Le film documentaire « Hacking democraty » sous-titré en français se trouve au bas de l’article, ainsi que nos précédents articles sur le sujet.
Un bréviaire, ou un sauf conduit citoyen pour mieux savoir à quoi s’attendre, tant que l’on admettra la validité d’une procédure de vote par voie électronique, structurellement illégitime, et pourtant toujours de mise dans une soixantaine de municipalités françaises, dont Mulhouse (seule ville de plus de 100 000 habitants à en disposer encore) et Riedisheim, voilà ce que nous vous proposons.
Il ne suffit évidemment pas d’énoncer une telle assertion pour l’admettre sur parole. Encore s’agit-il de comprendre en quoi et pourquoi les ordinateurs de vote ont tout d’un scandale démocratique.
C’est ce à quoi veut s’atteler cet article en forme d’argumentaire, appuyé notamment sur les éléments d’un rapport sénatorial rédigé conjointement en 2014 par un élu socialiste (Alain ANZIANI) et UMP (Antoine LEFEVRE), mais également à partir de déclarations issues du Conseil constitutionnel ou apportées par le site Ordinateur de vote.org.
Bonne lecture, et bon vote éclairé !
Machines à voter: à travers le monde, des expérimentations vouées à l’impasse
Les Pays-Bas ont été les premiers à généraliser les machines à voter, dès les années 1990, avant d’abandonner définitivement l’expérience en 2008 suite à la publication d’un rapport affirmant que les machines étaient insuffisamment contrôlables, car ne fournissant pas de trace papier . Un an auparavant, en 2007, plus de 90 % des suffrages en Hollande étaient exprimés à l’aide de machines .
Le Brésil a expérimenté un système d’urnes électroniques de 1996 à 2002. Aux élections présidentielles de 2002, 100 % des électeurs ont utilisé une machine à voter.
L’Irlande a commencé à introduire le vote électronique en 2002 à l’occasion des élections législatives de mai 2002 et du référendum sur le traité européen de Nice en octobre 2002. Alors que le gouvernement prévoyait de généraliser le vote électronique à l’ensemble du pays pour les élections européennes et locales de 2004, l’expérience a été suspendue suite à l’avis négatif rendu en 2003 par la Commission sur le vote électronique .
En Allemagne, 1 800 urnes électroniques ont été utilisées lors des élections législatives de 2005 . Cependant, quatre ans plus tard, le Tribunal constitutionnel fédéral a déclaré inconstitutionnel le décret mettant en place ces machines à voter, au motif qu’elles ne permettent pas aux citoyens de vérifier le processus de dépouillement sans nécessiter une compétence technique .
Depuis 1999, la Belgique a mis en place différents systèmes de machines à voter lors de chacune des élections présidentielles et législatives. Le vote électronique ne sera cependant pas reconduit dans la région francophone de Wallonie pour les prochaines élections communales et provinciales de 2018 .
En France
Depuis 1969, le droit français permet d’utiliser des machines à voter dans les communes de plus de 3500 habitants . Cette loi est modifiée en 2003 de façon à permettre la même année une première expérience de vote par internet (qui constitue un problème annexe à celui provoqué par les ordinateurs de vote) pour des élections nationales, sur les deux circonscriptions des États-Unis lors de l’élection législative des Français de l’étranger. L’expérience est généralisée à d’autres circonscriptions aux élections législatives de 2006, puis étendue à l’ensemble du corps électoral des Français de l’étranger par l’arrêté du 27 avril 2012. Celui-ci rendra possible le vote électronique lors des élections législatives de 2012 et des élections des conseillers consulaires de 2014 . L’expérience est toutefois interrompue pour les élections législatives de 2017, en raison d’un risque élevé de cyberattaque.
Les machines à voter sont quant à elles expérimentées pour la première fois lors des élections régionales et cantonales de 2004 dans une trentaine de communes. Lors de l’élection présidentielle de 2007, 81 communes au premier tour et 77 au second y ont recours. Une partie d’entre elles (64 ou 66) poursuivent l’expérience pour les élections présidentielles de 2012 et 2017.
