Une cen­taine de per­sonnes se sont retrou­vés en la salle poly­va­lente de Pul­ver­sheim, le 16 octobre 2020 à 19h, pour échan­ger autour de l’implantation pro­chaine de ce que l’on sup­pose être un entre­pôt de plus de 190 000 mètres car­rés au ser­vice du géant de la vente en ligne Amazon.

Outre des asso­cia­tions d’opposants et de citoyens rive­rains du futur éta­blis­se­ment, la soi­rée était ani­mée par Chris­tophe Tora­nel­li, maire de Pul­ver­sheim, hôte de l’assemblée, ain­si que ses homo­logues Jean Claude Mensch, maire de Unger­sheim, Jean-Paul Julien, maire de Boll­willer, et Loïc Miné­ry, vice-pré­sident de M2A à la cohé­sion sociale et à la poli­tique de la ville, et Conseiller muni­ci­pal à Mul­house. Pierre Salze, maire de Feld­kirch, était excusé.

Au milieu de la tri­bune, un absent de marque refuse obs­ti­né­ment de s’adresser à ses oppo­sants et conci­toyens, sou­cieux de com­prendre la cohé­rence de ce pro­jet : le maire d’Ensisheim, Michel Habig, ancien syn­di­ca­liste agri­cole, est le notable du pay­sage local, et un cumu­lard à l’esprit bourru.

Vice-pré­sident délé­gué du conseil dépar­te­men­tal du Haut-Rhin et conseiller dépar­te­men­tal du can­ton d’En­si­sheim, maire de la ville d’En­si­sheim, pré­sident de la Com­mu­nau­té de com­munes du Centre Haut-Rhin et pré­sident de la com­mis­sion locale d’in­for­ma­tion et de sur­veillance de la cen­trale nucléaire de Fes­sen­heim, l’homme est para­doxa­le­ment peu ver­sé au débat et moins encore à la contradiction.

La pro­vo­ca­tion lui sied bien mieux, du moins dans un pas­sé proche : il fut en effet condam­né en mai 2006 à 5000 euros d’a­mende et à six mois de pri­son avec sur­sis pour l’in­cen­die de 4 cara­vanes de clan­des­tins ins­tal­lées sur sa commune.

Tan­dis qu’il fai­sait ver­ser de l’es­sence sur les cara­vanes, et qu’il y met­tait per­son­nel­le­ment le feu, 4 de ses employés muni­ci­paux étaient pareille­ment incul­pés, puis relaxés, pour le fait qu’ils avaient agi sur ordre du maire…

Après une pré­sen­ta­tion des enjeux par le maire de Pul­ver­sheim, Jean-Claude Mensch, maire de Unger­sheim détaillait quelques chiffres édi­fiants : 190 000 m² de sur­face arti­fi­cia­li­sée, un volume qu’il qua­li­fie­ra de « surnaturel ».

Autant d’espaces qui captent le gaz car­bo­nique, à hau­teur de 10 tonnes par hec­tare de terre agricole.

« Il ne s’agit pas ou plus d’arrêter le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, car l’inertie est forte, notam­ment sur la ban­quise arc­tique, le per­ma­frost, etc. mais de limi­ter l’impact sur la bio­di­ver­si­té ».  

Pour lui cette construc­tion va dans le mau­vais sens. L’Alsace étant consi­dé­rée comme un ter­ri­toire de pas­sage, étant don­né que le géant amé­ri­cain vise l’Allemagne (son pre­mier mar­ché) et la Suisse. Pays dans les­quels il éprouve de grandes dif­fi­cul­tés à ouvrir de nou­veaux entre­pôts, comme on l’a vu dans l’un de nos pré­cé­dents articles.

Le « front du refus » est d’autant plus sou­hai­té par beau­coup que le temps presse, et manque déjà en vérité. 

En effet, si le feu vert envi­ron­ne­men­tal du pré­fet est encore atten­du, cela ne sus­pend pas les débuts de la construction.

