Dans son discours du 18 février prononcé à Bourtzwiller, quartier » de Mulhouse dit « sensible », le président de la République s’attaquait au « séparatisme islamiste », à la radicalisation de l’islam politique, aux influences étrangères dans certains quartiers de France, au recul de la République.
A Bourtzwiller, recensé dansla liste des 17 territoires de lutte contre la radicalisation, il énonçait déjà les thèmes de son discours fondateur contre « les séparatismes » repris et amplifiés le 2 octobre aux Mureaux, commune de la grande banlieue parisienne – où Manuel Valls avait déjà en son temps dénoncé « l’apartheid social, territorial et ethnique ».
Très loin de son discours de candidat en 2017 ou il vantait les mérites d’une « discrimination positive », Emmanuel Macron semble donc désormais oublier le nécessaire décloisonnement de notre société, l’adhésion de la population aux « fondamentaux que sont la République et la laïcité » par « l’éducation, la règle et la justice », pour reprendre les termes du maire des Mureaux, présent le 2 octobre… et il n’est pas nécessaire de rappeler le triste sort du rapport demandé à Jean – Louis Borloo sur les évolutions nécessaires des quartiers sensibles, plus riche en propositions constructives et plus marqué par les risques de séparation sociale des zones déshéritées qu’ à ceux d’un supposé séparatisme islamiste.
Gerald Darmanin, ministre de l’intérieur, dans la première présentation des chiffres de la délinquance qu’il s’est engagé à produire mensuellement a pointé trois priorités : « la lutte contre les trafics de stupéfiants, les violences conjugales, sexistes et sexuelles, ainsi que les séparatismes ».
Concernant le « séparatisme islamiste » le ministre a rappelé la fermeture de douze lieux de radicalisation et les 851 immigrés clandestins actuellement inscrits au fichier des signalements pour « la prévention de la radicalisation à caractère terroriste »
On reste perplexe devant ce choix des priorités dans la lutte contre la délinquance dont la liste des items est pourtant fort large, du grand banditisme aux cambriolages, de la fraude fiscale aux pollutions majeures,… et toute suspicion quand aux liens éventuels des 2 autres priorités avec certains paramètres supposés « musulmans » serait évidemment malvenue…
Le cap est donc fixé, les éléments de langage arrêtés, les choix électoralistes du futur candidat Macron bien définis. On devine quel électorat ils visent.
En l’attente du projet de loi contre les séparatismes qui devrait donc être présenté le 9 décembre il faut déjà pointer le risque et la gravité des dérives annoncées si nous voulons continuer à « faire Nation », pour reprendre une expression d’Emmanuel Macron.
Une lettre ouverte adressée au président de la République, celle de la Fédération nationale de la Libre Pensée (Ndlr :cf. article de l’Alterpresse) dénoncait récemment des remises en cause fondamentale des options républicaines : discours contre le « séparatisme » prononcé le 4 septembre au Panthéon par le président Macron à l’occasion de la commémoration de la proclamation de la République en 1870, oubliant délibérément les premières et secondes républiques, celles de l’abolition de l’esclavage, de l’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, mais glorifiant la troisième, coloniale et colonialiste, celle du « séparatisme » – déjà – des peuples d’Algérie, d’Indochine, de Madagascar, africains.
Par ailleurs et surtout le Conseil des musulmans d’Europe a fait part de son extrême inquiétude quant aux conséquences négatives prévisibles des mesures annoncées sur le quotidien des musulmans de France et affirmé que le terme « séparatisme » et la restriction de son usage à l’endroit des musulmans en particulier constituent une atteinte grave à leur dignité, une discrimination.
Il a également rappelé son soutien total aux efforts déployés dans la lutte contre l’extrémisme et la nécessité du respect des libertés fondamentales et du droit des citoyens au respect de la liberté de conscience et de religion.
Il a attiré l’attention sur un ressentiment qui ne serait pas favorable à la paix et à la cohésion sociale et n’être fondé que sur des données imaginées plus qu’objectives.
Dans une lettre ouverte au Président de la République le Collectif des mosquées et associations musulmanes de France (plus de soixante – dix signataires ont déjà décidé de se mobiliser et les signatures affluent) a exprimé pour sa part le rejet de ce discours d’exclusion.
