Décré­té pour la pre­mière fois en mars 2020 pour motif de crise sani­taire par ordon­nance du 25 mars 2020, d’abord jusqu’au 11 mai puis pro­ro­gé jusqu’au 10 juillet, il a fait l’ob­jet d’une loi orga­nique tran­si­toire jusqu’au 30 octobre, date à par­tir de laquelle il a été décré­té à nou­veau jusqu’en février 2021… puis pro­ro­gé jusqu’en juin 2021.

Rien n’assure qu’il ne serait pas recon­duit au-delà, à la guise du gouvernement.

Ce cadre juri­dique exor­bi­tant le droit com­mun, a une nature émi­nem­ment poli­tique à son ori­gine : la loi du 3 avril 1955.

Celle-ci orga­ni­sait « l’assi­gna­tion à rési­dence admi­nis­tra­tive des mili­tants poli­tiques ou de toute per­sonne de consti­tuer une menace pour la sécu­ri­té ou l’ordre public ».

Le cadre nor­ma­tif d’exception aura été d’application pen­dant plus de 60 ans, à la faveur d’é­vè­ne­ments d’ac­tua­li­té divers. En 1955, 1958, 1961 à 1963, jan­vier 1985, octobre 1986, octobre 1987, novembre 2005, novembre 2015 à fin octobre 2017.

Les dis­po­si­tions qu’il orga­nise donnent au gou­ver­ne­ment tout pou­voir en matière de res­tric­tions des liber­tés fondamentales.

La crise sani­taire lui per­met­tant ain­si de limi­ter les ras­sem­ble­ments sur la voie et les lieux publics, limi­ter ou condi­tion­ner les dépla­ce­ments, assi­gner à domi­cile l’ensemble de la popu­la­tion, ou ins­tau­rer un couvre-feu à 20h sec­to­ri­sé puis le géné­ra­li­ser à 18h, notamment.

Du sujet de droit au « sujet virus »

Dans son ouvrage « Le coup d’État d’ur­gence », paru au Seuil, l’a­vo­cat Arié Ali­mi explique com­ment les ser­vices de l’État déforment le rap­port du citoyen aux droits et aux libertés.

« L’un des méca­nismes essen­tiels du pas­sage du droit com­mun à l’état d’urgence, qu’il soit sécu­ri­taire ou sani­taire, repose sur la façon dont chaque indi­vi­du est appré­hen­dé par l’État. Dans le droit com­mun, tout indi­vi­du est sujet de droit. Il est paré d’un masque juri­dique pro­tec­teur qui lui per­met d’avoir un état civil, une capa­ci­té juri­dique, de conclure des contrats, de sai­sir la jus­tice. Lorsqu’il est inter­pel­lé par la police et jugé devant un tri­bu­nal, il dis­pose de droits. (…) Il béné­fi­cie d’un grand nombre de liber­tés, notam­ment celles d’aller et venir, d’avoir une vie pri­vée ou de tra­vailler ».

A par­tir de l’a­dop­tion de l’état d’urgence sécu­ri­taire de 2015 : « un grand nombre de ces liber­tés sont pro­fon­dé­ment restreintes ».

Le pas­sage à l’état d’urgence sani­taire : « implique un méca­nisme simi­laire mais à plus grande échelle, puisque toute la popu­la­tion est éga­le­ment pri­vée, du jour au len­de­main, de sa liber­té d’aller et venir, de son droit à la vie pri­vée, et, pour cer­tains, de leur droit au tra­vail ou à la liber­té d’entreprendre.

Pour appli­quer de telles mesures à l’ensemble de la popu­la­tion, il a fal­lu consi­dé­rer que toute per­sonnes était sus­cep­tible d’être conta­mi­née et conta­gieuse. C’est une véri­table iden­ti­fi­ca­tion au virus lui-même qui s’est alors mise en place à tra­vers le dis­cours scien­ti­fique et la déci­sion poli­tique. Le sujet virus a rem­pla­cé le sujet de droit et il peut, dès lors, se voir appli­quer l’ensemble des mesures de l’état d’urgence sani­taire ».  

Les moyens mis en place par l’État et ses agents, sont aus­si dévoyés qu’illégaux, car la puis­sance publique n’est plus conte­nue par des oppo­si­tions for­ma­li­sées capables de réagir et de s’opposer en cas de besoin.

Ain­si de l’usage des drones pour sur­veiller l’application des mesures de confi­ne­ment au prin­temps 2020, notam­ment par le Pré­fet de police Didier Lal­le­ment à Paris (décla­ré illé­gal par le Conseil d’Etat), dont nombre d’autorités réga­liennes et poli­cières se sont allè­gre­ment affran­chies en pour­sui­vant leur sur­veillance par « aéro­nefs légers ». 

Ain­si encore de l’incitation à télé­char­ger l’application « Stop Covid » puis « Tous anti Covid » confor­mant pro­gres­si­ve­ment la popu­la­tion au pis­tage ser­ré via smart­phones, au nom de l’efficacité de la lutte contre les cas contacts.

De sorte qu’une fois mithri­da­ti­sée par la tech­no­lo­gie toute puis­sante, et toute savante, la popu­la­tion consente d’elle-même à une nou­velle réduc­tion de ses libertés.

L’effet cli­quet (qui vaut aus­si pour la recherche scien­ti­fique) sup­pose alors que deve­nues par­tie inté­grante de nos vies, les mesures de pis­tage et de sur­veillance per­sistent défi­ni­ti­ve­ment dans le pay­sage socié­tal, ren­dant tout retour en arrière impro­bable, sinon impossible.

Des institutions à la renverse

Des situa­tions juri­diques extrê­me­ment lourdes de consé­quences ont ain­si été pareille­ment impac­tées par l’état d’urgence sanitaire.

Dont le régime de déten­tion pro­vi­soire, sévè­re­ment enca­dré en situa­tion ordinaire.

La « guerre » menée contre le virus a en effet valu la publi­ca­tion d’une ordon­nance prise en matière de pro­cé­dure pénale, et une cir­cu­laire du minis­tère de la Jus­tice, qui ont conduit a pro­lon­ger auto­ma­ti­que­ment toutes les déten­tions pro­vi­soires des mois de mars et avril 2020.

Une mesure jugée anti­cons­ti­tu­tion­nelle par nombre d’avocats et de magis­trats… et pour­tant vali­dée par le Conseil constitutionnel !

La même ins­ti­tu­tion cen­su­rant tou­te­fois l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020, jugé contraire à l’article 66 de la consti­tu­tion, selon lequel « nul ne peut être arbi­trai­re­ment détenu » !

De sorte qu’il est craindre la nor­ma­li­sa­tion de l’exception. Ce que for­mule ain­si Arié Alimi :

« La ques­tion n’est pas tant de se deman­der ce qui res­te­ra de l’état d’urgence sani­taire après sa fin, mais plutôt de s’inter­ro­ger de ce qu’il res­te­ra du droit com­mun »

Le monde d’après ris­quant alors d’être pire en matière d’exercice des liber­tés que celui d’avant : « Le monde d’après, c’est celui dans lequel nous vivons déjà. Un monde de l’urgence et de l’excep­tion ».

Un livre à conseiller à toutes celles et ceux qui s’inquiètent de cet état de fait, et sou­haitent lut­ter contre l’extinction de la règle de droit, au pro­fit d’un régime juri­dique lar­ge­ment abu­sif, légi­ti­mé par un État auto­ri­taire, pro­fi­tant de l’aveuglement géné­ral dans lequel nos socié­tés sombrent lentement.

« Le coup d’État d’ur­gence » 15.00 € ; 180 pages.