Voter : un acte individuel pas comme un autre
« Le geste électoral par voie électronique s’exerce de manière aisée, ne requérant aucun déplacement et qu’un temps réduit. Le vote devient, contrairement à la tradition du bureau de vote, un acte solitaire. Or, comme le soulignent Yves Déloye et Olivier Ihl, le bureau de vote, espace spécialement aménagé à cette fin avec son matériel propre, permet de fixer des attitudes et de matérialiser des valeurs : « le contact avec l’urne apparaît bien comme le moment où l’élection sort le plus du monde profane pour pénétrer dans le cercle des choses sacrées ». Ils ajoutent que « voter, c’est dépasser l’expression d’une « opinion » singulière pour prendre place dans un processus plus large : la fabrique d’une décision collective ». Cette fonction est parfaitement illustrée par l’enveloppe qui, tout juste introduite dans l’urne par l’électeur, vient s’agréger aux autres enveloppes desquelles sortira une décision collective. Le vote à distance brise évidemment ce cérémonial républicain. Comme le redoute M. Gilles Toulemonde lors de son audition, l’acte de vote peut ainsi être relégué au rang d’acte de la vie courante que l’internaute accomplit, parfois en parallèle, d’autres activités depuis son écran. »
Alain Anziani, Antoine Lefèvre, « Rapport d’information sur le vote électronique », Sénat, 9 avril 2014.
Un cérémonial républicain vidé de toute symbolique
« La participation aux opérations qui se déroulent dans un bureau de vote, que l’on soit assesseur, scrutateur ou simple électeur, associe les citoyens à une sorte de liturgie républicaine. L’intrusion des machines à voter dépossède les citoyens de tout cela. Elle rend opaque ce qui était visible. Elle leur confisque un sacerdoce partagé. Elle met fin à une « communion citoyenne ». Elle prive le corps électoral de la surveillance collective des opérations dans lesquelles s’incarne le suffrage universel. Elle rompt le lien sensoriel et symbolique que la pratique « manuelle » du vote et du dépouillement avait tissé. »
Conseil constitutionnel, « Bilan du second tour et décision de proclamation », 10 mai 2007.
Un vote invérifiable et opaque
- Il est invérifiable : les votes ne laissent aucune trace physique. L’électeur ne peut pas vérifier si son vote est correctement enregistré : il ne voit pas les électrons se déplacer dans la mémoire informatique. L’électeur ne sait pas non plus si cette mémoire n’est pas altérée d’ici le dépouillement. Personne ne vérifie si le logiciel qui s’occupe de ces tâches est bien celui qui est censé être dans l’ordinateur de vote.
- Il est opaque : on ne connaît pas le fonctionnement du logiciel qui enregistre et compte les votes, car il est protégé par le secret industriel. C’est comme si, à la fin d’un vote traditionnel, on confiait l’urne à une entreprise privée qui emporterait les bulletins pour les dépouiller sans que quiconque puisse y jeter un oeil. On ne connaît même pas le résultat détaillé de la procédure d’agrément.
« L’électeur ne peut pas contrôler la réalité de l’expression de son suffrage. Il appuie bien sur le bouton correspondant au candidat de son choix, mais il ne peut pas s’assurer que la machine enregistre correctement son vote. S’il est aujourd’hui possible de prévoir l’émission par la machine d’un ticket reproduisant normalement le nom du candidat de l’électeur, cette fonctionnalité n’apporte pas une précaution absolue comme nous le montre l’expérience allemande. »
Alain Anziani, Antoine Lefèvre, « Rapport d’information sur le vote électronique », Sénat, 9 avril 2014.
