En marge de son festival “Estivadas”, crée en 1995, et qui a été depuis contraint à réduire la voilure en terme de durée et de programmation – car tout, hormis la température, baisse, y compris les subventions extérieures – la ville de Rodez a accueilli,  deux jours durant, du 17 au 19 juillet, une rencontre de compagnies de théâtre en langues « régionales ».

Ils étaient tous là, ou presque,  les pays d’Alsace, de Bretagne, de Catalogne, de Corse, d’Occitanie (Languedoc et Gascogne) et du Pays basque où d’irréductibles théâtreux peinent à faire valoir le droit des langues du cru à monter sur des tréteaux dignes de ce nom.

Car il existe, ce théâtre, bien sûr, mais sans, ou avec peu de soutien public et dans ce dernier cas, au mieux, ponctuellement. Or, la présence des langues régionales sur scène est d’évidence une des voies  pour les promouvoir.

Ce sera une constante du colloque de passer sans cesse de la question du théâtre à celle de la langue, comme on le voit dans le communiqué de presse ci-dessous, le choix de la langue dans le théâtre relevant non seulement d’un parti-pris esthétique (car « toutes les langues sont belles ») mais participant également d’une décision politique : que leurs langues sont les langues du peuple, volées au peuple, la plupart des participants en avaient conscience ainsi que le fait que, après les avoir combattues, les pouvoirs publics nationaux les laissent à l’agonie, poursuivant jusqu’à l’achever la spoliation d’un bien avant tout paysan et ouvrier. Parce que l’affrontement y participe, l’expression « lutte des classes » reviendra à plusieurs reprises.

Les Bastilles à prendre sont identifiées : l’État, explicitement qualifié de jacobin, et son réseau de structures de création et de diffusion labellisées par le Ministère de la Culture que sont les CDN (Centres dramatiques nationaux) ou les Scènes nationales.

LANGUE DE LA RÉPUBLIQUE OU LANGUE D’ÉTAT ?

Elles sont les fers de lance d’une culture artistique déracinée et « hors-sol » dont la condition, pour figurer dans leur programmation est l’usage de la langue française.

À preuve la Scène Nationale de Mulhouse : l’auteur de ces lignes n’a t-il pas eu à entendre, de la bouche du sous-chef de la Filature, qu’un spectacle « régional » n’avait pas sa place sur une scène « nationale » ? On devine dans cette remarque qu’une production « régionale » est aussi d’emblée considérée comme mineure, surtout si elle a le malheur de recourir à la langue du coin : le mépris de classe à l’égard des « bouseux »et de leurs « patois » n’est pas bien loin.

Ce n’est pas un hasard non plus si le premier CDN de la décentralisation ou leur ancêtre a été la Comédie de l’Est (CDN d’Alsace), crée à Colmar en 1946, fer de lance de la Reconquista linguistique française et culturelle après la 2è guerre mondiale. Le but ? Arracher l’Alsace à son environnement culturel historique pour lui imposer la culture « commune » : or, pour paraphraser encore Philippe Martel  (cf. plus loin) on observe que la sienne propre est totalement absente d’une quelconque « mise en commun ».

 Pour le collectif qui se constitue à Rodez, l’Europe et ses organismes paraissent offrir un recours, au-delà d’un État français arque-bouté sur ses réflexes jacobins et son rejet des langues minorisées : ainsi la Charte européenne des langues minoritaires, signée par la France mais jamais ratifiée. L’Europe comme cible d’action pour réparer la discrimination dont fait l’objet le théâtre en langues « autochtones » (terme finalement retenu car plus juste et moins chargé négativement que « régionales »).

Que dit d’ailleurs la loi française, fondamentale de surcroît ? Elle est claire et on ne peut plus catégorique : à l’occasion d’une révision en 1992, la Constitution de 1958 affirme tout de go que : « La langue de la République est le français » et ce, dès son article 2 : c’est dire l’importance qu’on a voulu accorder à cette disposition, et, en creux, la crainte qu’il ne puisse en être ainsi.

