Nous publions ici la relation d’une enseignante à son métier, depuis la dénaturation pédagogique qu’elle voit grossir au fil du temps, jusqu’à la caporalisation et l’infantilisation du personnel, en passant par l’esbroufe d’une informatisation miracle, conçue à marche forcée (alors que la « paperasse » s’accroit simultanément), qui récompense le travail surfait.
Le constat est amer et lucide. Mais le débat reste ouvert dans ces colonnes, et pour ce faire les commentaires sont à votre disposition.
L’Éducation nationale qui est censée apporter la connaissance, former des citoyens éclairés, enseigner les valeurs républicaines, la tolérance, le sens du travail collectif, la solidarité est devenue en quelques années et par des réformes successives visant, toutes, l’économie des personnels et des moyens mais se cachant derrière des notions de performance, de compétitivité, de bienveillance, de « plus-value » des savoirs et j’en passe, est devenue donc un lieu de dés-apprentissage des valeurs qu’elle prônait en épousant progressivement un schéma individualiste, en développant chez les professeurs le sens du profit tout en leur maintenant la tête sous l’eau et en abandonnant le terrain de la culture et de la réflexion.
Les cours sont ainsi devenus des passerelles de formatage en vue de fabriquer des citoyens dociles et perméables au consumérisme et à la globalisation et suffisamment aptes à faire tourner l’économie. La culture s’est réduite à un outil de divertissement mais dépourvue d’un travail de fond.
Au lieu de tourner l’enseignement vers une plus grande abstraction permettant ainsi aux élèves de développer des concepts pour supporter les angoisses existentielles et les dépasser pour en faire des socles de questionnement pour une meilleure société à venir, nous avons assisté à un bradage des savoirs avec un abandon des langues étrangères diversifiées, un abandon des cultures régionales au profit d’une uniformisation, une simplification de la littérature à travers des analyses mécaniques et binaires relevant uniquement de la compréhension du texte et de la grammaire basique, la disparition de matières spécialisées dans un englobement thématique regroupant plusieurs matières dans le but de diminuer les heures dévolues à chacune d’elles (par exemple les sciences qui comprennent SVT, physique, technologie) ou encore la disparition de certaines d’entre elles dans certaines filières dès l’entrée en seconde par le biais des choix de spécialité.
Aussi n’oublions pas la violence faite à l’enseignement de l’histoire et de la géographie qui n’est plus qu’un tremplin d’explicitation et d’accompagnement aux politiques ultra-libérales faisant fi de tout approfondissement et ne se résumant au lycée professionnel plus qu’à une heure par semaine voire une heure et demie dans le meilleur des cas.
Du côté des enseignants nous assistons de plus en plus à des conflits d’intérêt qui naissent du désarroi de ces derniers et des situations de crises générées, de plus en plus, par le durcissement des mesures à leur égard ainsi qu’à la lourde charge de travail qui leur est échue.
Ainsi des contractuels, de plus en plus nombreux mènent des combats isolés en se faisant exploiter de toute part (par le Rectorat, par certains chefs d’établissement et par certains de leurs collègues), certains enseignants font la course à la prime, aux heures supplémentaires, aux appréciations qui leur permettront de grimper un échelon, parfois en fonction de leur travail remarquable mais plus souvent en fonction de leur servitude hiérarchique, la course à la hors-classe et à la classe exceptionnelle et j’en passe…
Les professeurs des écoles se voient infantiliser par leur direction qui est, elle-même, mise sous pression. N’oublions pas la lettre d’adieux déchirante de Christine Renon ! Qu’est-ce qui a changé depuis ? Rien !
Du côté du ministère, on se donne bonne conscience en créant des heures de co-enseignement pour alléger la charge des classes et donner l’illusion d’une continuité dans les apprentissages en mettant côte à côte deux professeurs de domaines différents, considérant que les élèves ne sont pas capables de faire des ponts par-eux-même et que l’on doit, là aussi, leur mâcher le travail et leur baliser les liens.
On crée aussi des aides individualisées sans donner les heures nécessaires dans la DHG (dotation horaire globale) pour prendre les élèves en petits groupes et les professeurs se retrouvent à faire de l’aide individualisée en groupe de 15, voire en classe entière.
En lycée pro, on crée des heures de chef d’œuvre mais sans donner le budget nécessaire pour le matériel à acheter (on doit souvent se débrouiller dans un premier temps avec les moyens du bord) ni les heures nécessaires pour le travail en groupe en atelier.
Dans certains collèges, sous l’égide de « projet « C.A.R.D.I.E » une organisation des enseignements peut être décidée sans l’aval du C.A avec le simple feu vert du recteur ou de la rectrice. Par exemple, dans un certain collège de Mulhouse, les élèves se voient amputer d’heures en sciences car on a divisé la classe en deux plutôt que de la dédoubler, en l’occurrence, on a divisé les heures de sciences en deux et tout ça avec l’aval des professeurs concernés.
La raison donnée est d’habituer les élèves à travailler en autonomie et en effet ils se retrouvent en permanence à devoir effectuer eux-même leur cours à partir de documents. Les parents, pour beaucoup considèrent ce projet comme un recul de l’égalité entre les collèges.
Aux interrogations d’un des parents lors de la réunion de rentrée il a été répondu par la principale : « si vous n’avez pas confiance en l’équipe pédagogique vous pouvez inscrire votre enfant dans un autre établissement qui répond mieux aux besoins de votre enfant ».
Une invitation vers le privé ?