Jean-Claude Mensch essaie de remo­bi­li­ser les troupes. Il évoque la situa­tion qui relève de la « ser­vi­li­té consen­tie au consu­mé­risme ». Et de « dic­ta­ture par­faite », en consi­dé­rant l’agenda de mul­ti­na­tio­nales comme Amazon.

La résis­tance pas­sant par l’usage de quelques outils fon­da­men­taux : le bul­le­tin de vote, les mobi­li­sa­tions paci­fiques, et nos habi­tudes de consom­ma­tion pour faire pen­cher la balance du côté du bien com­mun pour les habi­tants de la planète.

Pas sûr que cela suf­fise pour contrer le rou­leau com­pres­seur logis­tique de l’américain…

Jean-Paul Julien, maire de Boll­willer, se dit sur­tout inquiet par le nombre de véhi­cules (18 000 véhi­cules par jour actuel­le­ment) sus­cep­tibles de se mul­ti­plier encore à proximité.

Pré­ci­sant qu’il ne s’agit pas seule­ment d’empêcher Ama­zon mais de consom­mer autre­ment. Lui-même se disant « petit consom­ma­teur d’Amazon ». Le sort des ven­deurs du mar­ket­place (place de mar­ché), qu’il ne connais­sait pas, lui parait utile à expo­ser, car se sont autant de petits ven­deurs tri­bu­taires de la pla­te­forme, laquelle régit les condi­tions de cette place de marché. 

Il invite à prendre conscience de l’origine ou pro­ve­nance de ce que l’on achète. Et de trans­mettre le mes­sage aux jeunes générations.

Loïc Miné­ry, Vice-pré­sident de M2A et mili­tant Europe Éco­lo­gie, évoque l’absence de trans­pa­rence quant à l’identité de l’exploitant réel dans une zone d’activité d’intérêt départemental.

Il rap­pelle le vote de la motion anti-Ama­zon au conseil d’agglomération dont il est à l’initiative.

La stra­té­gie d’Amazon étant à double tran­chant : si la créa­tion d’emploi est réelle au début, la des­truc­tion de ceux-ci est iné­luc­table du fait de la robo­ti­sa­tion en marche dans les entre­pôts. Sans comp­ter bien sûr la sup­pres­sion induite d’emploi locaux. Et une logique de mise en concur­rence généralisée.

L’optimisation fis­cale sophis­ti­quée est éga­le­ment abor­dée. La socié­té ne payant pas sa quote-part fiscale. 

Pas­cal Lacombe du Chau­dron des alter­na­tives, rap­pelle que les infra­struc­tures et bre­telles d’accès dont Ama­zon a besoin sont finan­cés sur fonds publics. Quant à celles qui existent déjà (auto­routes et aéro­ports) elles pro­fitent évi­dem­ment à leur stra­té­gie de maxi­mi­sa­tion des flux. 

Il rap­pelle le pro­jet de Dam­bach la ville (un pro­jet de construc­tion pour un total de 150 000 m²). Négo­cié par la com­mu­nau­té de com­mune du Pays de Barr en lien avec le pré­fet du Bas-Rhin sans que per­sonne ne soit au courant.

Pas­cal Lacombe fait sur­tout état de ce qu’aucun homme ou une femme poli­tique n’a jamais répon­du aux sol­li­ci­ta­tions du col­lec­tif qu’il représente.

La com­mu­nau­té de com­mune du Pays de Barr ayant pris sa déci­sion à huis-clos, les oppo­sants n’ont jamais été entendus.

Mais c’est sur­tout une conseillère muni­ci­pale mino­ri­taire de Ensi­sheim pen­dant plus de 20 ans qui fut la per­son­na­li­té la plus éclai­rante de la soirée.

Elle évo­qua son ex-mis­sion de conseillère muni­ci­pale d’opposition contre Michel Habig comme celle d’un sacerdote. 

