Le Comité de rédaction en a débattu pour arriver à la conclusion que l’article ci-après avait sa place dans nos colonnes. Il est conforme à notre charte rédactionnelle dont un trait dominant est le respect de l’expression pluraliste et le refus de surfer sur le « politiquement correct ».
Les « Césars » et la polémique née autour de Roman Polanski n’ont pas leur place dans L’Alterpresse68 simplement parce que les deux protagonistes du film « J’accuse » sont alsaciens, Alfred Dreyfus (mulhousien) et Marie-Georges Picquart, (strasbourgeois).
Mais parce que la polémique qui a suivi la remise du César de la meilleure réalisation au film de Roman Polanski a pris une dimension dans laquelle on a du mal à se retrouver, tellement les clivages semblent inconciliables et insurmontables.
Nous pensons que la forme qu’a prise ce débat est révélatrice de l’état actuel de notre société : une forme d’intolérance s’abat dans notre débat public. Est-il possible de prendre un peu de hauteur, d’alerter sur les enjeux de débats de ce type, de leur inanité sur certains points, de leur totale inefficacité au service d’une cause ?
Est-il possible de dire que des « tribunaux médiatiques » qui condamnent sans vraiment savoir, sont la première marche d’un totalitarisme en construction ? Est-il enfin possible d’écrire qu’une société sans droit est immanquablement en voie de perdition…
Ce texte va sûrement susciter des réactions diverses. Mais admettons que dans les colonnes d’un journal libre et indépendant, ces propos relèvent d’une opinion qui doit être exprimée…
La charge de la brigade (pas) légère
Coup de sang dans le microcosme du cinéma français. Une actrice ayant accusé un réalisateur français d’agression et de harcèlement sexuel sur le plateau de Médiapart, décide de quitter bruyamment la cérémonie des César, aux cris de « bravo la pédophilie » et « c’est une honte », au motif que le trophée de la meilleure réalisation est confié à Polanski, pour le film « J’accuse ».
La mémoire du capitaine Alfred Dreyfus, Mulhousien de naissance, passait ainsi par pertes et profits, en devenant le point nodal d’une guerre de tranchées, dont on ne sait pas vraiment si l’enjeu procède d’une logique de clan ou de genre.
Polanski a été condamné aux États-Unis pour abus sexuel sur mineur de 13 ans, voici 43 ans, et fait l’objet d’accusations d’autres femmes, démenties par l’intéressé, dans un contexte juridique de prescription.
Pour autant, une récente campagne d’opinion féministe voudrait prononcer un bannissement à vie du cinéaste, au motif de l’instauration d’une présomption morale de culpabilité, en laissant croire qu’il n’a pas été condamné en 1977, qu’il ne pourra jamais être réhabilité s’il l’a été, et en s’exprimant en lieu et place de sa victime, dont les déclarations sont pourtant diamétralement opposées à ces options.
La cause, on ne peut plus légitime, de la dénonciation des violences faites aux femmes, charrie avec elle une confusion d’une morbidité telle qu’elle menace toute initiative unitaire sur l’essentiel des combats sociaux à mener, et conduit trop souvent à réagir par voie d’oukase catégoriel, ou pulsion épidermique.
Rien à déclarer (de cohérent)
Il faut dire que même les personnalités les mieux disposées à la critique articulée, vertus raréfiées par les temps qui courent, se laissent entrainer dans un brouillard dialectique qui ne semble pas prêt de se dissiper.
