reven­di­qué à titre lucra­tif, par un édi­teur. C’est à dire quelques lignes d’in­tro­duc­tion, ou même une simple cita­tion de texte, par l’un quel­conque site héber­gé dans l’UE, quelle que soit sa nature juri­dique ou économique. 

En effet, la for­mu­la­tion de la direc­tive est si floue en la matière, qu’elle auto­rise tous les abus. Notam­ment à l’en­droit des agré­ga­teurs de news asso­cia­tifs (à but non lucra­tif), qui se servent éga­le­ment des mêmes pro­cé­dés de répli­ca­tion que ceux du-géant-de-Men­lo-Park (Google of course). 

En revanche, il sera extrê­me­ment dif­fi­cile pour nos édi­teurs de tordre le bras à des mas­to­dontes de sa dimen­sion, et son célèbre agré­ga­teur d’in­for­ma­tions « Google news ». Lequel se nour­rit pré­ci­sé­ment de titres de presse et de quelques lignes des articles qu’il référence. 

En cas de pres­sion un tan­ti­net insis­tante, il res­te­ra tou­jours au pre­mier repré­sen­tant de la lignée pro­li­fé­rante des GAFAM, la pos­si­bi­li­té d’en­clen­cher le bou­ton nucléaire à l’en­contre des médias par­jures, et hau­te­ment tri­bu­taires de la publi­ci­té. Laquelle agres­sion mer­can­tile et visuelle est sou­vent assu­rée via la régie publi­ci­taire de leur « pire ennemi » ! 

La fer­me­ture pure et simple de son ser­vice, que Google n’hé­si­ta pas à exer­cer en Espagne au mois de décembre 2014, risque bien de poin­ter dans d’autres places européennes… 

Se retrou­vant cul nu, les édi­teurs ibé­riques, qui per­daient ain­si les miettes que le géant avait consen­ti à leur redis­tri­buer, n’a­vaient plus que la beau­té du ciel anda­lou pour se conso­ler. Ils per­daient ain­si, non seule­ment leurs quelques sub­sides, mais éga­le­ment… des dizaines de mil­liers de leurs lecteurs !

Pour toute jus­ti­fi­ca­tion, la mul­ti­na­tio­nale du web invo­quait alors une fâcheuse nou­velle légis­la­tion natio­nale, qui allait l’o­bli­ger à rému­né­rer les entre­prises de presse dont il repro­duit tout ou par­tie des contenus.

On a vrai­ment pas idée plus saugrenue ! 

Tiens ! Mais ne serait-ce point exac­te­ment le texte qui vient d’être adop­té par le Par­le­ment européen ? 

Vivre et périr par la pub. Quels choix farouches menés par ces mata­dors de papier que sont deve­nus nos confrères. Arbo­rant leur plus belle faconde de faux derches, ils font face au mino­taure de la don­née per­son­nelle qu’ils vénèrent et servent tant, mais qui leur rend si peu ! 

Has­ta lue­go les médias publicitaires !