C’est la ren­trée ! Et sous le signe de « l’é­cole de la confiance », à en croire le ministre de l’Éducation Blan­quer. Le cré­do est encore à confir­mer, sachant que de nom­breuses oppo­si­tions aux réformes récentes n’ont pas ces­sé de lui être opposées.

En tous cas, une occa­sion rêvée de faire un état des lieux du sys­tème édu­ca­tif au tra­vers du prisme alsa­cien. Lequel pos­sède quelques lignes de forces, et nombre d’in­suf­fi­sances, à l’i­mage de la situa­tion natio­nale. Mais, et c’est plus sur­pre­nant, un prisme par lequel trans­pa­raissent des frac­tures signi­fi­ca­tives entre nord et sud de la région alsacienne. 

Cela tombe juste à point pour pro­fi­ter de quelques chiffres-clés four­nis par l’Académie de Stras­bourg, sous la forme d’une bro­chure qu’elle vient à peine de remettre à ses agents, et dont le mécène n’est autre que le Cré­dit Mutuel ensei­gnant (une pleine page à l’ou­ver­ture), le « par­te­naire » que l’A­ca­dé­mie remer­cie sur la 4ème de cou­ver­ture, sans doute de tant de sol­li­ci­tude désintéressée. 

Dans cette pre­mière par­tie, nous consa­crons une focale sur les inéga­li­tés sociales, en lien avec l’é­du­ca­tion prio­ri­taire, et enfin un exa­men de la situa­tion post-bac et du supé­rieur alsacien. 

Quelques don­nées intro­duc­tives sont repro­duites ci-des­sous :

Inéga­li­tés sociales

Thé­ma­tique majeure et défi consi­dé­rable pour l’école fran­çaise, dou­blé d’un enjeu de cohé­sion sociale essen­tiel, les inéga­li­tés sociales se tra­duisent très tôt par des mar­queurs sco­laires par­ti­cu­liè­re­ment notables. 

L’Alsace recèle des dis­pa­ri­tés sociales plus impor­tantes encore que dans le reste du ter­ri­toire métropolitain. 

On constate d’emblée dans le tableau ci-des­sous que les élèves d’origine sociale défa­vo­ri­sée sont sur­re­pré­sen­tés dans le Haut-Rhin (+10 points que la moyenne natio­nale) et dans une moindre mesure dans le Bas-Rhin (+4,5 points) : 

Plus de 43% des élèves du dépar­te­ment 68 sont donc issus de milieux popu­laires. La seule ville de Mul­house doit sans doute peser pour beau­coup dans la tendance. 

Cette sur­dé­ter­mi­na­tion sociale se révèle éga­le­ment dans les résul­tats du bre­vet et sur le type de bac présenté :

Édu­ca­tion prioritaire

Le dif­fé­ren­tiel de réus­site au bre­vet des col­lèges s’explique notam­ment par le poids de l’éducation prio­ri­taire. Les chiffres de l’Académie mon­trant 15 points d’écart de réus­site en la défa­veur des REP (réseaux d’éducation prio­ri­taire) !

Des moyens sup­plé­men­taires, des par­cours d’excellence réser­vés aux bons élèves, et des rému­né­ra­tions légè­re­ment amé­lio­rées pour le corps ensei­gnant accom­pagnent pour­tant le dis­po­si­tif, suc­ces­seur des si décriées ZEP (zones d’éducation prioritaire). 

Un para­doxe sai­sis­sant pour le sys­tème édu­ca­tif fran­çais, qui en dit long sur la per­sis­tance en son sein du prin­cipe de « repro­duc­tion sociale ».

Sou­li­gnée dans de nom­breux rap­ports inter­na­tio­naux : notre sys­tème édu­ca­tif est non seule­ment à la ramasse en termes de capa­ci­té à ser­vir sa rai­son d’être, com­pa­ré aux autres pays indus­tria­li­sés, mais il est sur­tout inéga­li­taire par excel­lence, comme l’illustre l’OCDE dans sa 27e édi­tion de son « Regards sur l’éducation »:

Là comme ailleurs, l’Alsace ne fait pas excep­tion. Comme on le ver­ra, c’est même tout l’inverse.

Le post bac et le supérieur

Les chiffres parlent plus que n’importe quelle sorte de com­men­taire : 1957 étu­diant-e‑s étaient ins­crit-e‑s en 2018 dans le Bas-Rhin en CPGE (classes pré­pa­ra­toires), qui pré­jugent de la capa­ci­té à pou­voir suivre des études longues et pres­ti­gieuses, notam­ment en matière scien­ti­fique ou lit­té­raire. Contre 411 dans le Haut-Rhin. La rup­ture est nette entre les deux dépar­te­ments. Car pro­por­tion­nel­le­ment au nombre d’habitants, il devrait nor­ma­le­ment se trou­ver 2,5 fois plus d’étudiants en classes pré­pa­ra­toires dans le Haut-Rhin. 

On retrouve pour­tant, peu ou prou, une confor­mi­té pro­por­tion­nelle dans cha­cun des dépar­te­ments, avec le nombre d’étudiants en sec­tion STS (étu­diant-e‑s pré­pa­rant un BTS), avec 3238 étu­diant-e‑s pour le 67 et 1586 pour le 68 (éta­blis­se­ments du sec­teur public uniquement). 

