Le « bon », la brute et la truande…

Toutes les bonnes choses vont par trois… dit la cou­tume. Les mau­vaises appa­rem­ment aus­si ! En ce ven­dre­di 11 octobre, les sala­riés de la publi­ci­té de L’Alsace et des DNA, quo­ti­diens régio­naux appar­te­nant au Cré­dit Mutuel, sont en grève, sou­te­nus par leurs col­lègues de tra­vail des autres ser­vices. Pour reje­ter le nou­veau plan de restruc­tu­ra­tion que la direc­tion de la banque dite « mutua­liste » (ha, ha, ha) veut impo­ser coûte que coûte dans l’ensemble de ses entre­prises de presse du groupe EB RA.

A la tête de cette opé­ra­tion d’une bru­ta­li­té jamais connue dans les deux quo­ti­diens régio­naux, M. Thé­ry, Pré­sident du Cré­dit Mutuel, qui, du haut de son trône, joue le « bon » dans le trium­vi­rat de direc­tion. Lui veut ras­su­rer les sala­riés, leur jure que cette restruc­tu­ra­tion c’est pour le bien et qu’ils vont être les gagnants de l’histoire. Comme dans le film c’est un bon…(i)menteur !

Le second, M. Car­li, vient du monde de l’industrie. Pour lui, la presse ce n’est ni plus ni moins qu’un compte d’exploitation. Le rôle d’animateur de la vie publique, du débat démo­cra­tique dans lequel il y a néces­si­té de plu­ra­lisme et de plu­ra­li­té, c’est pas son truc ! Lui, il coupe, taille, sup­prime, licen­cie… que cela plaise ou non. C’est le genre de cost-killer sans état d’âme qui applique bru­ta­le­ment ce que ses maîtres lui ordonnent de faire.

La troi­sième, c’est Mme Noël. Oh, avec elle ce n’est pas la fête tous les jours… C’est une DRH, direc­trice des res­sources humaines. Elle, elle applique ce que Thé­ry décide et que Car­li com­mande. Alors, elle doit lou­voyer d’abord. Pro­mettre tout et son contraire, tout cela pour ama­douer les sala­riés, essayer de gagner quelques délé­gués syn­di­caux à sa cause quitte à les choyer per­son­nel­le­ment… Et quand son jeu est démas­qué, elle devient la truande bru­tale : « ce sera comme je l’ai déci­dé, vous pour­rez tou­jours faire grève, nous irons impri­mer les jour­naux ailleurs ». Pas très malin, ça, car il s’agit d’un aveu de « lock-out » théo­ri­que­ment puni par la loi… Mais avec ce gou­ver­ne­ment, a‑t-elle quelque chose à craindre…

Voi­là la pré­sen­ta­tion du trio infer­nal. Voyons main­te­nant ce qu’il trame pour liqui­der les emplois, apeu­rer les sala­riés, sou­doyer les élus du personnel…

Un plan de liqui­da­tion des jour­naux alsaciens

Il est clair que ce que les sala­riés de L’Alsace dénon­çaient il y a un an lors de la fer­me­ture de l’im­pri­me­rie de l’Alsace, rue de Thann à Mul­house, est en train de se réa­li­ser. Le Cré­dit Mutuel a tué le jour­nal mul­hou­sien pour ne faire qu’un seul quo­ti­dien dans notre région, le jour­nal stras­bour­geois les DNA. Quitte à men­tir sur la mar­chan­dise : il main­tient le titre à la Une, (« la marque » dit M. Car­li en bon bou­ti­quier qu’il est) mais le conte­nu est exac­te­ment le même. Encore une truanderie !

Après avoir fusion­né les rédac­tions, fer­mé des agences, sup­pri­mer des édi­tions locales, le second volet du plan de liqui­da­tion est en route : l’externalisation de toutes les acti­vi­tés hors rédac­tion. Et encore, une par­tie de la rédac­tion est éga­le­ment exter­na­li­sée vers un bureau cen­tra­li­sé, sié­geant à Paris, et four­nis­sant les conte­nus de poli­tique natio­nale et inter­na­tio­nale à tous les jour­naux du groupe. Dans les neuf quo­ti­diens concer­nés, vous lirez exac­te­ment, à la lettre près, les mêmes infor­ma­tions, les mêmes com­men­taires… Seul l’éditorial peut chan­ger mais qui veut lire du Bodin dans le texte…

Le trium­vi­rat, le bon, la brute, la truande, a donc déci­dé de créer une nou­velle socié­té, Ebra Ser­vices, dont le siège social serait à Hou­de­mont, près de Nan­cy. Elle réuni­rait, à par­tir du 1er jan­vier 2021, les fonc­tions telles que la publi­ci­té, la réa­li­sa­tion numé­rique, l’ordonnancement entre le papier et le numé­rique, la fabri­ca­tion et la créa­tion gra­phique, la main­te­nance, les rela­tions clien­tèles, et d’autres.

