Le précédent article de Hans-Jörg Renk consacré à Bâle est à consulter ici

On se sou­vient (voir alterpresse68 du 3.11.20) que lors du pre­mier tour des élec­tions can­to­nales de Bâle-Ville du 25 octobre, seuls quatre des sept membres du gou­ver­ne­ment ont été élus, dont trois sor­tants : La socia­liste (SP) Tan­ja Soland, ministre des finances, le chré­tien-démo­crate (CVP) Lukas Engel­ber­ger, ministre de la san­té, et le libé­ral (LDP) Conra­din Cra­mer, ministre de l’éducation, plus un deuxième socia­liste, Beat Jans.

Au deuxième tour du 29 novembre, cinq candidat(es) qui avaient déjà par­ti­ci­pé au pre­mier tour se pré­sen­taient pour les trois sièges à pour­voir :  le seul sor­tant, le bour­geois radi­cal (FDP) Baschi Dürr, ministre de la jus­tice et de la police, le socia­liste Kas­par Sut­ter, la libé­rale Sté­pha­nie Eymann, et la verte-libé­rale (GLP) Esther Keller. 

La seule can­di­date nou­velle était Hei­di Mück du par­ti de gauche « Bas­ta » (« Basels starke Alter­na­tive », une frac­tion de la majo­ri­té sor­tante que celle-ci avait pré­sen­tée in extré­mis après que la Verte (GP) Eli­sa­beth Acker­mann, pré­si­dente du gou­ver­ne­ment, avait renon­cé à se repré­sen­ter suite à sa cui­sante défaite au pre­mier tour.

Le résul­tats du deuxième tour étaient encore plus sur­pre­nants que prévus :

Ont été élus :

Sté­pha­nie Eymann (LDP), 41 ans, com­man­dante de la police rou­tière du can­ton voi­sin de Bâle-Cam­pagne et jusqu’ici incon­nue en poli­tique bâloise, avec un résul­tat record de 31’925 voix

Kas­par Sut­ter (SP), 45 ans, long­temps haut fonc­tion­naire au minis­tère bâlois des finances, avec 29’122 voix

Esther Kel­ler (GLP), 36 ans, jour­na­liste et conseillère en com­mu­ni­ca­tion, avec 28’710 voix

Ont obte­nu des voix, mais n’ont pas été élus, car surnuméraires : 

Baschi Dürr 27’206 voix

Hei­di Mück 20’985 voix

Deux jours après l’élection, le gou­ver­ne­ment dans sa nou­velle com­po­si­tion a répar­ti les minis­tères entre ses membres, à huis-clos, sans aucune influence du par­le­ment et des par­tis poli­tiques – encore une spé­ci­fi­ci­té suisse…Stéphanie Eymann prend la suc­ces­sion de Baschi Dürr comme cheffe du dépar­te­ment de la sécu­ri­té (Jus­tice et police), Esther Kel­ler celui des tra­vaux publics et des trans­ports et Kas­par Sut­ter celui de l’économie et des affaires sociales, ces der­niers dépar­te­ments ayant été occu­pés par les deux socia­listes qui ne se repré­sen­taient plus aux élec­tions après une bonne dizaine d’années de ser­vice. Les autres dépar­te­ments ne changent pas de chef(fe).

Le nou­veau man­dat de quatre ans du gou­ver­ne­ment et du par­le­ment com­mence le 1er févier 2021.

 Les socia­listes gardent donc leurs trois sièges au gou­ver­ne­ment, mais la majo­ri­té rouge-verte est arri­vée à sa fin, après 16 ans. La double faute en incombe en pre­mier lieu aux Verts qui ne s’étaient pas pré­pa­rés à la défaite pour­tant pré­vi­sible de Madame Acker­mann et qui avaient choi­si pour la rem­pla­cer Hei­di Mück, une can­di­date bien connue pour ses posi­tions par­fois extrêmes – dont la natio­na­li­sa­tion de l’industrie phar­ma­ceu­tique – et dont la défaite était éga­le­ment pré­vi­sible. Une part de la res­pon­sa­bi­li­té de son échec revient aus­si au par­ti socia­liste qui a appuyé sa can­di­da­ture, tout comme il l’avait fait dans le pas­sé en don­nant carte blanche aux can­di­dats de son par­te­naire mino­ri­taire, les Verts. 

La défaite de Baschi Dürr après huit ans au gou­ver­ne­ment était due à la cri­tique de sa ges­tion de la police qui venait non seule­ment de la gauche, mais aus­si de la droite, les uns la jugeant trop dure, et les autres trop molle. Son par­ti radi­cal, long­temps le plus fort des par­tis bour­geois bâlois, perd ain­si sa pré­sence au gou­ver­ne­ment qu’il déte­nait depuis 145 ans. Bon per­dant, Dürr recon­nais­sait sa défaite même avant que les résul­tats défi­ni­tifs n’étaient connus et féli­ci­tait les gagnant(e)s tout en fai­sant son autocritique. 

