Nous sommes la région la plus proche de l’Allemagne et tout ce qui s’y passe à de l’intérêt pour notre population. Il est d’autant plus incompréhensible que le journal régional Crédit Mutuel, L’Alsace-DNA, se contente d’une dépêche incomplète de l’AFP pour en rendre compte ! Pourtant, une analyse un peu fine des résultats électoraux en Allemagne est pleine d’enseignement et la majorité des Français, enfermés dans des aprioris à l’égard des Allemands, pourrait se faire une vraie idée de nos voisins.
Un système dit de « vote cumulatif »
Le système électoral allemand est totalement différent du nôtre. D’abord par l’application d’un scrutin proportionnel plurinominal.
Prenons l’exemple de Hambourg : c’est une ville qui est également un « Land », Hansestadt Hambourg est son intitulé. Elle est dirigée par une Assemblée citoyenne dite die « Bürgerschaft », composée de 121 députés, élus pour un mandat de 5 ans. 71 d’entre eux sont élus dans 17 circonscriptions plurinominales qui sont dotées, chacune, de 5 sièges. Et, en même temps, chaque parti présente une liste de 121 candidats pour de la ville.
Le jour du vote, chaque électeur dispose de 10 voix, selon un système dit de « vote cumulatif » : cinq voix sont à répartir entre les candidats et/ou listes présents au niveau de la circonscription, et les cinq restantes doivent être réparties de la même manière au niveau de la ville. Vous suivez ?
À l’issue du scrutin, la totalité des sièges à pourvoir est distribuée selon une forme de proportionnelle entre les partis dont la liste municipale a recueilli au moins 5% des suffrages exprimés. Les sièges sont attribués prioritairement aux candidats élus dans les circonscriptions. Puis aux candidats inscrits sur la liste municipale en tenant compte des candidats ayant remporté le plus grand nombre de voix grâce au vote cumulatif, circonscriptions et ville..
Il se peut dès lors que des candidats dont la liste n’a pas obtenu 5% peuvent gagner un siège par cette double expression. Et les électeurs peuvent très bien choisir un vote différent sur chacun des bulletins ! La complexité de la chose nécessite la mise à disposition d’un mode d’emploi pour chaque électeur. Voir ici.

Le choc de l’AFD
Évidemment, ce vote à dimension proportionnelle favorise les petites listes et permet d’accéder aux Chambres (soit à l’échelle fédérale, soit au niveau du Land) dès qu’on atteint les 5% de suffrages exprimés.
Né d’une orientation clairement anti-européenne, Alternative für Deutschland se réclame clairement d’une idéologie que l’on peut qualifiée d’extrême droite, ce qui est toujours particulier quand il s’agit de l’Allemagne, de vieux démons surgissent.
D’autant plus que, lors du scrutin aux législatives de 2017, l’AFD entre pour la première fois au Bundestag (Parlement), en obtenant 93 sièges sur 709 avec 12,64% des voix progressant de 7,9 % malgré des conflits internes et moult coups bas entre les dirigeants. Parallèlement, la CDU régresse de 8,6% et la SPD de 5,2%. Les deux partis paient la politique qu’ils mènent ensemble au sein de la Grande Coalition. Et l’AFD devient la 3e force du parlement, devant la FDP, les Verts et Die Linke.
Il ne s’agit pas de relativiser cette percée d’autant plus qu’elle est confirmée dans de nombreux Länder dans lesquels l’AFD peut jouer les « faiseurs de rois » en votant pour tel ou tel candidat(e) comme Ministre Président. C’est ce qui vient de se passer en Thüringe où le candidat de Die Linke, Boris Ramelow, recueille 29 sièges, contre 22 à l’AFD, 21 à la CDU et 8 au SPD. L’effondrement du parti social-démocrate empêche de reconduire la majorité sortante (Die Linke-SPD) et l’AFD profite de sa force pour élire… un libéral à la présidence. Devant ce tollé, le président élu doit démissionner et une grave crise politique s’ouvre en Allemagne à partir de ce fait.
Pour l’honnêteté de nos propos, nous devons ajouter que le système électoral allemand favorise évidemment l’élection des candidats de l’AFD. Si nous rapportions la situation à la France, le Front National qui recueille en 2017 13,20% des voix, mais ne dispose que de… 8 sièges à l’Assemblée nationale. Plus de 10 fois moins que l’AFD tout en ayant un résultat électoral plus favorable. Nous ne sommes donc pas vraiment bien placés pour s’ériger en donneur de leçons.
