La lutte sociale en cours est la plus longue que notre pays ait connue depuis 1968 ! Évidemment, dans cette mobilisation, la question des retraites est centrale et pas seulement symbolique. Elle éclaire d’une manière crue une politique ultralibérale « à la française » mais qui est inspirée directement des thèses de l’école de Chicago et des politiques menées au Chili puis par Reagan aux États-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne.
La bataille idéologique autour de la lutte sociale est intense et mobilise tous les médias : l’écrasante majorité d’entre eux défendent le projet gouvernemental malgré les reculs sociaux qui sont avérés et illustrés par la baisse automatique des retraites due au calcul du montant des pensions sur la totalité de la vie active du salarié et non plus sur les 25 meilleures années dans le privé ou les 6 derniers mois de salaires pour le secteur public.
Malgré une propagande inouïe, la population « tient »…
On ne peut plus décemment appeler cela des campagnes d’information. Le message de la nécessité de « mettre en place un régime à points », un « modèle universel », un système « plus juste », fruits des « éléments de langage » du gouvernement sont déclinés à foison par tous les médias renforcés par moult « experts » qui, comme par hasard, sont tous du même avis !
Et pour parfaire le tableau, ne doit pas manquer le laïus sur la « grève irresponsable », les « usagers en colère », « l’économie en baisse », « les commerçants au bord de la faillite »… évidemment tout cela étant de la faute de la CGT !
Et pourtant… Selon les sondages des instituts les plus à droite et repris par les journaux de la même veine (Figaro, Nouvel Obs – oui je sais, il se dit de gauche… MDR) l’opposition à la réforme des retraites est toujours majoritaire au sein de la population. Toutefois, les Français, avec 53% d’opinions défavorables, sont moins nombreux qu’à la mi-décembre à s’y opposer. (Elabe)
Dans une enquête d’Odoxa, les Français estiment que le gouvernement ne doit pas s’obstiner. 29% d’entre eux souhaitent qu’il renonce purement et simplement à sa réforme. Et 46% souhaitent l’abandon de l’âge pivot fixé à 64 ans, une position en hausse de quatre points par rapport au dernier baromètre du 19 décembre. A propos de la popularité de la grève, « un mois après son démarrage, la mobilisation contre la réforme des retraites est toujours soutenue majoritairement par les Français. Mais ce soutien s’essouffle un peu. Ils sont six sur dix (61%) à l’estimer justifiée.
Moins que les (faibles) variations à la baisse, c’est bien le constat que le matraquage de la presse et le défilé des élus LREM sur les plateaux, n’ébranle pas les Français. C’est d’ailleurs ce que confirme chaque année l’enquête du journal La Croix sur la crédibilité des médias qui démontre systématiquement que plus de 50% des citoyens ne croient pas ce que débite la presse écrite, télévisuelle ou radiophonique et encore moins les informations paraissant sur Internet…
Les retraites en première ligne, les cheminots aussi…
Dans la mobilisation actuelle, des grandes questions n’apparaissent pas à leur juste valeur. Ainsi, la lutte que continuent de mener, ensemble et dans l’unité, les personnels de la santé et singulièrement dans les hôpitaux, ne sont quasiment plus évoqués. Il en va de même pour l’éducation nationale. Et bien d’autres : avocats, transports routiers, etc…
Pour le gouvernement, la réforme des retraites est ce qu’on appelle aujourd’hui un « totem ». Elle est la marque fondamentale de la politique macronienne, entièrement tournée vers le monde de la finance et qui cherche à individualiser le fonctionnement de la société. Pour cela, tout ce qui relève de la solidarité est évidemment à abattre et le système de retraite que nous connaissons est l’archétype, même imparfait, de cette vision de la société plus équitable et redistributive.
Chacune et chacun d’entre nous peut comprendre que si la retraite par points passe, il va en être de même pour le système de santé, la Sécurité sociale toute entière, avec son budget supérieure à celui de l’Etat devient une proie à prendre pour ces nouveaux acteurs du capitalisme que sont les fonds d’investissements.