En témoigne les quelques exemples de réactions byzantines de la part de personnalités publiques, visiblement embarrassées, et plus soucieuses de leur image que du respect à géométrie très variable des faits et garanties démocratiques :
Au micro de France Inter le 3 mars, Leïla Slimani, écrivaine subtile, n’aura de cesse de faire l’éloge de la mesure. Elle dira avoir quitté elle aussi la cérémonie des Césars à la récompense de Polanski. « Une société est malade quand la justice n’est pas rendue », affirme-t-elle, alors que Polanski a été condamné, et n’a fait l’objet d’aucune autre poursuite. Questionnée alors sur la pertinence de dissocier encore artiste et œuvre, elle répondra par l’affirmative, croyant fondamentalement en « l’autonomie de l’œuvre », laquelle échapperait même à son créateur… Supposer l’autonomie totale de l’œuvre sur le créateur, aurait-il rendu l’hypothèse d’un César du meilleur film pour « J’accuse », moins polémique et plus supportable à son gout ?
Franck Riester, ministre de la Culture, déclare quant à lui : « une oeuvre, si grande soit-elle, n’excuse pas les éventuelles fautes de son auteur ». Mais qui donc cherche à « excuser » le viol de la victime de Polanski ? Le public, en allant voir le film ? Le jury d’une académie dont le film est en compétition ?
Mélenchon franchit lui aussi le mur de la confusion et de l’embarras, dans sa revue de presse de la semaine, sur YouTube. Il trouve les réactions à cette affaire « très mal dosées ». Il n’en condamne pas le film (dont la qualité resterait selon lui à prouver) mais la personne de Polanski. Et puis non, c’est le fait qu’il soit récompensé qu’il condamne. On peut certes distinguer l’artiste de la création, mais pas au point de sous-estimer le crime. L’argument est donc identique à celui de Riester. Qui donc sous-estime le crime ? Pas de réponse. Le parallèle est fait avec Céline, dont nous condamnons tous l’antisémitisme. « On n’a pas l’intention de le féliciter pour cela ! ». CQFD.
Pour l’homme politique, le « contresens serait d’attribuer à l’auteur les mérites de l’œuvre » ! Ah ? Est-ce au spectateur alors ? Puis vient la comparaison que Polanski aurait faite (avant de la démentir partiellement) entre sa personne et celle de Dreyfus, seul argument réellement probant de Mélenchon.
Il assène alors : « Polanski a été mis en cause par suffisamment de personnes pour que l’on s’interroge sur l’opportunité de lui céder un prix ». En toute logique symétrique, il y a eu suffisamment d’auditions, de perquisitions en masse chez les cadres de La France insoumise pour s’interroger sur l’opportunité de faire confiance à ce mouvement ? Application stricte de la présomption de culpabilité, donc ? En se répétant, il dit en appeler au discernement. « Rien ne pardonne un crime ». Les seuls à pouvoir le faire étant les victimes, et non le public. Certes.
Mais le public serait-il coupable d’avoir visionné une œuvre, et ce faisant, d’avoir cautionné un crime ? Samanta Geimer, seule victime reconnue de Polanski a quant à elle pardonné depuis de longues années, et conchie le rôle de victime auquel on voudrait l’assigner, quand bien même les féministes continuent à témoigner d’elle sans même l’entendre. Mélenchon en est-il seulement informé ?
Il confie enfin son désir de partager son sentiment, car l’on pourrait, « avec de très bonnes intentions, dire de très grosses bêtises » … Voilà au moins un risque qui ne sera pas le sien, après un monologue pétri de contradictions, en à peine 3 minutes de vidéo.
De l’autre côté de la tranchée, quelques femmes ont des positions hétérodoxes :
Nadine Trintignant (mère de Marie Trintignant, assassinée par le chanteur Bertrand Cantat) veut qu’on « fiche la paix » à Roman Polanski.
D’autres voix discordantes se sont faites entendre, comme celle de l’actrice Fanny Ardant qui considère qu’elle aime trop Polanski pour le condamner, raison suffisante pour la voir traitée de « sale pute » et de « merde », dans les colonnes du tribunal Twitter.
Les cinéastes Claire Denis et Emmanuelle Bercot, chargé de remettre le trophée de la meilleure réalisation, ont trouvé normal, et par ailleurs ridicule le fait de dénigrer Polanski tout le long de la cérémonie.
