Page du magazine « Hommes et libertés » n°189 de mars 2020, édité par la Ligue des Droits de l’Homme
Le conseil municipal de Mulhouse examinait ce jeudi 15 avril, au point 18 de son ordre du jour, une proposition de vœu portée par la majorité municipale, dont l’ambition serait de « définir la notion d’antisémitisme ».
Subsisterait-il quelque doute sur son signifié ?
Pour ne s’en tenir qu’aux explications fournies par la fiche Wikipédia qui lui est consacrée, et qui fait largement consensus au niveau international, il s’agit du :
« nom donné de nos jours à la discrimination et à l’hostilité manifestées à l’encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou supposément racial.
[…] ce terme pourrait s’appliquer aux peuples sémites parlant l’une des langues sémitiques (comme l’arabe ou l’amharique) mais il désigne, dès sa formulation vers la fin du XIXe siècle, une forme de racisme à prétentions scientifiques et visant spécifiquement les Juifs.
Le terme est le plus souvent utilisé aujourd’hui pour qualifier tous les actes d’hostilité anti-juive, que leurs fondements soient raciaux ou non. Les motifs et mises en pratique de l’antisémitisme incluent divers préjugés, des allégations, des mesures discriminatoires ou d’exclusion socio-économique, des expulsions, des massacres d’individus ou de communautés entières ».
Le fait est qu’il s’agit pour l’exécutif mulhousien de s’associer à la caractérisation définie par l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste), une organisation intergouvernementale créée notamment par un ancien premier ministre suédois, inquiet de découvrir que des enfants d’âge scolaire ne savaient rien du génocide juif.
La qualification liminaire de la notion donné par l’Alliance, dont le sens semble s’être égaré pour avoir à la redéfinir, est lapidaire, voire indigente :
« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »
(Définition opérationnelle de l’antisémitisme, non contraignante, adoptée par les 31 États membres de l’IHRA le 26 mai 2016).
Suit une précision qui devrait a priori solder l’idée d’un confusionnisme possible entre antisionisme (c’est-à-dire la critique des gouvernements israéliens et leur géopolitique territoriale) et antisémitisme, à laquelle appellent pourtant implicitement de nombreux responsables politiques (dont Emmanuel Macron, pour lequel « l’antisionisme serait le nouveau visage de l’antisémitisme ») :
« L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. L’antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l’humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de « tous les problèmes du monde ». Il s’exprime à l’oral, à l’écrit, de façon graphique ou par des actions, et fait appel à des stéréotypes inquiétants et à des traits de caractère péjoratifs ».
Cette définition n’appelle aucun commentaire particulier. Elle parait même élémentaire. Mais les rédacteurs de l’IHRA sont sans doute plus soucieux d’orienter le concept d’antisémitisme contemporain dans la vie publique, les médias, les écoles, le lieu de travail et la sphère religieuse, par des exemples illustratifs, dont sept parmi les onze qui sont recensés concernent, à un titre ou à un autre l’Etat d’Israël.
Et parmi ceux-ci, l’un des exemples parait singulièrement problématique. Il considère en effet que relèverait de l’antisémitisme :
« Le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique »;
Un argument qui relève du procès d’intention paranoïde (qui est donc celui qui « demande d’adopter des comportements « , et quels sont les comportements en question ?). Un postulat qui n’a même rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme, mais qui va comme un gant pour caractériser l’infamante accusation d’antisémitisme à toute voix critique de l’Etat israëlien.
Tant à l’égard de la population palestinienne, à propos de laquelle il se comporte en colon répressif, qu’à celui de l’ensemble du Droit international, et des résolutions de l’ONU, qui l’intime d’en revenir aux frontières de 1967, depuis plus de 50 ans.
Alors que le texte désigne explicitement Israël, le sort des palestiniens y est lui fantomatique, condamnés à errer sous le joug d’une puissance militaire occupante, sous l’indifférence des grandes puissances américaines et européennes.
Et ceux qui se parent du masque de l’antisionisme, pour avancer leur agenda haineux antijuif (et ils existent, évidemment), n’ont quant à eux rien à craindre de cette résolution superfétatoire.
