Avertis tardivement, on est arrivés alors que les négociations venaient de se conclure. La PME « Frina mousse », société spécialisée dans la fabrication d’éponges et de mousse en polyuréthane va disparaitre, entrainant une vingtaine de licenciements.
Les salariés, ont signé jeudi 4 mars un protocole d’accord de fin de grève, après 4 jours de cessation d’activité, au cours desquels ils se sont constitués un « trésor de guerre », en bloquant l’ensemble de la production.
Le personnel n’a pas souhaité maintenir le piquet de grève plus longtemps, d’autant que l’entreprise bénéficie depuis presque toujours d’un régime comparable à ce que l’on appelle aujourd’hui, par abus de langage, « l’entreprise libérée », c’est-à-dire « une forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bon — eux et non leur patron — d’entreprendre », pour reprendre les termes de la notice Wikipédia.
Chez Frina mousse, cela se traduisait par une autogestion de fait. Les salariés gèrent la production selon les commandes. Le propriétaire Suisse « Froampartner » à travers son gérant, tient quant à lui un rôle de quasi-rentier : il se contente d’encaisser les dividendes issu du travail de ses subordonnés.
La société est profitable, alors que, pour justifier la fermeture, le gérant prétend le contraire, en raison du retrait d’un gros client (la chaine de magasins suisses Migros, qui représentait 35 à 40% du chiffre d’affaires). Un simple coup d’œil sur un site où figure l’état comptable des entreprises permet aisément de le constater :
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L’année 2020 aura suivi peu ou prou la même pente favorable.
Le procédé qui mènera les salariés à leur licenciement sera conforme aux procédés suisses dans les rapports sociaux de travail : abrupt et d’une extrême sècheresse.
En l’occurrence, la fin d’année 2020 fut couronnée par les remerciements du patron, pour la production effectuée, et l’annonce que la société mère vient d’être rachetée par un concurrent belge du nom de Recticel.
En économie, il s’agit d’une fusion-absorption dite « horizontale » : le concurrent qui rachète fabrique les mêmes typologies de produits. L’idée est donc d’effectuer des économies d’échelle. Les usines les mieux équipées absorbent les lignes des usines moins dotées ou plus anciennes, soit l’ensemble des actifs de celles qui ferment.
L’augmentation de la production sur les sites modernes permet d’éviter les doublons, et de fabriquer à des couts unitaires moindres. Si les charges de personnel sont trop importantes, on délocalise la production.
Cynique et efficace, comme un concentré d’écume capitaliste.
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Des négociations sous pression
A contrario, les négociations sont aussi indigestes qu’une véritable fondue suisse : le gérant annonce la fermeture et exige le maintien de la production. Les salariés se plient d’abord à la demande par conscience professionnelle, puis se ravisent en confisquant la production, qui se poursuit toutefois.
Les salariés découvrent alors la loi d’airain du droit du travail français : les salariés des petites structures échappent aux dispositifs sociaux les plus protecteurs. Pas de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), pas de reclassement par l’employeur, pas d’aides à la création d’entreprise, ou d’actions de formation, pour les licenciés.
L’union locale Bassin potassique de la CGT les appuie et les conseille. Elle demande trois mois de salaire brut pour tous et 300 euros par année de présence, ainsi qu’un congé de reclassement de douze mois pour les plus de 50 ans, quand les Suisses proposent un congé de reclassement à neuf mois pour tous, avec 75 % du salaire et 1,5 mois de salaire pour tous en prime supra-légale.
Le maire socialiste et conseiller régional Antoine Homé intervient sur place pour dénoncer les affres du capitalisme financier, auquel il oppose un hypothétique capitalisme rhénan plus “humain”. Il souhaite faire intervenir un repreneur, et promet l’appui de la communauté d’agglomération (M2A), dont il est le vice-président en charge des Finances et du Budget.
La grève de 4 jours permettra l’octroi d’un congé de reclassement de douze mois pour les plus de 50 ans et de neuf mois pour les autres, et une prime d’environ 3000 euros à tous, plus le paiement des quatre jours de grève.
Les salariés, qui devraient cesser définitivement la production en avril-mai, choisiront-ils de s’en tenir à ce compromis ? L’Alterpresse68 compte suivre ces dernières semaines avec intérêt !
Quoi qu’il en soit, le jeune homme avec qui l’on échange devant la grille d’entrée veut rester optimiste. Il rebondira. Mais qu’en sera-t-il de ses collègues plus âgés ?
Dans l’article publié le 5 mars dans L’Alsace, une salariée se désole : « Vous savez ce qui me fait le plus mal ? Les salariés suisses, avec qui on travaille depuis des années. Aucun n’a envoyé un message de soutien, de compassion… Pas un ! »
Uberisation, précariat et fragmentation sociale sont le lot de nombreux travailleurs à travers le monde, qu’ils soient Français… ou Suisses. A ceci près que ces derniers évoluent dans un système économique proche du modèle américain : très individualisé, et aujourd’hui moins dynamique qu’il a pu l’être, notamment depuis la crise du covid. Les chiffres du département fédéral de l’économie de décembre 2020 l’illustrent clairement.
Une pétition est disponible en ligne afin de soutenir les salariés.