La confusion passionnelle gagnant un cran supplémentaire lors de la soirée quand, prise à partie par des manifestantes au sortir du théâtre, aux cris de « traitresse », parce qu’elle avait applaudi au prix de Roman Polanski, et accusée (toujours sur Twitter) de soutenir les violeurs et le viol, la journaliste Isabelle Morini-Bosc révélait avoir été elle-même victime de viols.
Des réaction épidermiques qui font écho à la déclaration d’Adèle Haenel, et du collectif NousToutes, lesquelles estimaient qu’en récompensant Roman Polanski, l’Académie des César avait « littéralement craché au visage des victimes de violences pédocriminelles, au visage des victimes de violences sexuelles, et, plus largement, au visage de millions de femmes de ce pays ».
Mais la plus cinglante et profitable prise de position féministe émane de 114 avocates pénalistes, dont la tribune a été publiée dans « Le Monde » du 8 mars. Reproduction disponible ici.
Les mots de ces femmes juristes y sont redoutablement ciselés. Elles y évoquent en effet un « désolant spectacle de la surenchère oratoire, et la déraison dont elle témoigne, [qui] ne peuvent conduire qu’au discrédit de justes causes ».
Ou encore : « On se pique d’avoir à le rappeler, mais aucune accusation n’est jamais la preuve de rien : il suffirait sinon d’asséner sa seule vérité pour prouver et condamner. Il ne s’agit pas tant de croire ou de ne pas croire une plaignante que de s’astreindre à refuser toute force probatoire à la seule accusation : présumer de la bonne foi de toute femme se déclarant victime de violences sexuelles reviendrait à sacraliser arbitrairement sa parole, en aucun cas à la « libérer ».
Poursuivant : « Roman Polanski a fait l’objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte judiciaire qui n’a donné lieu à aucune poursuite : il n’est donc pas coupable de ce qui lui est reproché depuis l’affaire Samantha Geimer. Quant à cette dernière, seule victime judiciairement reconnue, elle a appelé à maintes reprises que l’on cesse d’instrumentaliser son histoire, jusqu’à affirmer : « Lorsque vous refusez qu’une victime pardonne et tourne la page pour satisfaire un besoin égoïste de haine et de punition, vous ne faites que la blesser plus profondément. »
Et encore : « Il est urgent de cesser de considérer la prescription et le respect de la présomption d’innocence comme des instruments d’impunité : en réalité, ils constituent les seuls remparts efficaces contre un arbitraire dont chacun peut, en ces temps délétères, être à tout moment la victime ».
Centrifugeuse à invectives
À défaut d’un idéal fédérateur, l’époque semble devenue hermétique à la nuance, ou même au débat serein. Des personnes jouissent d’opinions définitives en méconnaissant les garanties judiciaires minimales à préserver dans un cadre démocratique.
Que ce soit au nom de la condition faite aux femmes, comme de tout autre sujet sociétal, c’est plutôt l’anathème à moteur catégoriel, l’invective à vocation prescriptrice et le manichéisme sélectif qui prévalent, dans une forme d’exacerbation passionnelle et mortifère des rapports sociaux.
Et les dispensateurs d’opinions, tartineurs de moraline, qu’ils soient pères la morale, ou mères la vertu, passent pour les missionnaires du moment, avec Twitter pour principal bréviaire.
L’atmosphère de délation et de suspicion généralisée à l’encontre de tout un chacun, puissants ou misérables, semble vivre de sa vie propre, sans relais politique assez puissant pour tenter de la raisonner ou de la réfréner.
Quant aux autorités, elles sont largement déconsidérées : la police est jugée incapable de recevoir et d’écouter la parole des femmes. La justice raisonne quant à elle sur la production et la recevabilité d’éléments de preuve, et non sur le principe de la libération de la parole, aussi accusatrice soit-elle.
La même institution judiciaire est également décriée, tant pour sa lenteur, que pour sa partialité supposée à l’endroit des femmes, raison pour laquelle des femmes présumées victimes (dont Adèle Haenel) avouent ne pas lui faire confiance, quand bien même 80% des magistrats sont aujourd’hui des magistrates (soit + 230% en 30 ans).
De sorte qu’il reviendrait à une inquisition morale numérique clanique et auto-instituée, de venir pallier ces déficiences, à coup de sentences aussi arbitraires que définitives.
Une gueule d’atmosphère détestable
Que les femmes accusent et fassent tomber leurs violeurs, leurs tortionnaires, leurs bourreaux. Qu’ils soient domestiques ou professionnels. Qu’elles n’hésitent pas à révéler les turpitudes dont elles sont l’objet dans la rue, ou au travail, par voie de justice, et qu’elles mènent à bien ce noble combat pour l’égalité et l’émancipation réelle, avec ou sans le concours des hommes, cela est salutaire, juste et nécessaire.
Mais dans le cadre d’un état de droit, pour peu que l’on s’accorde encore sur cette notion, ce n’est pas parce que l’on nomme un agresseur que l’on désigne un coupable. N’oublions pas cela, car nous pourrions toutes et tous, être confrontés à pareille situation d’injustice manifeste.
Un principe de réhabilitation pas très cinégénique
Oui, les prisons recèlent d’hommes violents condamnés par la société, violeurs ou manipulateurs à l’endroit de leurs amies, compagnes ou épouses. Et il s’agit bien de les priver de la liberté qu’ils avaient d’exercer leurs méfaits, au grand bénéfice de cette société, et notamment des femmes violentées.
Mais tous, hormis quelques psychopathes irrécupérables, ont vocation à réintégrer la société, une fois la peine purgée, car la prison n’est pas un cachot, et une condamnation pénale n’est pas une lettre de cachet.
Au-dehors, les profils plus dangereux, comme les pédophiles, se verront interdire l’accès à des métiers en rapport avec l’enfance. Certains quitteront la détention munis d’une obligation de soin, d’autres sous surveillance régulière, par exemple d’éloignement de leur ex-conjointe. Et les plus nombreux, sans contrôle particulier. Beaucoup retourneront à leurs métiers d’origine, quand les autres auront à réapprendre la vie en société.
Un réapprentissage d’autant plus nécessaire qu’après avoir purgé sa peine, l’ex-détenu, peut et doit être réhabilité, précisément parce qu’il n’est plus un réprouvé, et peut bénéficier par ailleurs du droit à l’oubli, comme pour chacun de nous. C’est même à cela que devraient servir les lieux de détention : définir l’après le mieux possible, ou se préparer à la récidive…
La vie étant un flux dynamique : les gens changent avec le temps, et la prison change les gens. Aussi détestables ont-ils pu être une partie de leur vie, leur passif devient souvent la matière première de leurs propres tourments. Il faudrait qu’il soit aussi le moteur d’un nouveau départ.
Détails de l’affaire Polanski sur Wikipédia
L’article de Wikipédia relatif à l’affaire judiciaire Polanski ne justifie ni ne relativise en rien le crime pour lequel le cinéaste été condamné, mais permet d’ajouter une donnée essentielle à son cas, comme à celui de Ruggia, accusé par Adèle Haenel, et sans doute à ceux d’autres affaires comparables : un contexte, qui permet de mieux l’appréhender. Et notamment ici d’y lire les déclarations de la victime, Samantha Geimer.
L’intérêt est d’apprécier personnellement ledit contexte particulier, à la manière du juge, au regard du délit ou du crime particulier, afin de déterminer les circonstances qui l’aggraverait, ou au contraire l’atténuerait.
Décalage spatio-temporel
Il y a aussi un travers caractéristique de notre temps, qui relève de ce que certains appellent « le jugement rétrospectif ». Et qui voudrait que tout un chacun puisse juger objectivement d’un fait distant, en chaussant nos lunettes contemporaines, et en partant de notre propre système de valeurs, alors qu’il est situé à plusieurs dizaines d’années de distance, ou plus encore.
Pour s’en tenir à l’affaire Polanski, Samantha Geimer, la victime du viol, posait ainsi en 1977 très innocemment dans des poses suggestives, à moitié dénudée, dans le cadre d’une campagne de photographie commandée par le magazine grand public Vogue-Homme au cinéaste. Quel parent admettrait que sa fille de 13 ans posât de la sorte aujourd’hui ? Quel magazine se permettrait d’ailleurs de le proposer ?
Des femmes se font connaitre aujourd’hui en tant que victimes du cinéaste. Quelques témoignages apparaissent sujets à caution (voir article de Wikipédia sur l’affaire). Et la quasi-totalité des 8 cas est prescrite.
Pour autant, la véritable question, ou sujet, ne devrait pas être de savoir si oui ou non, nous aurions à croire en la véracité des témoignages de ces femmes (sauf à considérer qu’un témoignage tient lieu de vérité objective), mais plutôt pourquoi les crimes sexuels ne sont-ils pas simplement imprescriptibles ? Pourquoi ne pas interpeller le législateur à ce sujet, afin de l’inscrire dans la loi ?
À défaut de cela, la fuite en avant accusatrice d’une frange du mouvement féministe n’aboutira à rien, sinon à installer la défiance et un contrôle social tyrannique dans les échanges entre femmes et hommes.
Virginie Despentes : procureure caricaturalement à charge
Et ce n’est pas le concours de postures radical-chics inauguré par Virginie Despentes, dans un texte publié par Libération, et intitulé : « Césars, désormais on se lève et on se barre » qui changera quoi que ce soit à la situation.
Le texte est une diatribe raffinée à la truelle contre les « dominants » à la tête de l’institution cinématographique, à valoir en défense de la cause des femmes. Une institution dont le premier collège électoral est, rappelons-le, constitué par les techniciens du cinéma. Pas exactement les cadors de la profession avec chapeau haut de forme et gros cigare à la bouche.
Tout le propos du texte tourne autour d’une variation sur l’impunité des puissants, dont Polanski est censé être le parangon. La preuve ? On lui a financé son film à hauteur de 25 millions, soit 14 fois plus que « Les misérables », film de son ami Ladj Jy, récipiendaire quant à lui du César du meilleur film. Un réalisateur à propos duquel elle fait étrangement l’impasse, car mieux vaut ne pas revenir sur sa condamnation à plusieurs années de prison en 2011 pour violences (notamment sur sa sœur, qui a subi un traumatisme crânien) et séquestration (sur l’amant de sa sœur, 10 jours d’ITT).
Pour autant, pas d’esclandres ou de condamnations morales entendues ce soir-là à son sujet. Bien au contraire, le réalisateur a été célébré, ainsi que toute l’équipe du film, qui contrairement à celle de « J’accuse », était présente au grand complet. Une preuve de réhabilitation réussie, donc.
Ambassadrice des soutiers du spectacle, Despentes évoquera également le sort fait à « l’humoriste » Foresti, présentatrice de la soirée, présentée comme une victime qui « a pris le risque de se mettre la profession à dos » en refusant d’achever sa présentation (puisque furieuse de la récompense de Polanski), après avoir copieusement ridiculisé le cinéaste, mais fut toutefois bénéficiaire de quelque 100 000 euros de cachet pour la soirée (selon des sources sujettes à caution toutefois, Foresti ayant récemment déclaré qu’il ne s’agissait que de 18500 euros).
Une somme qui, si elle était avérée, doit bien constituer 10 années de salaire d’une smicarde en une seule soirée.
Indignation VS imputation
Il y a toutefois une dimension importante que beaucoup sous-estiment et comprennent mal. Despentes la définit dans son texte comme la nécessité d’une « narration », contre laquelle les dominants s’opposeraient. C’est là une donnée essentielle pour tenter de comprendre les motivations sous-jacentes du mouvement actuel.
