DJ Michèle, sans barrière sanitaire

Tantôt placé sous les auspices de la « solennité » et du « sursaut citoyen », souligné par Jean Rottner (premier-adjoint), les retrouvailles du conseil municipal de Mulhouse se liquéfièrent progressivement sous le hoquètement et les « freeze » à répétition due à la médiocrité de l’infrastructure de vidéoconférence, siglée par le géant américain Cisco.

De sorte que l’on avait plutôt l’impression de suivre un échange de correspondants de l’OMS dispersés aux quatre coins du monde, ou une réunion secrète d’État-major entre les généraux fantoches d’une armée dissidente, tenue sur un plateau caucasien.  

Cela alors que la quarantaine de conseillers se trouvait en leurs domiciles ou bureaux, situé à quelques centaines de mètres les uns des autres, sur le ban mulhousien.

La cheftaine se tenait bien en évidence devant des panneaux portant les couleurs du groupement des conjurés: Michèle Lutz, ci-devant mairesse de Mulhouse, portait un casque en arceau façon DJ. Distribuant la parole à chacun avec le même air de componction qui lui sied habituellement. Acquiesçant aux propos de sa majorité, multipliant les remerciements aux uns et aux autres, lisant d’un air détaché ce qui lui était rédigé, entre une tripotée de lieux communs lancées à l’improvisade entre chaque intervention.

Le pire étant les messages de prévention répétés, et destinés à on ne sait qui, parmi lesquels la formulation « nous ne retrouverons pas la vie d’avant » fut sans doute le gimmick le plus insupportable.

Non, en effet, nous ne la retrouverons pas Mme Lutz. Il est même probable que nous ne trouvions que celle d’après. Comme ont dû s’y résoudre les rescapés de la grande peste de 1347, pour reprendre la récente analogie de votre comparse en énormités, le distingué professeur Salomon (celui qui égrène chaque soir les morts au journal de 20h) devant les parlementaires.

Il est cependant assez probable que les survivants des grippes les plus redoutablement mortifères des 20ème et 21ème siècles (grippe espagnole de 1918-1919, grippe asiatique de 1957, grippe de Hong-Kong de 1968-1970, SRAS-COV-1 de 2003, grippe H1N1 de 2009 et MERS-COV de 2012, outre les épizooties etc.) ont, eux aussi, trouvé quelque chose comme une vie d’après, par après.

Régression calinothérapeutique

La séance du conseil municipal tourna donc à la session de câlinothérapie, malaxant une guimauve d’hypocrisies en tous genres, qui laissent évidemment présager de prochaines et singulières configurations politiques (voire rabibochages), devant la perspective de nouvelles élections municipales, en septembre prochain.

Les imprécations à l’unité autour de l’équipe en charge, et quelques appels mielleux de la part de supposés opposantes et opposants, ont quoi qu’il en soit été reçus cinq sur cinq par Jean Rottner et Michèle Lutz.

Un Jean Rottner qui se borna à distribuer les bons points sociaux, en usant d’une langue aussi boisée que possible. Remerciant tant et plus, jusqu’à un absurde révélateur. Ainsi, le premier-adjoint au maire de Mulhouse, qu’il est, remercia la maire de Mulhouse, pour avoir été présente et pris soin de gérer la situation tout le long de la crise !

Il salue par ailleurs Fatima Jenn, opposante exclue de la majorité, dont le visage disparaissait progressivement derrière la feuille qu’elle s’appliquait à lire devant l’objectif de la caméra de son ordinateur, pour sa « tempérance » et « la hauteur de vue ». Car « un conseil municipal n’a pas besoin d’être une joute entre les uns et les autres ».

C’est bien vrai. D’ailleurs, le vieux sénateur Bockel grimace en des termes aussi farineux que son homologue : il remarque et salue également la « hauteur de l’enjeu et l’esprit constructif du conseil en ces temps dramatiques pour Mulhouse ».

Entre la « hauteur de vue » imposée par les circonstances, et les appels du pied à une Cléo Schweitzer très consensuelle, pour ses propos « emprunts de recul et de hauteur qu’il faut souligner », Rottner en profita pour « inviter » la maire à faire un état des lieux de la situation. Car, précise-t-il « La loi nous y oblige, vous y oblige Mme le Maire ». Une manière à peine subtile de se tenir en retrait, et jouer les simples conseilleurs de Lutz.

L’adjoint à la sécurité Paul Quin fut le seul dont la prestation était à remarquer. Il se glorifia de 40 000 contrôles effectués par la police municipale, à l’occasion du confinement, dont 2400 (soit 6%) donnèrent lieu à infractions par procès-verbal, puis quelques interpellations.

Un tableau de chasse impressionnant, qui l’obligea toutefois à reconnaitre que les habitant-e-s de la cité malfamée se comportèrent somme toute en gens responsables et adultes, comprenant fort bien les enjeux sanitaires !

Voilà donc le scoop tiré de ce conseil municipal. Les bourgeois, qui s’y trouvent aux commandes, reconnaissent que les ouvriers et employés qui forment l’essentiel de la sociologie urbaine (plus des deux tiers de la population), sont doués d’autonomie et de facultés de compréhension.

De même qu’un couvre-feu imbécile ne se justifiait par rien d’autre qu’un autre préjugé bourgeois, ainsi qu’il est de mise dans les quartiers pauvres d’autres villes métropolitaines.

La pétroleuse sort la mitraille

De ce fait, c’est l’une de ces pétroleuses mulhousiennes qui prit soin de rompre une unité de pure façade. Nasira Guehama, ancienne colistière de Rottner, aujourd’hui membre de la liste Spinali, se délesta d’une colère froide qui semblait ne plus avoir de limites. Lutz tenta d’ailleurs de lui ravir la parole après une pause durant la diatribe de la conseillère municipale.

Dénonçant la « tiédeur du discours » de la maire, son incompétence, en dépit de la présence de son « conseiller personnel », elle cogne tous azimuts :

Sur l’hôpital: « Monsieur Rottner, quel est votre rôle au sein du conseil de surveillance, quelles sont vos missions dans ce conseil et les différentes commissions ? » « À quelle date avez-vous pris connaissance de la pénurie de matériel médical à l’hôpital de Mulhouse et en médecine de ville ? ».

Sur des obligations administratives: « Pourquoi les procès-verbaux du conseil de surveillance ne sont-ils pas communiqués librement ? Des citoyens mulhousiens et un média local [L’Alterpresse68] en ont fait la demande, dans un souci de transparence en matière de gestion des moyens publics de l’hôpital » « Pourquoi cette décision [de mise à disposition que nous avons obtenue] n’est-elle pas exécutée ? »

Sur les élections: « Pourquoi ne pas avoir émis un avis défavorable à la tenue des élections municipales ? »

Sur le couvre-feu: « Le couvre-feu, c’est rajouter un arsenal répressif qui freine notre liberté, décision électoraliste pour satisfaire la frange radicale de vos soutiens, qui, année après année, dénigre toute une partie de la population, qui aime se focaliser sur l’avenue Aristide Briand, centre du fief de la délinquance pour ces personnes-là. Pourquoi ne pas faire le choix de la confiance et de la pédagogie ? Pourquoi vouloir à nouveau construire des barrières à nos vies sur la base de faits isolés que je ne cautionne pas mais qui doivent nous faire réfléchir à des dimensions sociales et économiques. Une partie de la population mulhousienne souffre et ne trouve pas de quoi se nourrir et occuper ses enfants. C’est la pauvreté le premier facteur de ces écarts. ».

Sur l’école : « quel est le calendrier exact de réouverture des écoles ? Les professeurs des écoles qui exercent à Mulhouse sont dans l’expectative et l’appréhension la plus totale à ce sujet. Par ailleurs nous avons entendu que la mairie ne mettrait pas à disposition (les) moyens élémentaires de prophylaxie (solutions hydroalcooliques, masques). Est-ce vrai ? Par ailleurs, quelles sont les mesures et les modalités des désinfections des locaux scolaires proposées par les services de la ville ? »

La réponse du Vice-maire fut à « la hauteur du moment » : une ignorance superbement méprisante.

En revanche, Alain Couchot, “adjoint à la solidarité et à la lutte contre la pauvreté“, conseiller départemental, vice-président de M2A, et président du groupe majoritaire, s’est chargé de jouer les premiers couteaux, brin de morgue et paternalisme en musette. Évoquant le passif de l’élue au sein du groupe majoritaire, il la rappelle à ses turpitudes passées. “Tu as tout accepté pendant des années“, “tes propos ne sont pas à la hauteur de la situation“, complété d’un délicat “on sait tous pourquoi tu fais ça”

La suppliciante fut finalement réduite à une caricature de “Che Guevara”, provoquant les applaudissements de Henri Metzger, le délégué aux actions de santé publique. On vous l’a dit et répété: la “di-gni-té” (et l’absence de sens du ridicule), c’est sacré !

Solidairement ronflant

Mais le leitmotiv de ce conseil fut surtout de saluer la multiplicité des initiatives prises durant le confinement par les acteurs sociaux, économiques, et les habitants solidaires, à travers toute la ville.

Cela était d’autant plus nécessaire que le principe de libre coopération est le cœur battant de la cité. Pour peu que l’on sache l’observer sans déformer son histoire, et ses particularismes, au prisme du manichéisme.

Avant de prendre congé, Michèle Lutz dit « avoir rêvé avec son cabinet » sur ce que « les couturières solidaires » ont accompli en matière de fabrication de masques en tissus.

Si la déclaration d’amour reste un brin mystérieuse, le rêve fut précédé de l’annonce d’une consultation organisée sur internet et portant sur les mobilités à Mulhouse.

C’est un « franc succès », affirme-t-elle, en lisant imperturbablement son papier. En y regardant de près, ce « succès » est l’affaire de 192 participants, soit 0,18% de la population municipale…

Illustration supplémentaire, s’il en fallait, de ce que Mulhouse est tenue par une minorité hors sol, mue par des postures aussi creuses qu’hypocrites. Et ce n’est pas l’opportun discours de son exécutif sur les vertus de la solidarité, dont elle tente aujourd’hui de s’enduire, tel un baume apaisant, qui réussira à dissimuler sa nature profonde.

Au demeurant, Jean Rottner a prévenu: “Les 24 à 48 prochains mois vont être très durs”. Certes, et d’abord pour son équipage.