La honteuse complicité de M. Delevoye avec les assureurs est le symptôme de cette consanguinité entre les grands instituts capitalistes et une majorité de politiciens au pouvoir : et depuis que la social-démocratie est entrée dans cette logique, la politique semble toute entière inféodée aux puissances économiques et financières.
On le voit, les enjeux de cette mobilisation sont importants. La retraite devient dès lors aussi un « totem » pour ceux qui ne veulent pas d’une société ultralibérale ; et les cheminots deviennent le bras agissants de toute une population qui ne peut se mettre en grève.
Comment être solidaire des grévistes…
Le secrétaire général adjoint CGT des cheminots de Mulhouse, Jonathan Seiller, ne cède sur rien : « Le mouvement de grève est fortement ancrée dans notre région, le réseau TER est très impacté. Nous ne sommes pas prêts à céder d’autant plus que nous n’estimons pas nous battre uniquement pour nos régimes spéciaux. »
L’Alterpresse : Mais Macron semble vouloir préserver le régime des cheminots…
Jonathan Seiller : « Si vous faites référence à la « clause du grand-père », c’est-à-dire que ce ne sont que les cheminots nouvellement embauchés auxquels ont appliquera le nouveau régime, nous rejetons fermement ce marché de dupes. D’abord parce que nous refusons d’imposer aux futures générations un recul social phénoménal mais également parce qu’à partir du 1er janvier 2020, plus aucune embauche ne se fera sous l’ancien statut à la SNCF. Il s’agit bien d’une manœuvre pas très élégante de vouloir briser la grève ».
L’Alterpresse : Sentez-vous un soutien des usagers et clients ?
Jonathan Seiller : « Nous comprenons évidemment la gêne que peut occasionner une grève de ce type. Nous nous expliquons avec les usagers qui, dans leur immense majorité, comprennent notre position et ont bien compris que le principal responsable de ces blocages est le gouvernement. La plupart du temps, nous recevons des encouragements des personnes qui ne peuvent faire grève comme nous le faisons pour des raisons objectives (craintes de sanction, difficultés économiques, …) et qui nous soutiennent ».
L’Alterpresse : En fonction de la longueur de cette grève et des conséquences salariales sur les cheminots, ne craignez-vous pas un essoufflement de la lutte ?
Jonathan Seiller : « Ce n’est pas la CGT qui dicte la poursuite du mouvement, ce sont les cheminots en assemblée générale qui prennent la décision, en toute connaissance de cause. Evidemment, la perte salariale devient conséquente après plus d’un mois de conflit, mais les cheminots se disent : nous n’avons pas fait tout cela pour nous arrêter maintenant et la perte que nous subirons avec cette réforme des retraites est bien plus important que celle qui nous impacte aujourd’hui. Et nous organisons une solidarité financière en appelant à un soutien de la population qui peut verser dans une caisse spécifique qui permettra d’atténuer les effets de la perte de salaire ».
Verser son obole pour une bonne et juste cause
L’Alterpresse68 s’associe aux nombreux appels à la population pour un soutien financier des grévistes. Cette grande popularité de la grève ne peut rester de pure forme, elle peut donner lieu à aider des grévistes à tenir puisque le gouvernement cherche à les mettre financièrement à genoux.
Les manœuvres pour faire cesser la mobilisation vont se poursuivre : l’idée de la CFDT d’organiser « une conférence sur le financement » fait partie de cette stratégie. Laurent Berger, c’est un peu le Clemenceau et sa pensée cynique « pour enterrer un problème, créons une commission ». Là c’est « pour faire passer une réforme impopulaire, créons une conférence »… Pourquoi faut-il dissocier le financement d’une réforme des retraites ? Uniquement parce que cette question fera la démonstration que ce sont les retraités eux-mêmes qui vont payé la réforme par une baisse considérable des futures retraites ?
Les cheminots, y compris ceux de la CFDT, ne sont pas sur cette base : ils veulent le retrait de ce projet gouvernemental et pas des discussions bidon sur un texte de loi déjà ficelé et que la majorité LREM votera des deux mains à l’Assemblée Nationale. Pour éviter cela, il n’y a pas d’autres choix que d’aider ceux qui luttent à tenir… jusqu’à la satisfaction de leur revendication.
Le lien vers la caisse de grève
Et ailleurs ?