Un Michel Habig adepte de l’agriculture inten­sive, notam­ment, et Pré­sident de la Chambre d’agriculture du Haut-Rhin durant 18 ans (de 1989 à 2007).

Maire en 1995 (réélu en 2001, puis en 2008 au 1er tour) ; il accède éga­le­ment, dans une même logique de ter­ri­toire, à la pré­si­dence de la com­mu­nau­té de com­munes du Centre Haut-Rhin qui regroupe neuf com­munes et forme un bas­sin de vie de 14 000 habitants.

Elle dit n’avoir jamais eu aucune infor­ma­tion sur le sujet. Elle relève par ailleurs que peu de per­sonnes osent s’exprimer ouver­te­ment à Ensi­sheim, comme dans les petites villes ou vil­lages en général.

Tout débat étant ren­du d’autant plus dif­fi­cile qu’aucune salle ne peut être mise à dis­po­si­tion sur l’affaire de l’implantation d’Amazon: le maire l’interdisant formellement.

Elle sou­tient que Michel Habig n’est pas un adepte du débat, et qu’il n’y aucun doute quant au com­man­di­taire réel, qui avance mas­qué sous le giron d’ « Euro­via 16 pro­ject » : il s’agit bien d’Amazon.

Si elle appelle publi­que­ment pour un sou­tien à une éco­no­mie de tran­si­tion, elle jus­ti­fie l’atonie citoyenne par­mi les vil­la­geois par une forme de sidé­ra­tion, et un sen­ti­ment d’impuissance.

Isa­belle Schaef­fer, mili­tante de l’ADRA (Asso­cia­tion de Défense des Rive­rains de l’Aéroport de Bâle-Mul­house) et RUCSSA (Réseau d’Ur­gence Cli­ma­tique et Sociale Sud Alsace) indique que les consé­quences du déve­lop­pe­ment d’Amazon a des effets en matière d’accroissement de volume de fret aérien (et rou­tier) trans­por­té depuis ou vers l’aéroport. Notam­ment le pas­sage des fins de jour­née de 22h à 23h. 

Un paral­lèle est fait avec Bure, vil­lage de 150 habi­tants (84 offi­ciel­le­ment en 2017), dont seuls 4 habi­tants sont actifs.

Un habi­tant de Pul­ver­sheim s’inquiète du volume du tra­fic rou­tier à venir. Et l’assistance se demande si l’Alsace n’est pas condam­née à n’être qu’une infrastructure.

A la ques­tion que fait-on ? L’ADRA-RUCSSA annonce qu’une pro­chaine réunion sur le sujet se tien­dra à la pré­fec­ture en date du 5 novembre. Elle y appelle à un ras­sem­ble­ment de circonstance. 

Un front du refus pas­sant par l’arrêt de l’artificialisation des sols. 

Sont éga­le­ment expo­sés le risque indus­triel incen­die consi­dé­ré comme très impor­tant, y com­pris par les ser­vices d’incendie et de secours, compte tenu le gigan­tisme des ins­tal­la­tions, et les risques accrus d’AVC en Alsace, qui seraient liés à l’augmentation conti­nue de par­ti­cules fines liées au die­sel, et consti­tuées de dioxyde d’a­zote, d’oxydes d’azote et de suies diverses.

On s’interroge enfin sur la qua­li­té du com­mis­saire enquê­teur char­gé de mener l’enquête publique, et qui fut un agent de déve­lop­pe­ment éco­no­mique en Alsace. Son ancien métier consis­tant à démar­cher les entre­prises en vue de l’implantation de zone d’activités, notam­ment les entre­prises de logistique.

Un par­ti­ci­pant pro­po­sant, avant la clô­ture des débats, de réagir de manière créa­tive devant les attaques démo­cra­tiques sociales et envi­ron­ne­men­tales carac­té­ri­sée à l’occasion de l’implantation d’Amazon, de débap­ti­ser Ensi­sheim en E‑Commersheim…

Cré­dit pho­tos: Patrick Franck

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