La consti­tu­tion de cette socié­té se tra­dui­ra par la sup­pres­sion de 386 postes sur l’en­semble des titres Ebra et par la créa­tion de 284 postes dans la nou­velle socié­té. Nou­veaux postes aux­quels les sala­riés licen­ciés pour­ront postuler…

Mais, et c’est là où la truande se veut maligne, ces sala­riés d’E­bra Ser­vices ne béné­fi­cie­raient plus de la conven­tion col­lec­tive de la presse quo­ti­dienne régio­nale ou de la publi­ci­té. Ils se ver­ront appli­quer stric­te­ment le seul code du tra­vail. Exit les mesures sociales conquises par les sala­riés dans l’entreprise, dehors les amé­lio­ra­tions sociales réa­li­sées grâce aux accords de branche…

Ce qui se tra­duit par la perte de congés payés,  la sup­pres­sion des réduc­tions du temps de tra­vail pour les employés, une dimi­nu­tion de celles des cadres, la sup­pres­sion des congés d’ancienneté ain­si que la prime d’ancienneté pour les cadres, la sup­pres­sion des jours excep­tion­nels de congés, etc…

Mme Noël ne com­prend pas ! Elle ne com­prend pas que des repré­sen­tants syn­di­caux défendent becs et ongles les acquis sociaux dans une entre­prise ! Elle ne com­prend pas que des sala­riés ne peuvent pas la com­prendre, elle, qui sait évi­dem­ment mieux que tous les autres ce qui est bon pour SON personnel ! 

Et de mena­cer (comme quoi la brute n’est jamais loin de la truande) : « Si vous faites grève on va vous mon­trer qu’on sait impri­mer ailleurs ! » « Et après 2020, si la ren­ta­bi­li­té n’est pas au ren­dez-vous, le Cré­dit Mutuel se pose­ra la ques­tion de savoir s’il garde les jour­naux »… On veut bien ras­su­rer Mme Noël : fran­che­ment, si le Cré­dit Mutuel conti­nue son entre­prise de démo­li­tion on peut se deman­der si son départ serait une vraie menace pour les salariés !

En tout cas, en atten­dant, les sala­riés ne se laissent pas inti­mi­der et on donc voté la grève. 

Dans un com­mu­ni­qué, la CGT annonce que « les assem­blées géné­rales du per­son­nel (dans les deux quo­ti­diens, ndlr) concer­né ont vali­dé, à la grande majo­ri­té des pré­sents, la mise en place d’une action. C’est pour cela que la CGT appelle à la grève et au débrayage demain, ven­dre­di 11 octobre 2019.

La direc­tion doit tout mettre en œuvre pour res­pec­ter l’engagement de Phi­lippe Car­li et per­mettre aux sala­riés concer­nés de se pro­je­ter serei­ne­ment dans cette nou­velle socié­té. C’est à cette seule condi­tion que la CGT revien­dra à la table des négo­cia­tions. »

Fait nou­veau et impor­tant : les jour­na­listes se soli­da­risent avec leurs col­lègues, car eux aus­si subissent à pré­sent les consé­quences de la pre­mière restruc­tu­ra­tion dégra­dant leurs condi­tions de travail.

Le Syn­di­cat Natio­nal des Jour­na­listes des Der­nières Nou­velles d’Alsace a publié le com­mu­ni­qué suivant :

« Si la régie publi­ci­taire exter­na­li­sée, au niveau du pôle  dit « ADN » (L’Alsace – Der­nières Nou­velles, ndlr) voit le jour selon les vœux de la direc­tion du groupe EBRA, on aura com­men­cé à déman­te­ler les DNA au 1er jan­vier pro­chain. Même si les col­lègues de la pub res­tent dans nos locaux, avec une direc­tion unique pour les deux jour­naux (un cadre diri­geant de L’Alsace), ils per­dront envi­ron un mois de congés, du salaire, et les avan­tages de leur conven­tion col­lec­tive. Le retour à l’équilibre des jour­naux ne peut se faire en met­tant par terre les outils et ser­vices cen­sés faire ren­trer de l’argent dans les caisses. Sur­tout, il est inad­mis­sible que les sala­riés payent les pots cas­sés d’erreurs de mana­ge­ment qui nous ont d’abord lais­sé en plan pour ce qui concerne le tour­nant numé­rique, avant de nous y jeter sans aucune réflexion à part l’urgence de faire bais­ser les coûts de production.