Un autre grand mal fait à l’école en est l’informatisation en tant que norme et je dois avouer que l’épisode tragique du covid n’a rien arrangé et à ouvert grande la porte à tous les excès, qui pourtant étaient déjà bien installés.
Sous couvert de faciliter les tâches, l’informatisation de l’enseignement enferme la pédagogie sous une avalanche de ressources visuelles et auditives proposée par le corps d’inspection, internet, etc. .. qui vise plus à capter l’attention des élèves et la mémorisation d’une information souvent basique qu’à traiter un sujet en profondeur.
Ainsi les professeurs passant leur temps à chercher « la bonne ressource », parcourant la grande toile, ont de plus en plus la bonne conscience du travail effectué au vu du nombre d’heures consacrées à leur recherche, alors que le butin récolté est en réalité bien maigre. Mais le plus drôle, c’est que ça plaît en formation ou face à un inspecteur tout comme de jolis tableaux Excel plaisent pourvu que les cases soient bien remplies et en couleur !
Le paraître supplante de plus en plus le véritable enseignement. Et les élèves ne sont pas dupes ! Il n’y a qu’à écouter les commentaires des élèves au sortir de certains cours… Je ne suis pas contre l’usage de ressources numériques, entendez bien, je dis simplement que les enseignants sont poussés vers ce piège du « plus pour moins » vers leur propre hiérarchie et souvent encouragés par celle-ci.
L’informatisation a aussi permis de déléguer aux professeurs des tâches administratives qui ne leur étaient pas dévolues et ainsi a précipité la disparition de postes dans l’administration des collèges et lycée. Le nombre des comptes rendus a littéralement également explosé : compte rendu de réunions, compte rendu d’activité, compte rendu de dispositif, etc.
Le professeur doit à présent justifier son maigre salaire en écrivant des comptes-rendus qui sont demandés par les chefs d’établissement et également par le rectorat en échange bien souvent d’une continuité de financement de tel ou tel dispositif. Les voyages scolaires et sorties sont accompagnés d’une telle paperasse chronophage que la plupart des enseignants y renoncent. Le cahier de texte informatisé via une plateforme MBN ou autre, permet une consultation de celui-ci par l’inspecteur ou le chef d’établissement à n’importe quel moment : le professeur est sous surveillance.
L’université n’est pas épargnée car de plus en plus de cours se passent en distanciel et à ce jour, beaucoup d’étudiants abandonnent leurs études avant même la fin du premier semestre. Pour certains il est très difficile de cumuler contraintes d’isolement, d’autonomie, auxquelles s’ajoutent parfois les difficultés financières et un logement trop petit et souvent insalubre. Est-ce à dire que l’issue des études dépend de plus en plus du milieu social dont on est issu, et qu’un enfant ( sauf à faire sciences po, maths sup, Saint-Cyr ou polytechnique) est condamné de plus en plus a rester emmuré dans son milieu social en une éternelle reproduction d’appartenance socio-culturelle ?
A tous ces problèmes s’ajoutent le mépris de reconnaissance de la profession en matière de salaire : le gel du point d’indice, la promotion à l’ancienneté qui devient la norme, la perte de la prime en zone sensible dès janvier 2021, les retards de payes pour les heures supplémentaires effectuées (rattrapage qui commencera au mois de décembre dans l’académie de Strasbourg).
Voilà la raison de l’incompréhension des collègues face au discours de M. Blanquer et M. Macron lors de la mort de M. Samuel Patty.
L’instrumentalisation de la mort d’un collègue qui se résume pour les politiques à un problème de communautarisme, de non respect des libertés et « d’islamo-gauchisme » pour faire oublier au passage que les dirigeants de cette République, depuis une vingtaine d’années, sont en train de former une société de désœuvrés, futures proies de tout ce qui leur promettrait une valeur autre que l’horizon morne, froid et dépourvu de perspectives que quelques politiques cyniques et dangereux continuent d’entretenir quand bien même derrière cet Eden appâtant se tiendrait d’autres cyniques et dangereux aux aguets.
Bonsoir,
Voilà un témoignage quasi complet de ce qu’est devenu certainement l’Education nationale. Certainement, car j’ai travaillé dans l’enseignement agricole , où, si ce n’est pas le même ministre du haut de son perchoir, c’est exactement la même mission d’ »éducation », d’infantilisation, de déculturation, etc. Là, sous couvert que pour apprendre un métier, Histoire-géo, devrait être une option. Hé oui, des profs aussi l’affirment ainsi.
Quant aux chefs d’établissements, dont le pouvoir s’est accrue depuis une quinzaine d’année, ils et elles sont en général du coté du manche, même lorsqu’il s’agit d’ancien-nes professeur-es.
Mais en fin de compte, l’école est aussi un miroir de la société, et bien que sa mission soit d’en former ses membres, elle succombe à cette réciprocité ; pour former des élèves, il convient de former d’abord les professeures.
C’est là tout le drame, permettre au futur prof d’être critique et d’adhérer à la réflexion permanente. Mais comment faire avec un pouvoir politique jouet du capital !
On ne peut vouloir une école, détentrice d’une mission d’éducation et d’émancipation, sans remettre profondément en cause la réalité sociale. J’imagine que la rédactrice de ce témoignage en soit bien consciente.
Apprenons Franz Kafka au lycée.
Bonjour,
J’ai partagé ce texte fort sur Twitter (résistance3349). Il a énormément d’échos.
Merci à Vous.
Christian