Le collectif y rappelle notamment que les musulmans de France sont la cible des « pires stigmatisations et invectives » de la part de nombre de médias et de personnalités politiques, du recours fréquent à des moyens policiers volontairement disproportionnés avec contrôles inopinés dans les mosquées, les salles de prières, les écoles musulmanes et victimes d’un harcèlement lié au port du voile.
Mais le Collectif rappelle aussi que pendant la période de confinement causé par la pandémie du Codiv- 19 la communauté musulmane a fait bloc avec tous les corps d’Etat chargés de la lutte contre la propagation et le respect des protocoles sanitaires dans les lieux de culte et les associations.
Ainsi à Mulhouse nombre d’ actions caritatives menées à partir de la mosquée « An Nour » (une des plus grandes mosquées de France) durant la période du confinement général en direction des plus démunis, musulmans ou non, ont renforcé le partenariat avec le tissus associatif local dans la lutte contre la faim, la grande pauvreté, l’exclusion (*Ndlr : l’Alterpresse en avait rendu compte dans un article).
Pour reprendre le mot du politologue Olivier Roy la « liste à la Prévert » des « écarts » musulmans réels ou supposés que citent nombre de médias est longue : le blog Al – Kanz cite notamment les bars fermés pour « islamisme radical » – on se souviendra que l’islam proscrit vente et consommation d’alcool -, les certificats de virginité, les clubs de sport islamistes, les filles privées d’héritage – en fait c’est plutôt dans le judaïsme que la fille n’hérite pas – , les écoles supposées clandestines, etc., etc…
L’appel du Collectif rappelle que c’est plus par « un dialogue constructif, loin de toute suspicion », et non d’une « mise à l’index continue », sans injonctions, dénonciations, ni recours à des concepts flous comme « « islam politique » ou « séparatisme » que peuvent prospérer les valeurs fondatrices de notre société.
Déjà dans une annonce au Parisien le projet de création d’un contrat d’engagement et de signature d’une « Charte de la laïcité pour l’obtention de subventions publiques » complète l’offensive contre les choix religieux d’une partie de la société française. Notons que la ville de Montpellier a déjà annoncé l’élaboration de « sa » propre charte et d’autres suivront évidemment.
Oubliés donc les millions d’élèves de l’enseignement catholique, « séparés » mais largement financés sur fonds publics, sans signature envisagée de la dite « Charte ».
Il est vrai que Gérald Darmanin vient d’affirmer que les catholiques n’avaient rien à craindre de la loi à venir sur les séparatismes.
Il semble que la formation des imams soit une des clés du « dossier » pour Emmanuel Macron.
De la création d’un institut scientifique d’ « ‘islamologie » (?) à l’appui d’une introuvable instance représentative de l’islam de France – d’aucuns disent en France – aux prêches obligatoirement faits . en français, les musulmans seraient donc à contrôler, jusque dans les contenus de leurs discours religieux ?
Le latin utilisé par un autre culte ne semble pas poser tant de questions, ni les délires créationnistes et obscurantistes d’un autre.
En outre le risque de radicalisation ne saurait se limiter aux 300 imams envoyés par l’Algérie, le Maroc, et la Turquie en vertu d’accords officiels qui sont le plus souvent plus que mesurés, voire timides et s’auto censurant dans leurs prêches.
La structuration difficile de la représentation « nationale » du culte musulman par l’implication des acteurs religieux de terrain, au plus près souvent des réalités sociales de « quartiers » souvent « sensibles » ne serait – elle pas pourtant un axe de travail et une chance pour la République ?
Pour reprendre la référence mulhousienne c’est tout un réseau d’activités autour des associations et lieux de culte musulmans, notamment par le périscolaire, qui structure et prend en compte une jeunesse qui s’informe surtout par les réseaux sociaux et qui peut être sensible, effectivement, à des discours radicaux.
Lutter contre la ghettoïsation de quartiers pauvres, la drogue, l’insécurité, avec les risques de dérives graves induits – dont la radicalisation n’est évidemment pas le moindre -, ne passe pas par la stigmatisation systématique de l’islam et des musulmans mais peut – être d’abord par le respect de leur religion, de leur culture, souvent facteur structurant de quartiers en rupture de République.
Et que deviendra dans ce contexte de « séparatismes » dénoncés – lire le séparatisme musulman – la grande loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat qui garantit la liberté de conscience et l’exercice des cultes ?