Un type de vote dans lequel il est impossible de recompter les voix
« Contrairement à la double procédure de contrôle mise en place pour le vote à l’urne par le code électoral, d’abord au sein du bureau de vote puis, lors du dépouillement, devant le juge administratif qui peut examiner les bulletins litigieux, le dénombrement des suffrages dans les bureaux équipés d’une machine à voter s’effectue par la lecture des compteurs que le président rend visibles à la clôture du vote. Il n’est pas possible, en l’état, de procéder en cas de résultats litigieux à un recomptage des votes enregistrés par la machine. Si l’entreprise Berger-Levrault a précisé à vos rapporteurs que la participation au scrutin était relevée chaque heure et qu’en conséquence, un écart de voix pourrait être recherché dans l’historique horodaté de la machine, il ne s’agit toutefois que de la mention d’un total chiffré et non de la mise à disposition physique des bulletins. »
Alain Anziani, Antoine Lefèvre, « Rapport d’information sur le vote électronique », Sénat, 9 avril 2014
Des élections non contrôlables par n’importe quel citoyen
« Comme l’a souligné M. Jean Gicquel, professeur émérite de droit public, lors de son audition, seuls des spécialistes sont en état de contrôler les opérations de vote. Le vote électronique s’écarte ainsi profondément du vote traditionnel dans lequel interviennent successivement les membres du bureau, les délégués des candidats et les électeurs pour surveiller le déroulement des opérations de vote. »
Alain Anziani, Antoine Lefèvre, « Rapport d’information sur le vote électronique », Sénat, 9 avril 2014.
Un scrutin qui demeure entre des mains d’experts
« Notre système politique est la démocratie représentative. La plupart d’entre nous ne participent pas aux décisions politiques. Néanmoins détenteurs de la “souveraineté populaire”, nous déléguons temporairement notre pouvoir à nos maires, à nos députés, à notre président… pour cinq ou six années. Nous ne détenons réellement le pouvoir que le jour des élections. Durant ce jour précis, nous ne devons rien déléguer, même à des techniciens habilités. »
Association Ordinateurs de vote, « Principes à respecter ».
Des technologies qui ne diminuent en rien le « coût » global d’une élection…
« En Belgique, les machines à voter ont été introduites en 1991. Elles concernent actuellement 44 % des électeurs. En 2004, une première évaluation officielle a montré un surcoût par rapport au vote papier. […] Les machines les plus anciennes commencent à tomber en panne, ou demandent une mise à niveau. »
Association Ordinateurs de vote, « Pourquoi la Belgique (14 ans d’expérience) ne fait-elle pas d’économies ?
« Les promoteurs du vote électronique le présentent comme une source d’économie pour les communes. D’autres personnes relèvent en revanche le coût élevé des machines (de 4 000 à 6 000 euros) et les frais complémentaires d’assistance technique, de formation, d’entretien et de mise à niveau. Les charges qui en découlent pour les communes ont conduit plusieurs d’entre elles à renoncer aux machines pour ce motif. »
Alain Anziani, Antoine Lefèvre, « Rapport d’information sur le vote électronique », 9 avril 2014.
« La rationalité économique n’est pas évidente, au vu des grandes variations dans les prévisions d’amortissement (2 à 18 élections). Automatiser un processus rare semble absurde : on sort un coûteux ordinateur de son placard une fois par an. »
Association Ordinateurs de vote, « Pourquoi ce site »
Sans parler du coût du recyclage: 28 kg d’électronique à jeter à la poubelle tous les 10 ans en moyenne, pour chaque machine Nedap…
« M. Gilles Toulemonde précise en outre que le bilan écologique doit prendre en compte le traitement des déchets – machines et cartes mémoire – potentiellement plus nocif pour l’environnement que la consommation de papier. »
Alain Anziani, Antoine Lefèvre, « Rapport d’information sur le vote électronique », 9 avril 2014.
« En Belgique, les machines à voter ont été introduites en 1991. Elles concernent actuellement 44 % des électeurs. En 2004, une première évaluation officielle a montré un surcoût par rapport au vote papier. […] Les machines les plus anciennes commencent à tomber en panne, ou demandent une mise à niveau. En 2005, une nouvelle évaluation officielle a confirmé le surcoût, et l’a chiffré à trois fois plus cher.
Le détail : http://www.ordinateurs-de-vote.org/Pourquoi-la-Belgique-14-ans‑d.html »
Vous trouverez ci-dessous un documentaire produit en 2007 par la chaine américaine HBO (82 minutes), relatif au scandale des ordinateurs de vote aux Etats-Unis (notamment lors de l’élection présidentielle de l’année 2000).
Nos précédents articles sur le sujet: