«Un mal qui répand la terreur

Mal que le Ciel en sa fureur

Inven­ta pour punir les crimes de la terre, 

La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)

Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,

Fai­sait aux ani­maux la guerre.

Ils ne mou­raient pas tous, mais tous étaient frap­pés »…ain­si débute la fable de Mon­sieur Jean de la Fon­taine, publiée en 1678 et bien connue des éco­liers français.

En 2020 la Peste de la fable est rem­pla­cée par un virus, Covid19, extra­or­di­nai­re­ment conta­gieux, qui menace d’im­plo­sion mon­diale socié­tés et pays qui désor­mais se bar­ri­cadent, se recro­que­villent, tentent de pré­ve­nir la conta­gion, de gué­rir leurs popu­la­tions, de pré­ser­ver une acti­vi­té économique.

S’il ne s’agit pas ici d’invoquer un Ciel qui puni­rait l’hu­ma­ni­té de ses crimes, rap­pe­lons plus ration­nel­le­ment que l’impact du fléau est ampli­fié en France par 15 années de déman­tè­le­ment pro­gres­sif du ser­vice public hos­pi­ta­lier, mal­gré les alertes lan­cées dès le mois de mai 2019 sur l’impossibilité de faire face en cas d’épidémie, mal­gré la demande d’un plan d’urgence pour l’hôpital public dès le mois d’octobre, mal­gré la grève depuis un an exac­te­ment des soi­gnants du Col­lec­tif inter-urgences.

Rap­pe­lons aus­si le défi­cit criant de maté­riel de pro­tec­tion élé­men­taire, les mul­tiples  pro­messes minis­té­rielles non tenues (Madame Agnès Buzyn, ex-ministre de la San­té, ayant même com­men­cé dans l’exercice de ses anciennes fonc­tions par nier l’utilité des masques pro­tec­teurs, voire le carac­tère indis­pen­sable des lunettes, sur­blouses, gants, pour les acteurs de la chaîne sani­taire impli­qués dans le trai­te­ment, la pré­ven­tion : phar­ma­ciens, per­son­nels hos­pi­ta­liers, per­son­nels soi­gnants ou non au contact de malades ou de per­sonnes à risque dans les  éta­blis­se­ments médi­co­so­ciaux, ou accom­pa­gnés à domicile…).

Il faut répé­ter quand même que dans la lutte enga­gée contre ce « Mal que le Ciel en sa fureur… »,  la recherche fon­da­men­tale fut stop­pée il y a quelques années après l’épidémie de SRAS par la sup­pres­sion de bud­gets aux équipes qui  tra­vaillaient sur ce type de coro­na­vi­rus dont la struc­ture serait très com­pa­rable à celle du virus res­pon­sable de la pan­dé­mie en cours.

Même si la grippe dans notre pays a affec­té cette année près de 600 000 per­sonnes et pro­vo­qué plus de 2500 décès, une déstruc­tu­ra­tion éco­no­mique et sociale d’une toute autre ampleur menace désormais.

Que le phé­no­mène soit mon­dial, que les chaînes d’in­ter­dé­pen­dances inter­na­tio­nales de tous ordres se soient géné­ra­li­sées, que nombre de Pays n’aient pas mené des poli­tiques plus pré­voyantes ni pris à cette heure des mesures plus effi­caces, ne change rien au constat d’impréparation et de grave carence d’une poli­tique natio­nale déli­bé­ré­ment oublieuse de la notion même de ser­vices publics, en par­ti­cu­lier dans le domaine de la santé.

Mais notre fabu­liste poursuit :

«Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis

Je crois que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune : 

Que le plus cou­pable de nous

Se sacri­fie aux traits du céleste courroux,

Peut – être il obtien­dra la gué­ri­son commune.

L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents

On fait de pareils dévouements »…

On connaît la suite : confes­sion du roi Lion, roi des ani­maux, grand ama­teur de mou­tons, voire de ber­gers, aus­si­tôt excu­sé par le Renard, flat­teur de ser­vice (« Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi… Vos scru­pules font voir trop de déli­ca­tesse… Vous leur fîtes Sei­gneur, en les cro­quant, beau­coup d’honneur… »), puis  audi­tion et abso­lu­tion immé­diate des ani­maux puis­sants tel Loup, Tigre, Ours, simples mâtins, avant que l’âne n’avoue son crime :

« ….J’ai souvenance

Qu’en un pré de Moines passant,

La faim, l’occasion, l’herbe tendre,et , je pense

Quelque diable aus­si me poussant,

Je ton­dis de ce pré la lar­geur de ma langue. »

Et pour l’âne de la fable ce fut la mort : 

« Rien que la mort n’é­tait capable

D’ex­pier son for­fait : on le lui fit bien voir. »

Notre Lion à nous, le Pré­sident de notre Répu­blique, vient de décla­rer 6 fois dans son allo­cu­tion récente et solen­nelle que « nous sommes en guerre », sur le ton mar­tial qu’il affec­tionne tant.

Objec­tif sani­taire bien sûr, néces­si­té de pré­ve­nir la conta­gion certes, mais aus­si objec­tif de main­te­nir une union natio­nale qui se délite, de ser­rer les rangs der­rière lui, de s’af­fir­mer en chef  de guerre donc. 

Mais nous ne sommes pas en guerre et Madame la Chan­ce­lière d’Al­le­magne a tenu des pro­pos  d’une autre qua­li­té en appe­lant plu­tôt à la res­pon­sa­bi­li­té de ses conci­toyens et à leur sens de la soli­da­ri­té pour prendre le même type de mesures.

Les retards, l’im­pé­ri­tie et les hési­ta­tions depuis des semaines de ce gou­ver­ne­ment ne se rat­tra­pe­ront pas en mani­pu­lant les mots : la pan­dé­mie se com­bat par des recherches d’an­ti – viraux, d’un vac­cin, par des moyens appro­priés pour pro­té­ger le per­son­nel médi­cal, du maté­riel, plu­tôt que par des décla­ra­tions mar­tiales qui vident à effa­cer des années d’er­reurs dans le domaine de la san­té publique. 

Elle se com­bat aus­si par une soli­da­ri­té réaf­fir­mée, des soins à tous, pré­caires et popu­la­tions défa­vo­ri­sées, SDF et étran­gers  migrants pré­sents sur notre sol inclus, qui doivent être pris en compte et soi­gnés, comme doivent l’être les iso­lés, les plus âgés – déjà poin­tés comme excé­den­taires pour cause de satu­ra­tion de dis­po­si­tifs de soins. Méde­cine de guerre oblige?

Deux mois après les pre­mières conta­mi­na­tions il y a encore pénu­rie de masques de pro­tec­tion pour des soi­gnants dans une des éco­no­mies par­mi les plus impor­tantes du monde ! Il n’y a pas de soli­da­ri­té euro­péenne affir­mée! L’A­frique attend le grand choc de la pan­dé­mie, lar­ge­ment dému­nie et oubliée…

Mais le « pro­jet de loi d’ur­gence pour faire face à l’é­pi­dé­mie de Covid19 »  n’ou­blie certes pas dans son titre 3 consa­cré à « l’ur­gence sani­taire » de pré­voir encore une série de dis­po­si­tions res­tric­tives de liber­tés publiques – liber­té de cir­cu­la­tion, liber­té de réunion, liber­té d’en­tre­prendre, réqui­si­tions de biens et ser­vice, pou­voirs admi­nis­tra­tifs –  à ajou­ter aux dizaines de lois prises dans les années récentes pour res­treindre nos liber­tés de citoyens res­pon­sables ; Chas­sez le naturel…il revient au galop.

Des sanc­tions contre le Lion de la fable ? Non, écrit le fabuliste:

« Selon que vous serez puis­sant ou misérable

Les juge­ments de cour vous ren­dront blanc ou noir. »

Qu’en sera-t-il demain des juge­ments des peuples, de notre peuple, à l’é­gard des puissants?

Jean de la Fon­taine et C.R