Mépris du droit international et du droit humanitaire, colonisation intensive et vol des terres, répression systématique de toute expression du peuple palestinien, sont plus que jamais d’actualité… mais ces vents mauvais commenceraient-ils à tourner ?
Les évolutions récentes de la Cour pénale internationale (CPI), l’exemple donné par l’Allemagne avec les procès engagés sur son sol contre deux tortionnaires syriens, les actions de mouvements citoyens tels le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) annoncent-elles une nouvelle étape où le Droit et les Droits de l’Homme devraient être pris en compte par les gouvernements israéliens dans leur politique en Palestine ?
Nicolas Boeglin, Professeur de Droit international Public, vient de publier un article sur la décision du 5 février 2021 de la Chambre préliminaire de la Cour Pénale Internationale (CPI) déclarant la compétence de celle – ci pour juger les exactions commises par Israël dans tous les territoires palestiniens, sans exception.
L’article rappelle notamment que les quotidiens Haaretz et Times of Israël avaient déjà révélé en 2020 que les autorités israéliennes établissaient une liste d’une centaine d’officiers israéliens préparés par leur gouvernement aux risques personnels encourus (destinations à l’étranger à éviter, risques d’arrestation hors du territoire israélien en particulier) s’ils se trouvaient un jour visés par une enquête voire par un mandat de la CPI.
A l’heure où s’ouvrent en Allemagne les procès de deux tortionnaires syriens appartenant aux services de renseignement du régime de Bachar al Hassad pour des actes commis en Syrie plusieurs juristes et journalistes spécialisés ont rappelé dans l’émission de France Culture “La Justice au chevet du Monde” de ce 23 février les conditions de poursuites pénales et de jugement d’une infraction à l’initiative d’ un État pour des actes commis par des non – citoyens de cet État, à l’encontre d’étrangers et commis ailleurs que sur son propre territoire.
Instaurée pour lutter contre l’impunité des violations les plus graves des droits humains (génocide, crimes contre l’humanité, disparitions forcées, tortures..) par des auteurs de crimes internationaux ayant réussi à échapper à leur justice nationale en raison de fonctionnements défectueux ou de protections, de lois d’amnistie, de raisons diplomatiques diverses, cette “compétence universelle”mise en œuvre par l’Allemagne permet donc d’instaurer des poursuites en cas de crimes graves relevant du droit international, ou d’extrader les auteur présumés.
La France a cru bon de limiter ces possibilités de poursuites par ses juridictions pénales au titre de « la compétence universelle » d’auteurs de crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en inventant des verrous législatifs qui vident les textes internationaux de toute portée effective (notamment : condition de résidence habituelle en France, monopole des poursuites laissé au Parquet, impossibilité pour les associations de se porter partie civile pour obtenir l’ouverture d’une instruction…).
Mais l’exemple de l’Allemagne ouvre désormais une brèche pour les crimes les plus graves et encourage fortement tous les défenseurs d’une justice internationale effective, y compris donc contre les ressortissants d’un État, Israël, qui n’est pas partie aux statuts de la CPI, ne les ayant pas ratifiés.
Sur un troisième point l’impunité israélienne peut également être ébranlée : les campagnes militantes de la société civile palestinienne dites BDS ( Boycott – Désinvestissement – Sanctions) inspirées par celles menées contre le régime d’apartheid d’Afrique du Sud et reprises internationalement, notamment en France, dans un esprit de solidarité internationale et de résistance solidaire à l’oppression.
Elles veulent faire pression pour délégitimer les gouvernements israéliens et leur politique d’apartheid, consacrée depuis la proclamation officielle de la loi « Israël État Nation du Peuple Juif » en 2018 qui officialise la discrimination et la séparation entre juifs et non juifs dans les territoires contrôlés par Israël.
Malgré les tentatives de criminalisation par les autorités françaises de ce mouvement et suite aux jugements des 12 militants mulhousiens engagés dans la campagne BDS, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a infligé à la France un désaveu dans son important arrêt du 11 juin 2020 qui condamne l’État français.pour non respect de la liberté d’expression prévue par la Convention européenne des Droits de l’Homme.
La Cour a considéré que ce mouvement BDS ne relève en aucun cas d’une discrimination raciale ou économique mais bien d’une expression politique dans le cadre d’ une question d’intérêt général.
Dénoncer le mépris du droit international et de Droit humanitaire par un État qui occupe et colonise, refuser son impunité, autant donc de raisons pour des citoyens conscients de mettre en œuvre le BDS qui rencontre un écho important dans de nombreux pays.
La conclusion pourrait être dans ces quelques lignes de François Dubuisson, professeur de droit public, qui a écrit dans son analyse de la décision du 5 février de la CPI : « Même si la tenue d’un procès à la Haye envers des responsables israéliens peut s’avérer très hypothétique, la simple mise en accusation ou la délivrance d’un mandat d’arrêt à l’égard de divers hauts responsables israéliens, militaires ou politiques, serait déjà porteuse d’une grande force symbolique, susceptible de mettre une certaine pression sur les États occidentaux, alliés de l’État d’Israël ».
Désormais la volonté de ne pas laisser impunis les crimes les plus graves alors que des moyens existent de sanctionner leurs auteurs en dépit des protections de leur État, le chemin ouvert par la justice internationale pour examiner ce qui a été observé et documenté en territoires palestiniens depuis juin 2014, la prise de conscience d’une opinion publique majoritaire qui sait bien où est le droit, où est celui qui opprime, représentent un espoir réel pour un peuple palestinien menacé de sociocide.
Alors aujourd’hui des crimes commis en Syrie, mais dans les Territoires palestiniens occupés y aura-t-il demain des acteurs israéliens, civils ou militaires, menacés de poursuites effectives lors d’un déplacement sur le territoire français pour des actes pouvant relever de crimes de guerre, d’actes de tortures caractérisés ?
Nous faisons nôtre la conclusion de Nicolas Boeglin dans son article précité :« Le fait qu’une juridiction internationale telle que la CPI, pour la première fois dans l’histoire du droit international public, se prononce sur le statut de la Palestine en tant qu’État, et accepte d’examiner ce qui se passe à l’intérieur de son territoire, donne à cette décision une portée non seulement juridique, mais aussi hautement symbolique et pleine d’espoir.»