Les admi­nis­trés de la com­mu­nau­té de com­mune de la val­lée de Muns­ter n’assisteront pas à la per­for­mance don­née par 6 musi­ciens, les­quels devaient ani­mer l’ouverture de la sai­son cultu­relle orga­ni­sée à Muns­ter, près de Colmar.

Les inso­lents délin­quants peuvent prendre leurs cliques et leurs claques, et aller se faire son­ner les cloches dans la val­lée voi­sine. Ose­rons-t-ils tou­te­fois para­phra­ser l’écrivain Mau­rice Cla­vel en 1971, sur un pla­teau de l’ORTF, s’é­criant : « Mes­sieurs les cen­seurs [sani­taires], bon­soir ! » ?

Alors que tout était conve­nu avec la direc­tion de la salle de spec­tacle muns­té­rienne, et vali­dé par la com­mis­sion culture, pour le 24 sep­tembre 2021, le pré­sident de la com­mu­nau­té de com­munes, Nor­bert Schi­ckel, s’est récem­ment fen­du d’un cour­rier, dans lequel il annonce aux musi­ciens leur désengagement.

Quel motif peut donc leur valoir cet éton­nant ban­nis­se­ment artistique ?

Pour mieux com­prendre l’ins­tant où s’est noué le drame, il faut remon­ter au 24 avril 2021. Une flop­pée de citoyens issue de nom­breuses villes de France et de Navarre s’enhardissent à voir enfin per­cer une belle jour­née de prin­temps. Il fait beau, et presque chaud sur une bonne par­tie du territoire.

Le gri­sou sani­ta­riste qui menace d’en­se­ve­lir toute pul­sion de vie est deve­nu la plaie du siècle. Com­ment ne pas céder devant la ryth­mique ondu­lante des mélo­pées cica­tri­santes, et d’impromptus tour­billons dan­sants qui s’offrent à vous ?!

Grandes métro­poles ou modestes bourgs, tou­jours est-il qu’à Clu­ny, Mon­tar­gis, Saint Malo, Aix-en-Pro­vence, Nan­cy, Lyon, Tou­louse, Saint Leu, La Rochelle, Châ­te­li­neau, Mantes-la-Jolie, Alen­çon, Per­tuis, Le Mans, Saint-Nazaire, Châ­tillon, Mar­seille, notam­ment, et même loca­le­ment à Ribeau­villé, des citoyens se passent le mot sur les réseaux sociaux. Ils conviennent de par­ti­ci­per de manière infor­melle à des “flash mob“, ou des mobi­li­sa­tions éclair.

Le ras­sem­ble­ment étant géné­ra­le­ment orga­ni­sé au moyen d’Internet, les par­ti­ci­pants ne se connaissent pas pour la plu­part. La carac­té­ris­tique de ce phé­no­mène est la conver­gence rapide d’individus a prio­ri sans lien préa­lable, puis la dis­per­sion tout aus­si rapide des par­ti­ci­pants. L’impression d’improvisation et le fac­teur de sur­prise pour les spec­ta­teurs en sont les élé­ments clés.

Le 24 avril, dans de nom­breuses villes fran­çaises, l’idée est de gou­ter quelques ins­tants au plai­sir d’être ensemble et de par­ta­ger un com­mun fes­tif. Il s’agit aus­si de sou­te­nir le sec­teur cultu­rel, par­ti­cu­liè­re­ment exsangue depuis de nom­breux mois, à la faveur d’un enfer­me­ment géné­ral de la popu­la­tion pour motif sanitaire.

Pour l’occasion, les par­ti­ci­pants s’attachent sur­tout à un même motif musi­cal : une chan­son du groupe lil­lois enga­gé HK et les Sal­tim­banks. Le titre, “Dan­ser ensemble“, est ain­si repris sur toutes les places où sont orga­ni­sées les ras­sem­ble­ments. Les flash-mobs durent le temps de la chan­son, à peine plus en géné­ral. Soit entre 3 et 10 minutes.

Les per­sonnes arrivent comme elles sont. En géné­ral cueillies sur le vif, sou­vent sur les places de mar­ché en plein air. Outre leur cabas, cer­tains portent des masques de manière rigou­reuse, d’autres le laissent volon­tiers glis­ser sous le nez jusqu’à leur bouche, voire leur men­ton, d’autres enfin y ont renon­cé pour l’occasion.

