Suite de l’article du 14 juin 2021 sur les votations en Suisse, par notre correspondant Hans Jorg Renk
Pour commencer, voici les résultats définitifs des votations :
Initiative pour une eau potable et une alimentation saine | NON : 60,7%, | OUI : 39,3% |
Initiative pour une Suisse libre de pesticides | NON : 60,6%, | OUI : 39,4% |
Loi COVID-19 | OUI : 60,2%, | NON : 39,8% |
Loi sur le CO 2 | NON : 51,6%, | OUI : 48,4% |
Loi sur les mesures policières contre le terrorisme | OUI : 56,6%, | NON : 43,4% |
Participation au vote : | 60% |
Un observateur français aurait parié que les deux votations les plus contestées auraient été celles sur la loi Covid-19 et sur les mesures policières contre le terrorisme. Or tel n’a pas été le cas, car au centre du débat pendant toute la campagne de votation se trouvaient les trois objets « écologiques » : les deux initiatives contre les pesticides et la loi sur le CO 2. Elles ont été refusées par le peuple qui a par contre approuvé les lois COVID-19 et celle sur les mesures policières par de confortables majorités.
Comment expliquer ces résultats ?
Les Suisses sont divisés sur les questions écologiques…
Commençons par les objets écologiques. Les deux initiatives contre les pesticides ont provoqué une levée de boucliers de tout le secteur agricole, à part quelques paysans bio, contre ces initiatives, ce qui a mené à leur défaite claire. Mais cette mobilisation massive a en partie « débordé » sur la loi CO2 et entraîné sa chute, bien que l’organisation faîtière des agriculteurs était en faveur de celle-ci. Mais la loi était contestée par le plus grand parti du pays, l’Union Démocratique du Centre (UDC)/Schweizerische Volkspartei (SVP), qui a ses origines dans le monde agricole et dispose d’une importante audience dans la Suisse rurale et conservative. Celle-ci a en conséquence voté clairement contre la loi dont les paysans craignaient les restrictions sur leur travail. Mais il y eut aussi des votes négatifs provenant d’automobilistes et de locataires opposés à la hausse des prix du carburant et du fuel ou gaz pour le chauffage. Par contre, il y avait des personnes, surtout des jeunes, qui trouvaient que la loi n’allait pas assez loin.
Seuls les cantons urbains de Genève, Vaud, Neuchâtel, Bâle-Ville et de Zurich ont voté en sa faveur. Le fossé ville-campagne qui s’est déjà manifesté lors de votations précédentes s’est donc creusé un peu plus et risque de devenir un problème majeur pour tout le pays. Une autre raison de l’échec de cette loi a été le fait que les partis bourgeois autres que l’UDC/SVP étaient divisés en interne, malgré leurs consignes de vote en faveur de la loi CO 2. C’était surtout le cas pour le parti libéral-radical (PLR)/Freisinnig-Demokratische Partei (FDP) proche des milieux économiques et qui était autrefois le parti le plus influent du pays. Sa présidente, qui voulait lui donner une orientation plus « verte », a annoncé sa démission le lendemain du vote. Et la ministre de l’écologie a admis que c’était une erreur de soumettre les trois sujets écologiques au vote en même temps, selon les habitudes suisses, elle ne démissionnera pas après cet échec…
Or le vote négatif ne veut pas dire que la Suisse retourne à la case départ en matière écologique : La loi CO 2 existante restera en vigueur mais il sera plus difficile d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Des améliorations de cette loi sont déjà discutées lors de la session actuelle au parlement et de nouvelles initiatives populaires pointent déjà à l’horizon, dont une qui s’appelle « initiative des glaciers ». La Suisse est en effet plus menacée qu’on le croit par le réchauffement climatique dont la lente mais constante régression des glaciers est le signe le plus visible. Les Suisses auront donc d’autres occasions de se prononcer sur des sujets écologiques. Ces développements montrent aussi qu’un vote négatif ne veut pas dire que le sujet en question est enterré une fois pour toutes et qu’il faut parfois plusieurs votations pour changer une politique. Il est aussi trop tôt pour estimer que le « non » à la loi CO 2 indiquerait que la « vague verte » des dernières élections est en train de s’essouffler.
…mais font confiance aux mesures contre la pandémie…
Le résultat clair en faveur de la loi COVID-19 s’explique pour plusieurs raisons : Elle était déjà en vigueur et avait fait ses preuves, surtout par le soutien financier aux secteurs affectés par la pandémie, comme le tourisme et la restauration, mais aussi la culture et les sports, y compris les personnes qui y travaillent. Ces mesures sont au cœur de cette loi, tandis que les mesures sanitaires qui auraient pu lui coûter un certain nombre de voix n’y figuraient pas, car elles sont réglées par la loi sur les épidémies. Et même si ces mesures avaient été mises au vote, elles n’auraient guère empêché la loi COVID-19 d’être approuvée. Le résultat du vote est un signe que la majorité des Suisses sont d’accord avec la manière dont le gouvernement a géré la pandémie. Mais le fossé « ville-campagne » a aussi marqué le vote sur cette loi : huit cantons alémaniques et ruraux ont voté contre. Les presque 40% de non montrent qu’il n’y a pas d’unanimité sur les mesures gouvernementales et un deuxième référendum a déjà été annoncé contre cette loi fraîchement approuvée…Quoi qu’il en soit, la Suisse est le seul pays du monde où les mesures anti-COVID ont été soumises au vote de la population.