Quid du Concordat applicable en Alsace – Moselle qui officialise des cultes – mais pas le culte musulman – par exception légale à cette loi fondatrice de 1905, et qui reste une exception à la laïcité à la française datant du Premier Empire, en maintenant le financement direct de cultes en Alsace et en Moselle aux frais (modestes) du contribuable national ? Séparatisme régional et religieux accepté donc.
Qu’en dira même le Conseil constitutionnel si cette loi sur les « séparatismes » à venir est aussi caricaturale qu’annoncée ? Le principe de neutralité de l’Etat, le respect de toutes les croyances, l’égalité des citoyens devant la loi sans distinction de religion, sont inscrits à l’article premier de la Constitution.
Ou même la Cour européenne des droits de l’Homme qui garantit la liberté d’expression et encadre les restrictions légales apportées par les Etats ?
Mais désormais et depuis l’assassinat sauvage d’un professeur à Conflans, l’ampleur des réactions légitimes, indignées, effrayées attestent qu’ un cap a été franchi dans notre société.
Il y eu un avant et il y aura un après. Le jeune fanatique se revendiquait « musulman ». Il n’a pas rendu service à cette religion dont l’immense majorité de ceux qui s’en réclament se joignent à la condamnation de cet assassinat.
La loi sur les séparatismes ne manquera pas également de s’inscrire dans le discours de la sacralisation de la liberté d’expression en France dont l’utilisation électoraliste et démagogique est à prévoir dans le cadre de cette stigmatisation de la sensibilité musulmane à des fins politiques programmées.
S’il n’est pas question de renoncer à notre liberté d’expression, ni même au droit au blasphème, peut- être n’est – il pas nécessaire de verser dans la provocation, intentionnelle ou non ?
En son temps, Jacques Chirac avait affirmé la nuance.
Etait-il vraiment indispensable dans le cours sur la liberté d’expression qui fut le dernier d’un enseignant de qualité de reprendre la caricature du prophète nu dans une posture particulière pour expliquer une valeur républicaine fondamentale ? Pédagogie tellement inadaptée que l’enseignant avait de lui-même pris la précaution de proposer à certains élèves (musulmans supposés donc) de ne pas regarder ces caricatures.
La dénonciation de la « charia » dans les quartiers dits par certains « conquis » est donc à la mode et les dérives gravissimes de fanatiques ne favorisent pas les valeurs de justice, de règles, d’éducation réaffirmées par le maire des Mureaux au nom d’une laïcité bien comprise.
Dans le contexte d’une société qui s’affole, d’une pandémie mondiale non maîtrisée, dans la tourmente sociale qui menace, dans l’incertitude géopolitique ambiante, il faut désormais faire très attention : le musulman « séparé » pourrait bien remplacer « le juif » d’hier ou « la sorcière » d’avant – hier.
L’évolution de ce projet de loi, d’un discours présidentiel à l’autre, avait déjà de quoi inquiéter ; désormais les précautions sont abolies et c’est une loi sur « la laïcité renforcée » qui est annoncée, loi qui encouragera de fait les amalgames entre islam politique et terrorisme – comme s’il n’y avait pas en France, d’expression politique d’autres religions -, exercice d’un culte et suspicion de terrorisme en puissance …tous prétextes utiles en outre pour écorner au passage nos lois protectrices des libertés publiques.
Exit donc la lutte réelle contre l’apartheid social et territorial, exit la déshérence culturelle, la responsabilité de gouvernements successifs. Oubliées les séquelles et cicatrices des aventures coloniales.
C’est que Monsieur Macron a une idée fixe: être réélu et c’est son droit.
Madame Le Pen ou Monsier Valls, et bien d’autres chaque heure qui passe, suffisaient pourtant amplement pour instrumentaliser et manipuler notre opinion publique.
Les concurrencera-t-il sur leur terrain ? Jusqu’où ?
La lutte contre le fanatisme religieux, tous les fanatismes, passe d’abord par le respect des valeurs républicaines, des libertés publiques, de la laïcité telle que définie par notre Constitution, par l’éducation, la règle et la justice si l’on reprend les termes du maire des Mureaux.
Le président de la Fondation de l’Islam de France vient de rappeler que les musulmans, citoyens français ordinaires, n’ont qu’un horizon : la France.
Il ne faudrait pas les convaincre du contraire et les pousser à un séparatisme, un vrai, gros de menaces pour la Nation, sa cohésion.
Il leur appartient aussi de se mobiliser pour que ce « diable » reste dans la boîte…