A Muns­ter, la confi­gu­ra­tion était iden­tique. On l’aperçoit d’ailleurs dans une séquence fil­mée avec un télé­phone por­table par un pas­sant, et pla­cée sur You­Tube. A ceci près que deux musi­ciens des groupes Au Gré des Vents et Irish Stream, qui en comptent six, y jouaient et chan­taient à cette occasion.

Chan­ter et dan­ser sans masque, vous n’y pen­sez pas ! De la même manière que la qua­dra­ture du cercle, la tri­sec­tion de l’angle ou la dupli­ca­tion du cube demeurent des mys­tères inso­lubles de la géo­mé­trie, il n’est tou­jours pas scien­ti­fi­que­ment démon­tré un risque signi­fi­ca­tif de conta­mi­na­tion en exté­rieur, sans port de masque. 

Un article encore paru le 14 mai 2021 dans Slate, inti­tu­lé « Por­ter un masque à l’ex­té­rieur ne sert à rien », rap­pelle ce que bon nombre de scien­tifques ortho­doxes, comme Antoine Fla­hault, qui se pré­sente lui-même comme un « Aya­tol­lah du masque en inté­rieur » répète conti­nu­ment depuis des mois.

L’ar­ticle s’a­chève d’ailleurs ainsi :

« En gros, on n’est jamais trop pru­dent. Sauf qu’en­voyer ce genre de mes­sage et faire croire qu’il y a réel­le­ment un dan­ger à ne pas se mas­quer à l’ex­té­rieur (en France, le masque est obli­ga­toire sur un grand nombre de plages…), c’est prendre le risque de semer le trouble dans l’es­prit du public quant au méca­nisme réel de conta­mi­na­tion. Et c’est sans comp­ter, dans un contexte déjà ten­du, l’ap­pa­ri­tion des redres­seurs de tort sin­cè­re­ment pani­qués par un risque ima­gi­naire qui font des réflexions assas­sines aux per­sonnes non mas­quées dans la rue, l’i­dée sau­gre­nue que si on court, fait du vélo, mange ou fume le risque dis­pa­raît comme par magie, et enfin la conclu­sion la plus natu­relle de ces mesures, compte tenu du niveau de connais­sances sur les méca­nismes de conta­mi­na­tion dont nous dis­po­sons: si on veut trou­ver le moyen d’é­chap­per au Covid dehors, il va fal­loir trou­ver le moyen d’aé­rer la rue ».

De la même manière que l’on trou­ve­ra des élus imbé­ciles pour exi­ger le port du masque sur les plages cet été, les embruns marins demeurent l’aérosol le plus aimable du monde, et le soleil, asso­cié aux corps, une fabrique natu­relle de vita­mine D et d’ocy­to­cine. Des com­pa­gnons du bien être natu­rel en san­té, quand d’autres s’obstinent à ver­ser dans l’hygiénisme social.

Sur le par­vis d’un temple pro­tes­tant, à Muns­ter, cela devient alors dans les mots de M. Nor­bert Schi­ckel, un « manque d’é­thique » de la part des musiciens.

Dans le même cour­rier infor­mant les musi­ciens de leur puni­tion col­lec­tive, le Pré­sident thau­ma­turge de la com­mu­nau­té de com­munes, pro­longe l’in­fan­ti­lisme civique dans lequel on per­siste à main­te­nir une popu­la­tion d’un pays sup­po­sé­ment avan­cé. En farouche repré­sen­tant légal des grands enfants que sont deve­nus ses admi­nis­trés, il peut donc, avec la meilleure conscience du monde, écrire dans son cour­rier du 6 mai :

[…] “En tant qu’élus, nous avons un devoir d’exemplarité et de res­pect de l’autorité publique. Si nous res­pec­tons vos prises de posi­tions per­son­nelles, nous ne pou­vons cau­tion­ner voter par­ti­ci­pa­tion à une mani­fes­ta­tion, le 24 avril 2021, lors de laquelle aucun pro­to­cole sani­taire ni gestes bar­rières n’ont été res­pec­tés“.

Pour­tant, le pre­mier devoir d’un élu de la Répu­blique ne serait-il pas de faire usage de pro­por­tion­na­li­té et de dis­cer­ne­ment dans ses analyses ?

M. Schi­ckel évoque “l’éthique” de sa col­lec­ti­vi­té, “qui ne sau­rait être remis en cause en accep­tant ce type de com­por­te­ments“. Et pré­cise que “les équi­pe­ments cultu­rels et spor­tifs subissent eux aus­si les consé­quences de la crise sani­taire“.