En même temps que les trois sièges res­tants au gou­ver­ne­ment, les élec­teurs et élec­trices de Bâle – pre­mier can­ton suisse-alle­mand à avoir intro­duit le droit de vote des femmes en 1966, cinq ans avant le reste de la Suisse – étaient appe­lés à élire le pré­sident ou la pré­si­dente du gou­ver­ne­ment par­mi les membres de celui-ci. Ils avaient le choix entre trois candidat(es), dont les résul­tats étaient les suivants :

Est élu Pré­sident du gouvernement : 

Beat Jans (SP), 56 ans, scien­ti­fique de l’environnement et par­le­men­taire fédé­ral, avec 24’511 voix

Ont éga­le­ment obte­nu des voix les deux nou­velles jeunes femmes au gouvernement :

Sté­pha­nie Eymann 21’143 et Esther Kel­ler 7’728 voix.

L’élection de Beat Jans est une conso­la­tion pour la majo­ri­té per­due, non seule­ment pour les socia­listes, mais aus­si, grâce à son côté éco­lo, pour les Verts. Or selon le sys­tème poli­tique suisse, un pré­sident du gou­ver­ne­ment – aus­si au niveau fédé­ral – n’a pas de pou­voirs allant au-delà de ceux de ses col­lègues, il est « pri­mus inter pares » (pre­mier par­mi des égaux), mais Beat Jans pour­ra pro­fi­ter de son pres­tige d’homme poli­tique expé­ri­men­té, res­pec­té et modé­ré. Âgé d’une bonne quin­zaine d’années de plus que ses col­lègues au gou­ver­ne­ment, Il pour­ra y jouer non seule­ment le rôle de « Maire », mais aus­si de « père »de la ville. 

Déjà avant son élec­tion, Il avait décla­ré qu’il vou­lait ren­for­cer la Pré­si­dence qui n’existe que depuis une bonne dizaine d’années et qui n’a pas encore atteint sa « vitesse de croi­sière », pour en faire une vraie plaque tour­nante du gou­ver­ne­ment. Pour le moment, à part la pré­si­dence des séances du gou­ver­ne­ment et des fonc­tions pro­to­co­laires, cette ins­ti­tu­tion n’a de com­pé­tences directes que dans les domaines de la culture, de l’urbanisme et des rela­tions transfrontalières. 

Jans a recon­nu dans un acte d’autocritique que son par­ti socia­liste avait dans le pas­sé sous-esti­mé l’importance de la pré­si­dence en la cédant aux Verts au lieu de l’assumer soi-même, et a don­né l’impression qu’il vou­lait cor­ri­ger cette erreur. Comme mesure pra­tique pour le ren­for­ce­ment de la pré­si­dence, il a pro­po­sé de lui confé­rer le ser­vice de l’environnement qui lui tient par­ti­cu­liè­re­ment à cœur et qui fait actuel­le­ment par­tie du minis­tère de l’économie. Mais ce chan­ge­ment devra encore être approu­vé par l’ensemble du gou­ver­ne­ment et peut-être même le Grand conseil, le par­le­ment du canton.

Pour résu­mer, on peut dire que la fin de la majo­ri­té rouge-verte ne signi­fie pas que le can­ton vire­ra à droite, car les membres des par­tis bour­geois réélus et nou­vel­le­ment élus sont plu­tôt des poli­ti­ciens prag­ma­tiques et cen­tristes, et même durant  la période de la majo­ri­té sor­tante, comme pen­dant celle de la « Bâle rouge » (1935–1950), et de la majo­ri­té bour­geoise de 1950 à 2014, le gou­ver­ne­ment en tant qu’institution col­lé­giale a tou­jours réus­si à trou­ver des com­pro­mis dans l’intérêt de la popu­la­tion du can­ton, une spé­ci­fi­ci­té bâloise qui n’existe pas tou­jours et par­tout ailleurs en Suisse. 

La pré­sence de la Verte libé­rale Esther Kel­ler donne au gou­ver­ne­ment, en plus de l’écologue Beat Jans, une colo­ra­tion au moins « ver­dâtre » qui atté­nue­ra l’absence des Verts « clas­siques ». Entre trois socia­listes et trois bour­geois, Madame Kel­ler pour­ra, si néces­saire, jouer le rôle de média­trice. Fina­le­ment, le gou­ver­ne­ment bâlois compte pour la pre­mière fois trois femmes, et pour la pre­mière fois une femme d’un par­ti bour­geois. On peut donc dire que les élec­tions du 29 novembre ont été mar­quées  par un cou­rant à la fois fémi­niste et écologique. 

Et ceux et celles qui craignent tout de même un virage à droite, peuvent se ras­su­rer, car le peuple bâlois a approu­vé le même dimanche deux ini­tia­tives fédé­rales ini­tiées par des par­tis et mou­ve­ments de gauche : La pre­mière deman­dait que les entre­prises suisses  soient ren­dues res­pon­sables pour des vio­la­tions des droits de l’homme et de l’environnement éga­le­ment à l’étranger, avec 62% de oui,  et la deuxième vou­lait inter­dire aux ins­ti­tu­tions finan­cières suisses d’investir dans des entre­prises pro­dui­sant des armes de guerre, avec 58% de oui, comme seul can­ton de Suisse alé­ma­nique, à l’instar  de Genève, Neu­châ­tel et du Jura (voir suite à paraitre sur le sys­tème de démo­cra­tie directe helvétique).

Hans-Jörg Renk