De là à pen­ser que les sec­tions for­mant le futur enca­dre­ment admi­nis­tra­tif, scien­ti­fique, lit­té­raire, ou même média­tique, pré­fèrent de loin se pla­cer à Stras­bourg, place forte euro­péenne (bien que mena­cée dans son sta­tut) et ville-car­re­four de tra­di­tion hégé­mo­nique dans la région, il n’y a que les pas qui mènent vers la chambre des inté­rêts bien com­pris des élites alsaciennes. 

Ce décro­chage sévère des for­ma­tions post-bac dans le Haut-Rhin est illus­tré par une courbe au relâ­ché stupéfiant : 

Pour bien com­prendre le phé­no­mène, il faut obser­ver le tableau suivant : 

Pen­dant que le Bas-Rhin, soit essen­tiel­le­ment Stras­bourg, voyait les effec­tifs d’étudiants en sec­tion post-bac gros­sir len­te­ment, mais sûre­ment, pen­dant une décen­nie, jusqu’à dépas­ser les 600 étu­diant-e‑s sup­plé­men­taires, le Haut-Rhin stag­nait labo­rieu­se­ment sur la même période. 

Les uni­ver­si­tés

C’est sans doute là que se jour le cœur du hia­tus social nord-sud le plus éton­nant, alors même que le nombre d’é­tu­diants alsa­ciens conti­nuait de croître entre 2017 et 2018 (+2,7%):

Les filières uni­ver­si­taires les plus cou­rues sont les 4 pre­mières dans le tableau ci-des­sus. Soit Droit, Éco­no­mie-AES, Lettres et Sciences Humaines, Sciences et STAPS (édu­ca­tion phy­sique et sportive). 

On consta­te­ra d’abord que la filière juri­dique, bien que très deman­dée par les jeunes bache­liers, en rai­son d’un sup­po­sé pres­tige, n’est pas celle qui en accueille le plus. Mais, au-delà de ce fait, on consta­te­ra com­bien elle illustre la sur­dé­ter­mi­na­tion sociale des étu­diants, à rai­son de leur milieu fami­lial d’origine.

En effet, il suf­fit d’observer le nombre d’étudiant-e‑s en droit pas­sant du diplôme de Licence à celui de Mas­ter pour l’illustrer pleinement.

A Stras­bourg, près de 90% des étu­diants en droit de Licence pour­sui­vront en Mas­ter. C’est à peine 20% à Mulhouse. 

Évi­dem­ment, on invo­que­ra le fait que les spé­cia­li­tés offertes par l’UNISTRA à Stras­bourg sont plus nom­breuses, d’où le fait qu’elles peuvent atti­rer d’anciens étu­diants en droit mul­hou­sien (qui auraient les moyens de s’installer à demeure). Certes, mais ce n’est cer­tai­ne­ment pas signi­fi­ca­tif. D’abord parce que les spé­cia­li­tés de la facul­té de Droit de Mul­house se sont élar­gies, et se rap­prochent aujourd’hui sen­si­ble­ment de l’offre stras­bour­geoise, et ensuite parce qu’elles illus­trent pareille­ment le hia­tus nord-sud alsa­cien en matière sociale. 

Il parait évident que les étu­diants haut-rhi­nois, notam­ment mul­hou­siens, ne peuvent s’offrir le luxe de conti­nuer leur par­cours de for­ma­tion uni­ver­si­taire, pres­sés qu’ils sont par des condi­tions maté­rielles de vie déter­mi­nées par une ori­gine sociale plus défa­vo­ri­sée, ain­si qu’on l’a vu dans le pre­mier tableau. 

Ajou­tons à cela que l’UHA de Mul­house accueille depuis long­temps de nom­breux bache­liers issus des milieux popu­laires, en rai­son de son his­toire récente (elle fut créée dans les années 70), sa taille modeste et son acces­si­bi­li­té générale. 

Comme on le voit ci-des­sus, les tailles des deux ins­ti­tu­tions ne sont pas com­pa­rables, bien que toutes deux aient connu une hausse sen­sible de leurs effec­tifs entre 2009 et 2018 (+ 10 000 pour l’Unistra, et + 2500 pour l’UHA).  

Dans le pro­lon­ge­ment de ce qui a été dit sur la dif­fi­cul­té à suivre des cycles longs lorsqu’on est issu de milieux modestes, on constate paral­lè­le­ment que la struc­ture étu­diante par spé­cia­li­té à l’UHA (cam­pus de Mul­house et Col­mar) est d’avantage orien­tée vers des cycles courts en IUT (5 fois plus qu’à Stras­bourg), et inver­se­ment 2 fois moins en droit (cycle long) que l’UNISTRA.  

A suivre dès demain: le pri­vé tisse sa toile, la situa­tion des langues, l’é­vo­lu­tion des effec­tifs 1er et second degré, le rap­port filles-gar­çons, le self-ser­vice d’enseignement pour bache­liers, la place du han­di­cap, et l’in­ser­tion professionnelle