En 2008 cependant est introduit dans la Constitution l’article 75-1 qui stipule, lui , que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, ce qui n’engage, comme on a pu le constater depuis, en aucune mesure concrète pour la sauvegarde de ce patrimoine : il n’est pas le seul à aller à vau-l’eau…

Deux dispositions constitutionnelles dans lesquelles on pourrait lire comme l’ombre d’une contradiction,  n’était que la deuxième sonne comme une coquille vide et n’est présente dans les faits – du moins pour l’heure – que pour la galerie.

Deux dispositions constitutionnelles dans lesquelles on pourrait lire comme l’ombre d’une contradiction,  n’était que la deuxième sonne comme une coquille vide et n’est présente dans les faits – du moins pour l’heure – que pour la galerie.

« DOMMAGE QUE VOUS AYEZ MIS DE L’OCCITAN DANS VOTRE PIÈCE ! »

C ‘est la phrase qu’un des participants au colloque a livrée et qu’il eut à entendre de la bouche d’une responsable culture lors de sa quête de subventions. Le comédien et metteur en scène avait pourtant un beau parcours professionnel derrière lui puisqu’il avait déjà participé au festival « in » d’Avignon. Une phrase qui sonne comme un aveu de l’hypocrisie avec laquelle le Ministère considère l’expression théâtrale en langues régionales, langues dont il a pourtant, conjointement avec le Ministère de l’Education nationale, – et au moins sur le papier – la charge de les promouvoir. Or, sans littérature, ainsi que sans visibilité publique, elles sont condamnées à s’étioler.

Épilogue : après le succès de la pièce toutefois, la responsable en question n’évoquera plus cette tare glossique…

ÉTAT DES LIEUX

Après un tour d’horizon par région des conditions d’exercice du théâtre « autochtone » et des difficultés que rencontrent les compagnies, force a été de constater que l’Unité républicaine fonctionne bien : malgré quelques particularités (dont notre « Elsassertheàter » alsacien et ses nombreuses troupes de village qui prospèrent encore, mais trop souvent au prix d’un manque d’exigence artistique), le manque de soutien au théâtre en langues autochtones est un trait commun à tout le territoire.

Pourtant le Ministère de la Culture (voir son site) définit « les langues régionales [], comme des langues parlées sur une partie du territoire national depuis plus longtemps que le français langue commune. », ce qui, en suggérant  une sorte de « droit d’aînesse », constitue une légitimation de taille de ces dernières. Mais surgit dans la foulée la question de savoir pourquoi elles ont été supplantées par le « français », malheureusement langue unique bien plus que « commune ».

Un des participants occitans au colloque n’hésitera pas à remplacer dans « Drac » (Direction régionale des Affaires culturelles) l’adjectif « culturelles » par « coloniales » : j’ai pensé au Centre dramatique de Colmar… Puis j’ai pensé à l’Empire colonial où a été imposée la langue de la civilisation supérieure… Puis j’ai repensé au rapport de la langue unique avec la pensée unique, les deux venant d’”en haut”, et je me suis dit qu’il y avait du vrai.

Le Figaro du 18 mai jette un regard bienveillant et convenu sur les langues régionales, mais s’interroge néanmoins : « Mais quelle place tiennent-elles aujourd’hui dans le paysage national? Sont-elles adaptées pour répondre à la réalité du monde numérique? » On répondra aisément qu’elles ont la place qu’on veut bien la donner. Quant à la deuxième question, qui tendrait à conclure que leur ancestralité serait la cause même de leur archaïsme, on  ne peut que sourire , et deux fois plutôt qu’une :  parce qu’elle insinue que la langue de Villon était « génétiquement » mieux armé pour affronter la tempête lexicale des nouvelles technologies d’une part, et d’autre part, parce que la langue française, en réalité, n’a réglé  ce problème, non en puisant dans son génie propre, mais uniquement en procédant à des emprunts massifs à l’anglo-saxon. Il est frappant d’ailleurs de constater à quel point elle se laisse envahir par la langue de Wall Street et de Silicone Valley tout en restant – hormis quelques vocables folkloriques – totalement hermétique en termes d’adoptions lexicales aux langues de l’hexagone.

Un snobisme et une inféodation atlantiste anglophile qui, au bout du compte, ne sont qu’une autre forme de prise de pouvoir, toujours de classe, sur les non-anglophones appartenant avant tout aux couches populaires.