Certes, la part des féminicides est aujourd’hui mieux documentée et actualisée en France, au point de commencer à constituer une dimension reconnue du traitement judiciaire des violences masculines contre les femmes.
Mais le besoin de « narration » exprimé par Despentes, semble relever davantage d’un besoin féminin et collectif de décrire les divers états de la violence masculine, lesquels ne recoupent pas nécessairement la caractérisation d’un fait criminel, mais témoigne d’une puissante indignation collective à l’encontre de ces violences, et de leur impunité éventuelle.
Le fait est que l’indignation peut se confondre avec l’imputation. Or, comme le soulignent les 114 avocates féministes dans leur tribune, le risque est que : « présumer de la bonne foi de toute femme se déclarant victime de violences sexuelles reviendrait à sacraliser arbitrairement sa parole, en aucun cas à la « libérer ».
De ce fait, la cause des violences faites aux femmes relève nécessairement de la raison politique (législation sur la prescription des crimes sexuels, mesures d’éloignement de l’ex-conjoint violent, établissement d’une égalité salariale stricte inscrite dans la loi, etc.) et du respect de la présomption d’innocence, à l’encontre d’un quelconque magistère moral prescriptif de bannissements ou d’exclusions, comme il est de mise actuellement.
Sans le respect de ces deux conditions, il n’y aura de place que pour les violences verbales, les calomnies, les aigreurs, les frustrations, le mal-être, et assurément le lynchage. Toutes caractéristiques qui marqueront l’échec politique d’un fier et juste mouvement d’émancipation social.
A lire également sur le site du Monde (réservé aux abonnés ou à lire dans l’édition papier du 11 mars) : Claire Denis : « Je ne pense pas que quiconque ait voulu cracher au visage des victimes ni d’Adèle Haenel »
Pas entendu beaucoup d’appels au boycott des films où a trempé (humour détestable) Harvey Weinstein, pourtant récemment condamné pour des faits multiples.
Quant à acheter une Renault ou une Nissan…
Excellent article dans l’ensemble, mais est-ce bien opportun d’y rappeler le cachet, vrai ou faux, de Foresti? N’est-ce pas agiter le verre d’eau et (pour?) oublier la tempête dehors?
Juste un rappel sur le sens et le poids des mots. Quand il est écrit, je cite : « ..Marie Trintignant, assassinée par le chanteur Bertrand Cantat… » l’auteur (en l’occurrence collectif si j’ai bien lu le préambule) commet une faute lourde de sens car un assassinat est un acte prémédité. Ce que n’était pas le geste (absolument impardonnable et condamnable à juste titre) de Bertand Cantat ayant entraîné la mort de Marie Trintignant. C’était, juridiquement parlant, un homicide involontaire.
Cela prouve bien à quel point juger, condamner, acquitter, laver de tout soupçon, reste un exercice difficile dont personne ne sort jamais indemne. Ni l’accusé, ni l’accusateur.
Soit, pour la qualification juridique. Vous reconnaissez toutefois qu’il y a eu homicide. Marie Trintignant est morte sous les coups de son compagnon. Elle rejoint donc la cohorte de toutes ces femmes victimes quotidiennement de la violence masculine, que dénoncent précisément les mouvements féministes.
Je sais bien qu’il est insupportable de se voir pris en défaut, cela m’arrive aussi, mais pourquoi, dans ce cas devez-vous aller chercher une formule comme « Vous reconnaissez qu’il y a eu homicide » pour tenter d’échapper à la critique et de contourner l’obstacle? Laquelle critique, en l’occurrence, ne portait pas sur le sujet en lui-même. Vous répondre quelque chose comme « Bien sûr que je reconnais la gravité de l’acte de Cantat !! » m’apparaît comme une redondance puisque je l’avais déjà écrit !! Mon propos initial ne portait que sur l’utilisation impropre d’un terme (assassiner) pour qualifier le geste de Cantat dont fut victime sa compagne Marie Trintignant.