L’élection de Hambourg
Après l’épisode de Thüringe (dans laquelle un nouveau scrutin devrait être organisé), les yeux se rivaient sur les élections à Hambourg. Surtout après l’attentat de Hanau qui vit un homme d’extrême droite assassiné neuf personnes, allemandes, mais d’origines étrangères. Cet acte ignoble a soulevé une vague d’indignation et de solidarité dans la population allemande et bien évidemment l’AFD s’est joint aux autres partis pour condamner l’assassinat.
Pourtant, pour une majorité d’Allemands, surtout des jeunes, l’AFD a une part de responsabilité dans la tuerie par les paroles « décomplexées » de ses dirigeants condamnant les « immigrés », la politique migratoire du gouvernement fédéral, la violence qui serait l’apanage des réfugiés, etc.
L’AFD allait-elle être sanctionnée à Hambourg où elle était entrée pour la première fois au Parlement du Land en 2013 avec 6,1% des voix et 8 sièges. Et comment les partis au pouvoir dans la Hansestadt, le SPD et les Verts allaient s’en sortir dans une ville qui est classée à gauche en Allemagne.

Sur le graphique ci-dessus, on constate que la coalition au pouvoir reste en place, le SPD restant premier tout en perdant 6,6% des voix et que les Verts sont les grands gagnants puisqu’ils progressent de 11,9%. La CDU est la grande perdante avec moins 4,7% et la FDP qui est éjecté du parlement n’atteignant pas les 5% (tout en sauvant un siège grâce aux suffrages de circonscription). L’AFD quant à elle recule faiblement, mais cela est noté comme un coup d’arrêt dans une progression presque systématique dans tous les suffrages de ces dernières années.
L’intéressant résultat de Die Linke
La dépêche AFP reprise par le journal du Crédit Mutuel n’a même pas cité Die Linke. Tous les partis ont eu droit à un commentaire sauf ce parti de gauche qui n’hésite pas, en Allemagne, à prôner le socialisme et défend une « plate-forme communiste ». Dans un pays où l’anticommunisme a été érigé en règle après la Seconde Guerre mondiale et après que les très nombreux communistes avaient été liquidés par le régime nazi durant la guerre, cela mérite pour le moins d’être relevé.
Comme toujours, il ne s’agit pas de surinterpréter son résultat. Avec une toute petite progression, elle n’engrange pas les pertes du SPD dont les électeurs se sont plutôt reportés vers les Grünen (Verts).
Pourtant, en affinant l’analyse des résultats, il s’avère que les quartiers populaires de Hambourg ont fortement soutenu Die Linke. Si on examine le vote par circonscriptions, dans le quartier d’Altona, Die Linke talonne avec 21,8% des voix le SPD (22,2%). L’AFD avec ses 2,3% et la CDU avec 7,6% ne comptent quasiment pas.
Dans Hambourg Mitte (le Centre), le parti de gauche atteint les 19% et dans la circonscription de Bilstedt-Wilhelmsburg, il progresse de 5,1% pour atteindre les 15,5%, devant les Verts (15,3%).
L’Allemagne, ni un modèle de vertu, ni d’infamie…
Nous avons tendance en France à analyser ce qui se passe en Allemagne avec le prisme d’un passé historique lui-même mal appréhendé. En oubliant que les premières victimes du nazisme étaient bien les militants ouvriers, syndicalistes, membres du Parti communiste et du SPD, premiers « pensionnaires » des camps de concentration dès 1933… dans l’indifférence générale du monde entier.
La situation actuelle en Allemagne est marquée par une crise de confiance en la politique comme partout. Il n’y a pas plus de crainte de peste brune là-bas qu’en France. Et pourtant, nombreux sot les Allemands à craindre un retour des vieux démons et se mobilisent pour éviter que l’histoire ne se réitère. En sommes-nous aussi conscients quant à la situation française ? Peut-on se satisfaire d’une situation dans laquelle le Président de la République instrumentalise à des fins politiques la montée du Front National en espérant avoir un de ses représentants au second tour des élections présidentielles de 2022… et de pouvoir rejouer le coup de 2017. N’est-ce pas de jouer avec le feu en libérant auprès de certains de nos concitoyens un peu perdus, des attitudes et actes qui ne correspondent pas aux valeurs qui sont celles de notre République ?
Si les Allemands doivent être vigilants après les actes de terreur de l’extrême droite et de la place d’un parti comme l’AFD sur son échiquier politique, la France n’est, et de loin, pas à l’abri de la banalisation d’une extrême droite qui rencontre tant de mansuétude dans notre pays.