Quelques cen­taines de mani­fes­tants ont arpen­té les rues de Mul­house mar­di 3 mars pour pro­tes­ter contre l’utilisation de l’article 49–3 par le gou­ver­ne­ment pour muse­ler l’Assemblée Natio­nale. Une par­tie d’entre eux sont venus assis­ter à une réunion publique de la can­di­date aux muni­ci­pales de Mul­house, Lara Mil­lion, sou­te­nue, entre autres par LREM.

C’est essen­tiel­le­ment ce sou­tien du par­ti du Pré­sident de la Répu­blique qui a valu à Mme Mil­lion ce comi­té d’accueil bien plus que le conte­nu du pro­gramme de la can­di­date. Comme l’a fait le dépu­té LREM Bru­no Fuchs la semaine der­nière lors de l’opération « Godillots », Lara Mil­lion a enta­mé un dia­logue avec les mani­fes­tants, essen­tiel­le­ment des mili­tants CGT et Gilets Jaunes. Sans se convaincre sûre­ment mais dans esprit de dialogue…

Les des­sous du 49–3

On sait que l’utilisation de cet article (voire arti­fice) de la Consti­tu­tion se fait par­ti­cu­liè­re­ment quand un gou­ver­ne­ment ne dis­pose pas d’une majo­ri­té solide à l’Assemblée Natio­nale. Mais Édouard Phi­lippe dis­pose d’une majo­ri­té de « godillots » tel­le­ment infa­tué de la jus­tesse de leurs convic­tions qu’ils ne s’aviseraient pas à s’opposer à leur mentor.

Alors, pour­quoi faire appel à cette pro­cé­dure qui n’est pas sans risque poli­ti­que­ment ? La rai­son offi­cielle est celle de « rac­cour­cir » les débats et faire face aux « obs­truc­tions » de l’opposition ! Un peu court comme expli­ca­tion, car qu’est-ce qu’il y a de si urgent dans une loi qui ne s’appliquera quand dans deux ans… 

Le jour­nal L’Humanité, daté du 1er mars lève le voile sur un aspect que peu de médias ont évoqué.

Mal­gré les âpres dis­cus­sions autour des amen­de­ments, l’Assemblée natio­nale avait adop­té le 1er cha­pitre de la loi jusqu’à l’article 7. Inté­res­sant de s’attarder sur celui-ci : il s’agit de la fin des régimes spé­ciaux. A la lec­ture, on peut consta­ter que notre région est concer­née… sans qu’un seul de nos dépu­tés aient réagis…

Un para­graphe du texte est ain­si rédi­gé pour évo­quer les régimes concer­nés: « Pré­ci­sé­ment, il s’agit des assu­rés rele­vant des régimes spé­ciaux de retraite de la SNCF, de la RATP, des clercs et employés de notaires (CRPCEN), des indus­tries élec­triques et gazières (CNIEG), de la Banque de France, de l’Opéra natio­nal de Paris, de la Comé­die-Fran­çaise, des ouvriers de l’État, des mines, du Port auto­nome de Stras­bourg et des ministres des cultes en Alsace-Moselle sou­mis au régime concor­da­taire ain­si que les membres du Conseil éco­no­mique, social et envi­ron­ne­men­tal (CESE). »

Pour­quoi s’arrêter là ? Et pour­quoi sor­tir, à ce moment, en ce same­di 29 février, l’utilisation du 49–3 par le Pre­mier Ministre ? A l’examen, il s’avère que le Coro­na­vi­rus n’y est pour rien…

Les articles les plus graves étaient au menu

Comme le rap­pelle L’Humanité, la dis­cus­sion devait se pour­suivre en abor­dant le Cha­pitre II, avec des points sul­fu­reux et qui sont à la base du rejet de la loi par nos concitoyens.

L’Article 8 qui devait venir en débat, porte sur le mon­tant des retraites en fonc­tion du nombre de points accu­mu­lés. Donc de la valeur du point. Et là, il n’y a évi­dem­ment pas de réponse puisque le finan­ce­ment du régime n’est pas éta­bli et sur­tout il y est sti­pu­lé qu’une « valeur d’acquisition des points sera fixée chaque année par le conseil d’administration de la Caisse ».