Le SNJ des DNA sou­tient le mou­ve­ment de grève de ven­dre­di et la qua­ran­taine de col­lègues concer­nés. Leur sort pré­fi­gure ce qui risque de se pas­ser pour le futur licen­cie­ment col­lec­tif dans les fonc­tions « sup­port » de tous les jour­naux EBRA, qui pré­cè­de­ra, fin 2020, la créa­tion d’EBRA Ser­vices. Leur sort pré­fi­gure sans doute aus­si des évo­lu­tions à venir dans nos rédac­tions, où le digi­tal first à moyen constant est déjà en train de fabri­quer un burn-out géné­ra­li­sé. »   

Et la CFE-CGC fait de même en com­mu­ni­quant ain­si : « Pour mémoire, le prin­ci­pale point de blo­cage est la non com­pen­sa­tion (ou extrê­me­ment par­tielle)  de l’augmentation du temps de tra­vail pour l’ensemble du per­son­nel qui serait trans­fé­ré, par­ti­cu­liè­re­ment aux DNA. En effet, les sala­riés trans­fé­rés se ver­raient ampu­tés d’un nombre de jour de congés et RTT com­pris entre 31 et 23 selon les cas aux DNA. La direc­tion semble esti­mer que cette perte repré­sente une prime unique de 4000€ dans sa der­nière proposition. 

Pour la CFE/CGC, il est tota­le­ment hors de ques­tion qu’une telle perte, récur­rente sur le reste des années à tra­vailler, cumu­lées à d’autres pertes finan­cières directes ou indi­rectes, soit l’objet d’une prime unique « de transfert ».

Ne nous y trom­pons pas, ce nivel­le­ment par le bas n’est que le début des grandes manœuvres « Car­li » en matière de des­truc­tion de notre socle social.

C’est pour cette rai­son que nous appe­lons tous les sala­riés des DNA et de l’Alsace à suivre la jour­née de grève pré­vue le 11 octobre. Soyons soli­daires. Ce qui arrive pour les ser­vices com­mer­ciaux arri­ve­ra bien­tôt au reste de l’entreprise ! »

Et le SNJ-CGT n’est pas en reste :  « Les pro­jets de Régie publi­ci­taire et EBRA Ser­vices ont été mis en chan­tier par M. Car­li et sont mis en œuvre par les diri­geants des DNA sans aucun état d’âme.

L’objectif est clai­re­ment le déman­tè­le­ment de chaque entre­prise pour explo­ser les jour­naux en mul­tiples socié­tés plus ou moins filia­li­sées. Et la mise en concur­rence des sala­riés des dif­fé­rents jour­naux au moins disant social. 

Dans le trans­fert impo­sé vers la Régie publi­ci­té, nos col­lègues des ser­vices com­mer­ciaux-publi­ci­té per­draient la plu­part des avan­tages de la conven­tion col­lec­tive et des droits acquis par accords d’entreprise aux cours des décennies.

(…) Si les jour­na­listes se sont enga­gés dans le pro­jet Digi­tal First ce n’est pas pour s’épuiser à la tâche, mais bien pour construire un pro­jet de déve­lop­pe­ment de jour­naux impri­més et numé­riques qui res­pectent leur métier et leurs per­sonnes. Mais aus­si offrir des pers­pec­tives à tous les col­lègues des DNA. » 

Gar­dons pour la fin la posi­tion de la CFDT qui regrette que les syn­di­cats n’aient pas pris le temps de s’organiser pour être encore plus efficace !

Ain­si, dit-elle, « La stra­té­gie du Cré­dit Mutuel, qui vise à réduire les coûts à tout va, com­mence à faire des dégâts dans tous les ser­vices. Les arrêts mala­die se mul­ti­plient, les risques psy­cho­so­ciaux n’ont jamais été aus­si forts, et les col­lègues n’arrivent plus à se pro­je­ter dans l’avenir.

Ensemble disons non !!! La CFDT est soli­daire des col­lègues sus­cep­tibles d’être exter­na­li­sés, et se bat à leurs côtés, avec les autres syn­di­cats. La grève est on ne peut plus légi­time. La CFDT estime sim­ple­ment qu’elle aurait méri­té davan­tage de concer­ta­tion. Infor­més la veille seule­ment, les sala­riés n’ont pas eu le temps de prendre connais­sance des enjeux et de s’associer au mou­ve­ment comme il l’aurait mérité. »

De quoi rap­pe­ler au trium­vi­rat que dans la vraie vie, le « Bon, la brute et la truande » ne gagne pas sys­té­ma­ti­que­ment à la fin du film.

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