En ces temps actuels, où l’adjoint au renouvellement urbain, Alain Couchot, veut éliminer les logements sociaux du « nouveau Drouot » poursuivant ainsi la gentrification de Mulhouse, il est bon de découvrir d’autres temps où le quartier était peuplé de personnes modestes, qui organisaient une vie sociale en des temps où malgré les restrictions diverses, on pouvait vivre heureux et fier de ses attaches sociales ouvrières.

Alain Rustenholz est un « Alsacien de Marseille », journaliste et écrivain, qui, dans plus de vingt livres, décrit le monde ouvrier. Ses travaux, plus centrés sur le Paris ouvrier et sa ceinture rouge, conte, avec talent, et avec moultes détails, une époque certes révolue mais qui a marqué l’histoire de nos régions et le pays.

Avec son dernier livre, « 1bis, quai des Métallos », Alain Rustenholz devient plus intime, puisque c’est l’histoire de sa famille qu’il décrit.

Et celle-ci se déroule de Marseille (et son port), passe par le Mulhouse populaire des années cinquante, puis la région stéphanoise, quand Saint-Etienne était un grand centre industriel et ouvrier. Après une étape dans le Bas-Rhin, le périple de la famille Rustenholz se termine dans la région parisienne, dans cette ceinture rouge que l’auteur décrit si bien dans d’autres ouvrages.

Mais revenons à Mulhouse et conseillons à l’adjoint Couchot la lecture de ce livre, lui qui veut construire des logements pour les « classes moyennes » et ainsi réduire la population modeste de « sa » ville…

Comme le père Rustenholz était Alsacien établi à Marseille, et dans des circonstances racontées avec amusement et gravité, Alain débarque avec toute la famille à Mulhouse en 1951, là où on pouvait trouver du travail dans les nombreuses usines qui tournaient à plein régime dans la cité haut-rhinoise.

Ce sera la Manurhin et le logement sera dans le tout nouveau quartier du Drouot, avec ses bâtiments tout neufs, équipés, où les familles pouvaient trouver enfin le confort qui était jusqu’alors réservés à des classes sociales plus élevées.

S’en suit une description du quartier, de ses habitants, des rapports sociaux, des relations humaines, qui révèlent aussi la solidarité et le rôle joué par l’église et ses curés.

Mais comme dans tous les ouvrages d’Alain Rustenholz, on n’en reste pas à la petite histoire familiale et nous ne sommes pas dans le registre des « mémoires » familiales perdant leur intérêt au fur et à mesure des pages.

Non, la « petite » histoire est partie intégrante des faits politiques, sociaux, sportifs, culturels, créant ainsi une ambiance nous permettant de mieux comprendre les événements marquants de la vie familiale.

Au fil des pages décrivant le Mulhouse des années cinquante, on découvre une partie de l’histoire de cette ville (montrant que Mulhouse pouvait aussi être autre chose que le jouet d’élus réactionnaires uniquement soucieux de leur carrière personnelle).

Les faits majeurs évoqués sont autant les guerres et ses suites pour l’Alsace, les faits politiques, les mobilisations sociales, l’éducation et ses caractéristiques de classe.

Comme la difficulté d’un fils d’ouvrier de pouvoir bénéficier d’études secondaires… que l’auteur atteindra grâce à d’excellents résultats scolaires, comme quoi l’ascenseur social était (certes difficilement), possible.

Alain Rustenholz nous donne à voir, sentir, entendre, bref il brosse un portrait vivant de chacun des endroits dans laquelle toute la famille se retrouvait au gré des possibilités de travail du père.

Une tranche de vie de toute une époque qui se décline à travers le quotidien d’une famille modeste qui montre comment peut se structurer une conscience de classe et une connaissance de la société dans laquelle nous vivons.

Le quartier Drouot est ici une métaphore de l’évolution de notre société éclatée, dans laquelle les pouvoirs politiques, à tous les niveaux, fragmentent la société, divisant pour mieux préserver leurs intérêts propres.

Le journal unique du Crédit Mutuel, (voir L’Alsace du samedi 10 avril) les aident assurément, comme on peut le lire dans un article qui illustre la « gentrification » du Drouot, en racontant l’histoire d’une famille partie ailleurs « relogée et heureuse » d’avoir pu quitter ce quartier…

Comme quoi il est plus facile d’expulser les familles plutôt que de rénover un quartier au service de ses habitants, qui eux aussi mériteraient de continuer de vivre dans LEUR espace…

On ne peut que vous conseiller de lire le livre d’Alain Rustenholz pour avoir une autre idée de ce beau quartier voué à une réelle dévitalisation.

« 1bis, quai des Métallos », Alain Rustenholz, Editions La Déviation, 22 €.

Blog de l’auteur : www.alain-rustenholz.net