APARTÉ

Le colloque a éludé la question du rapport entre pratiques professionnelles et amateurs, l’un des participants ayant proposé de la neutraliser : à mon sens, elle ressurgira, car les besoins des uns et des autres ne sont pas les mêmes.

ALSACE, CAS À PART ?

J’avais retrouvé à cet colloque avec un vif plaisir un camarade gascon de mon syndicat d’artistes, et j’ai fait par ailleurs le constat que la singularité alsacienne était que la gauche, notamment « la vraie », avait abandonné ce terrain de luttes depuis belle lurette, alors que dans les autres régions ces mêmes forces de gauche – hormis d’irréductibles « chauvins » – se placent très largement aux côtés des défenseurs des langues et cultures autochtones. Un abandon spécifiquement alsacien qui confond centralisme jacobin (pourtant de droite) avec progrès social et qui ne fait que nourrir l’idée que la problématique relève d’un « ethno-régionalisme » droitier, donc suspect.

Ce n’est donc pas sans surprise que le ton employé par les défenseurs des langues et cultures régionales autre que d’Alsace est plus “politique” et plus radical. Certes, ces autres régions ont échappé à la culpabilisation engendrée par l’équation commode autant qu’erronée  « alsacien=allemand=nazi » grâce à laquelle on a pu obtenir au lendemain du conflit mondial contre les fascismes l’auto-renoncement linguistique de nos parents et grands-parents.

Pour mémoire, c’est cette même obligation de l’emploi exclusif – le mot prend ici tout son sens – de la langue française dans la sphère publique qui a écarté, dans l’ Alsace d’ après 1918, toute une génération au moins des couches populaires de la vie politique, ce qui a eu pour conséquence de laisser cette dernière aux seules mains de la bourgeoisie, francophone autant que francophile. Le « droitisme » qu’on a coutume de porter au compte de je ne sais quel trait idéologique spécifique de la population alsacienne (en filigrane, on devine les soupçons de manquement au « patriotisme » de cette dernière  récurrents depuis Saint-Just jusqu’à aujourd’hui) n’a pas d’autre cause, sinon le vote « bleu-blanc-rouge » comme témoignage de loyalisme tricolore après 1945.

Je recommande vivement, pour l’avoir découvert à l’occasion du colloque, le tout récent ouvrage « Histoire de l’Occitanie – le point de vue occitan» de Philippe Martel, aux éditions Yoran.

Également paru chez ce dernier – entre autres – « Histoire de l’Alsace » par François Waag et « Histoire de Mulhouse », par Michel Krempper.

Annexe :

Communiqué Collectif des Théâtres en Langues Autochtones :

Vivre, s’exprimer, un monde, des mondes, des cultures, des langues, des richesses, des genres, des

esthétiques. Vivre dans le respect, exister dans la pluralité ! Créer, imaginer, rêver dans nos

langues, partager nos cultures.

L’UNESCO, alerte cette année sur la fragile situation des langues autochtones : la diversité bio-linguistique

de notre monde est vitale. Aucun statut en France pour nos langues, toujours pas de

ratification par la France de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Avec le soutien de L’ESTIVADA et de la ville de RODEZ, nous acteurs des arts de la scène en

langues dites régionales : Alsaciens, Basques, Bretons, Catalans, Corses, Occitans, nous nous

sommes rencontrés en « état d’urgence » pour la première fois ces 18 et 19 juillet 2019. Une

nécessite de PARTAGER, S’UNIR, RÉFLÉCHIR, AGIR ensemble pour CONSTRUIRE l’avenir des

théâtres qui portent nos langues et nos cultures autochtones.

• Un statut pour nos langues et nos cultures régionales en France.

• Donner a tous les publics la possibilité de rencontrer la création en langues « régionales »

par une programmation régulière dans les circuits de diffusion institutionnels (scènes

nationales, conventionnées, festivals…).

• Pérenniser, conventionner, doter les rares compagnies professionnelles qui créent en

langues régionales et renforcer le réseau du théâtre amateur.

• Permettre la transmission de nos savoir-faire, la formation est une préoccupation majeure

pour l’avenir de nos théâtres.

Un collectif vient de naitre : Collectif des Théâtres en Langues Autochtones Deux

jours d’ébullition, une première rencontre, CTLA a Rodez, le temps d’un Estivada que nos

tréteaux se sont posés. Notre chantier ne fait que commencer.