L’Article 9, quant à lui, « fixe les moda­li­tés de déter­mi­na­tion des valeurs d’acquisition et de ser­vice du point dans le sys­tème uni­ver­sel. » Il y a est mar­qué noir sur blanc que « les valeurs d’acquisition et de ser­vice du point seront déter­mi­nées par le conseil d’administration de la Caisse natio­nale de retraite uni­ver­selle, en tenant compte des pro­jec­tions finan­cières du sys­tème de retraite ». On s’imagine com­ment l’opposition aurait pu démon­trer que les futurs retrai­tés ne sau­ront pas jusqu’au bout, quel sera le mon­tant de leur pen­sion ! Et que les fameux 1.000 euros garan­tis ne sont qu’un men­songe éhon­té puisque le sys­tème ne peut garan­tir cela étant don­né que cela ne pour­rait que concer­ner celles et ceux qui auront une car­rière complète…

Et l’Article 10, réin­tro­duit ce que M. Ber­ger de la CFDT avait cru éva­cuer du pro­jet : l’âge d’équilibre. Au cas où cela ne serait pas clair, il est sti­pu­lé que « pour l’équilibre du sys­tème dans son ensemble. Il valo­ri­se­ra davan­tage les choix de pro­lon­ga­tion d’activité. » On peut com­prendre que FO et la CGT aient quit­té la Confé­rence sur le finan­ce­ment puisque la loi a déjà fait le choix : vous tra­vaille­rez plus long­temps. Exac­te­ment comme Édouard Phi­lippe l’avait annon­cé dans l’annonce de l’âge d’équilibre.

Enfin, l’Article 11 aborde la ques­tion de l’indexation de la valeur de la retraite. Si le texte com­mence en rap­pe­lant que l’indexation des retraites sera fixée par l’inflation, il y rajou­ter immé­dia­te­ment : « Le conseil d’administration de la Caisse natio­nale de retraite uni­ver­selle pour­ra tou­te­fois pré­voir un autre taux de reva­lo­ri­sa­tion dans le res­pect de la tra­jec­toire finan­cière plu­ri­an­nuelle du sys­tème uni­ver­sel de retraite. » En clair, ce sera la situa­tion finan­cière qui déter­mi­ne­ra le mon­tant de la pen­sion… et donc de la valeur du point !

Une opi­nion qui s’est retour­née et per­siste dans son choix !

Quand on posait la ques­tion aux Fran­çais à l’automne 2019, une grande majo­ri­té (76% selon l’IFOP) approu­vait une réforme des retraites. En février 2020, ils sont… 61% à vou­loir le retrait du pro­jet de loi ! Que s’est-il pas­sé entre temps ?

Effec­ti­ve­ment, si nombre de nos conci­toyens trouvent le sys­tème actuel insa­tis­fai­sant, ils ne sont pas prêts non plus à accep­ter n’importe quoi. Or, au fur et à mesure de la décou­verte du texte du gou­ver­ne­ment, ils se sont bien ren­du compte que loin d’aller vers une amé­lio­ra­tion, nous allions vers un recul social historique.

Mer­ci aux syn­di­cats qui, par leur appel à mani­fes­ter, ont contri­bué à la décou­verte de la nature réelle et pro­fonde du pro­jet gouvernemental.

Et le débat au par­le­ment allait de toute évi­dence encore aug­men­ter le rejet de la loi sur­tout quand des articles aus­si essen­tiels comme ceux que nous évo­quons plus haut auraient appor­ter une lumière crue sur l’ampleur de la perte que subi­ront les futurs retraités. 

C’est pour­quoi il a fal­lu dégai­ner le 49–3 pour cou­per court aux révé­la­tions que les par­le­men­taires de l’opposition pou­vaient encore faire !

Ce n’est ni en l’honneur de ce gou­ver­ne­ment, ni en celui de ses dépu­tés godillots que de per­sis­ter dans une volon­té d’imposer coûte que coûte des mesures que l’opinion publique rejette à ce point. La rue ne gou­ver­ne­ment pas, aiment dire les affi­dés du Pré­sident… Oui, mais elle vote… Et pas plus tard que le 15 mars…

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