…et contre le terrorisme
Il peut paraître étonnant qu’un pays qui n’a pas connu jusqu’ici d’actes de terrorisme accepte une loi pour renforcer substantiellement les mesures policières, y compris préventives, contre ce fléau, allant jusqu’à l’assignation à résidence pour des jeunes de 15 ans. Mais la Suisse n’est pas à l’abri du terrorisme : un acte à caractère terroriste a été commis en 2019 dans le canton de Vaud, et un certain nombre de jeunes Suisses et Suissesses sont partis ces dernières années en Syrie et en Irak pour rejoindre les djihadistes. Certains d’entre eux et elles sont encore dans des camps de prisonniers contrôlés par les Kurdes en Irak du nord et la question d’un éventuel rapatriement n’est pas encore entièrement réglée.
Tout ceci a créé un climat d’insécurité, surtout dans les cantons voisins de la France qui étaient aussi ceux qui ont voté le plus clairement en faveur de la nouvelle loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT).
Le débat sur cette loi a été vif, mais un peu à l’écart ? de celui sur les sujets écologistes. Une cinquantaine de professeurs de droit et même la direction du droit international public du ministère suisse des affaires étrangères ont émis des doutes quant à sa compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Cette question pourra être tranchée si un procès à la base de cette nouvelle loi aboutit un jour devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, ce qui n’est pas exclu, car toutes les mesures prévues par la loi peuvent être contestées devant des tribunaux suisses jusqu’au Tribunal fédéral dont les décisions peuvent être transférées à Strasbourg.
Les critiques de la loi ont fait remarquer que dans un pays autoritaire, elle ouvrirait la porte à toute une série de mesures de répression. En outre, le terme de « terrorisme est défini d’une manière relativement vague :
« Par activités terroristes, on entend les actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte. »
De nombreux jeunes ont exprimé des craintes que la loi pourrait s’appliquer contre des manifestations paisibles pour le climat, le droit des femmes ou contre les mesures anti-Covid. Le gouvernement a répété maintes fois que la loi ne concernait que des actes potentiels graves et violents. Le résultat du vote a montré que la majorité du peuple fait confiance à ces déclarations, mais l’avenir montrera si cette majorité a eu raison.
La participation au vote de 60% tous sujets confondus était la plus forte depuis cinq ans, car normalement elle se situe en-dessous de 50% lors de votations populaires. Cette augmentation était due non seulement à l’importance des sujets soumis au vote, mais à leur nombre exceptionnel de cinq, dû en partie au retard à cause de la pandémie qu’il fallait compenser.
Malheureusement, la climat politique en Suisse qui était autrefois plutôt serein, s’est dégradé ces derniers temps, aussi à cause des médias sociaux, et les campagnes en amont de la votation du 13 juin ont connu des dérapages jusqu’à des menaces de mort contre des promoteurs des deux initiatives et des politiciens.
Devant la multiplication des initiatives, la question se pose s’il y a des limites en ce qui concerne leur contenu. Serait-il par exemple possible de demander la réintroduction de la peine de mort par voie d’initiative ?
La Constitution fédérale contient un frein à des abus. Son article 139 dit :
« Lorsqu’une initiative populaire ne respecte pas le principe de l’unité de la forme, celui de l’unité de la matière ou les règles impératives du droit international, l’Assemblée fédérale[1] la déclare totalement ou partiellement nulle. »
Des conventions internationales qui contiennent ces règles impératives interdisent par exemple la torture et la Convention européenne des droits de l’homme la peine de mort. Une initiative qui la demanderait pourrait donc être déclarée nulle.
L’exception bâloise
Comme mentionné dans l’article précédent, le canton de Bâle-Ville était à contre-courant des résultats du reste de la Suisse pour quatre des cinq objets, sauf pour la loi COVID-19 qui a été approuvée par presque 70% des Bâloises et Bâlois. Les deux initiatives anti-pesticide ont réuni sur elles respectivement 58 et 57% des votes. Ce résultat s’explique d’une part parce que ce canton presque totalement urbain ne compte qu’une demi-douzaine d’exploitations agricoles et d’autre part un des plus importants fabricants de pesticides du monde, Syngenta qui a son siège social à Bâle et dont la présence est critiquée par un électorat à majorité rouge-verte. Le vote en faveur de ces deux initiatives a aussi entraîné une victoire pour la loi sur le CO2 avec 66% des voix.
Par contre, Bâle a été le seul canton à rejeter la loi sur les mesures policières avec 55 % de non. Ce résultat est difficile à interpréter ; il pourrait avoir été influencé par la gestion pas toujours heureuse des nombreuses manifestations des dernières années par la police cantonale et par les consignes de vote négatifs des socialistes, des verts et des verts libéraux qui avaient obtenu ensemble une faible majorité lors des élections cantonales de l’automne 2020. La proximité de la France qui a joué en faveur de la loi MPT en Suisse francophone n’a pas joué de rôle, car contrairement à leurs compatriotes romands, les Bâloises et Bâlois n’ont pas l’habitude de suivre les médias français.
Finalement, les citoyennes et citoyens de Bâle-Ville ont voté en faveur d’un salaire minimal de 21 francs (CHF), comme seul canton de Suisse alémanique. L’initiative des socialistes et des syndicats qui était à l’origine de ce vote avait demandé 23 CHF, mais face à l’opposition des milieux économiques, et surtout des PME, le gouvernement et le parlement ont élaboré un compromis typiquement bâlois de 21 CHF qui a été approuvé par 54% des votants. Cette somme dépasse les salaires dans les cantons voisins, pour ne pas parler de ceux en Alsace ou au Pays de Bade, et fait de Bâle un îlot à hauts salaires dont les conséquences sont encore inconnues. D’ores et déjà certaines entreprises mobiles ayant des salaires en-dessous de ce seuil, comme des taxis, réfléchissent à déplacer leur siège social en Bâle-Campagne – affaire à suivre…
[1] Les deux chambres du parlement (Conseil national et Conseil des Etats) réunies