Un argu­ment par­ti­cu­liè­re­ment peu audible. Les musi­ciens lui ont d’ailleurs répli­qué. Mais c’est sur­tout pour lui une manière de se défaus­ser, alors qu’il rompt d’au­to­ri­té un contrat (même conve­nu ora­le­ment, ou par échanges de cour­riels) en incri­mi­nant l’ensemble du groupe de manière dila­toire, puisque le motif de la rup­ture est sans rap­port avec la pres­ta­tion com­man­dée aux artistes pour le mois de sep­tembre prochain.

Et sur quelle base légale s’ap­puie-t-il pour exer­cer cette sorte d’ar­bi­trage judi­ciaire ? Aucune a prio­ri. Il semble ne s’a­gir que de faire un exemple, ou plu­tôt de mode­ler auto­ri­tai­re­ment des com­por­te­ments jugés hétérodoxes.

La clé nous en est don­née par la réponse de la col­lec­ti­vi­té à nos ques­tion­ne­ments. Contac­tée, celle-ci dément en effet vou­loir cen­su­rer le groupe, et s’en­gage même à pour­suivre la col­la­bo­ra­tion avec la com­pa­gnie musi­cale durant l’an­née en cours. Pour­tant, le groupe ne peut plus assu­rer l’ou­ver­ture de la sai­son fes­ti­va­lière en sep­tembre !
Au nom d’un cer­tain jan­sé­nisme de bre­loque, édic­té par les exé­cu­tifs poli­tiques (quels qu’ils soient) à l’oc­ca­sion de la crise sani­taire, tout semble désor­mais évo­luer sous le prisme d’un bio­lo­gisme délirant.

A ceci près que les hommes et les femmes ne sont pas des “sujets virus“, comme le carac­té­rise jus­te­ment l’avocat Arié Ali­mi, dans son livre “Le coup d’État d’ur­gence“. Ils ne se réduisent pas à une essen­tia­li­té bio­lo­gique, carac­té­ri­sée par des corps conta­mi­nants et conta­mi­nés. Ce sont d’abord des sujets de droits, dont cer­tains sont inalié­nables.

Dans le cas pré­sent, des gens occu­paient l’espace public. Ils s’y sont retrou­vés et ont par­ta­gé ensemble un moment fes­tif. Ils l’ont fait en consi­dé­ra­tion des contraintes poli­ti­co-sani­taires. Per­sonne ne s’est obli­gé. Les par­ti­ci­pants ont libre­ment choi­si d’y être. Ils ont dan­sé et chan­té quelques minutes, et se sont éva­po­rés aus­si­tôt après.

Voi­ci la scène de crime ! Et dans le port de l’angoisse dans laquelle des élus arriment les citoyens, ils condamnent arbi­trai­re­ment la moindre expres­sion artis­tique spon­ta­née, en fai­sant pas­ser leurs repré­sen­tants et pro­mo­teurs pour des irresponsables.

Dans notre librai­rie soli­daire, nous pro­po­sons à la vente un petit récit de science fic­tion écrit à la fin des années 50, par Lino Alda­ni, auteur et homme poli­tique italien.

Inti­tu­lé « 37° cen­ti­grades », l’au­teur nous conduit à nous inter­ro­ger sur la nature des conces­sions que nous serions prêts à faire pour vivre en bonne santé.

Il y dépeint une socié­té tota­li­taire où des patrouilleurs asser­men­tés arrêtent les citoyens dans la rue, et réclament d’au­to­ri­té des jus­ti­fi­ca­tifs sur leur état de san­té. Le héros, à bout de nerfs, hurle un jour à l’un des repré­sen­tants de la maré­chaus­sée sani­taire : « Je suis en règle. Voi­ci le ther­mo­mètre, les com­pri­més d’aspirine, les pas­tilles pour la toux. Ça, c’est la vita­mine C, l’antiseptique, les anti­bio­tiques. J’ai tout, vous ne pou­vez pas me col­ler une amende ».

Est-il encore ques­tion de science-fic­tion aujourd’hui ?

Un rassemblement de protestation organisé par la SFA-CGT est prévu le 26 mai à 14h devant la communauté de communes de la vallée de Munster. Son communiqué est disponible ici.

Cette ressource est accessible gratuitement pour une période de temps limitée. Pour nous permettre de continuer à vous proposer articles, documentaires, vidéos et podcasts, abonnez-vous à partir de 3 euros seulement !