Par ailleurs, la résolution de l’IHRA confère au racisme antijuif le droit à une définition institutionnellement reconnue, dans la longue chaine, pourtant indifférenciée, des haines xénophobes. Or la lutte contre ces phénomènes passe par la recherche d’une réponse universelle et commune, indépendamment de ses formes et particularités, sauf à alimenter indéfiniment la concurrence victimaire.
Ainsi, cette proposition portée au niveau national par la majorité LREM a été adoptée dans une Assemblée nationale quasi-vide en décembre 2019, et en a été réduite à son expression minimale, devant la perspective de rendre criminel tout débat légitime sur le sujet, et surtout de franchir difficilement le couperet de la constitutionnalité.
Seul le premier paragraphe, rigoureusement général et consensuel, aura été voté par l’Assemblée, par cent-cinquante-quatre députés (sur les cinq-cent-soixante-dix-sept que compte l’hémicycle).
Le 1er juin 2017, le Parlement européen avait quant à lui adopté l’ensemble du texte polémique, incluant les onze exemples, et invité les Etats membres à adopter et appliquer la définition (non contraignante) de l’antisémitisme proposé par l’IHRA.
Plus localement, celui-ci a été adopté notamment par l’assemblée de la CeA (collectivité européenne d’Alsace), il le sera bientôt par le Conseil régional du Grand Est, et l’est de la ville de Paris et de Nice, notamment.
En revanche, la majorité municipale de Jeanne Barseghian (EELV) à Strasbourg, a refusé de l’approuver à deux reprises, en février et mars dernier.
Du « texte validé » au rappel de conséquences judiciaires mulhousiennes
Pour seul argumentaire, Michèle Lutz, maire de Mulhouse, dira qu’il s’agit d’un « Texte validé internationalement ».
Son adjoint au devoir de mémoire, Paul Quin, plaidant son adoption « au nom des valeurs républicaines », et « pour sensibiliser à ce que fut l’extermination de masse », se rengorge aussitôt : « Voter ce texte ce n’est pas offrir un blanc-seing à l’Etat d’Israël, car l’antisémitisme préexistait à l’Etat d’Israël ». Belle culture historique ce Quinquin !
Dire qu’on imaginait par avance les efforts de l’équipe municipale s’appliquant à justifier l’adoption du texte par un parallèle entre Mulhouse, cité soumise à l’irrésistible ascension de l’extrême droite et ses actes antisémites sporadiques, en même temps que ville de naissance du célèbre capitaine Alfred Dreyfus.
Ce fut bien le cas, mais presque de manière bureaucratique. Michèle Lutz se contentant de le rappeler mollement avant de procéder au vote.
Un baiser de la mort lui fut même administré par Christelle Ritz, représentante (RN) de l’extrême droite à Mulhouse, qui s’empressa de faire savoir qu’elle allait soutenir le texte.
L’exercice d’équilibriste de Nadia El Hajaji, qui s’opposa au nom du groupe « Cause commune » au texte pour les mêmes motifs que ceux évoqués ici, proposant une voie de consensus autour d’actions de pédagogie, ne manqua toutefois pas de provoquer un double abasourdissement de l’élue apparentée LREM, Lara Million : « je suis abasourdie ! » ; « je suis abasourdie ! » [par la position des élus de gauche].
En conséquence directe de son abasourdissement, elle se hâta de prononcer une leçon de choses, où elle fustigea les affreux et loua le combat « contre toutes formes de racisme, xénophobie, discrimination, qui doivent être partagées par toutes et tous ».
Et acheva son numéro par un « évidemment nous voterons cette motion ». Nous en restons abasourdis !
Ce sinistre jeu de postures patelines s’acheva alors en triomphe visio-électoralo-électronique de pacotille. Car qui peut sérieusement penser que quelque chose d’utile contre l’antisémitisme et le racisme en émergera ?

Mais pour illustrer les effets délétères de la confusion entretenue par les gouvernements français (et des institutions telles que le CRIF), entre antisémitisme et antisionisme, il était en revanche utile de faire réémerger que douze personnes, dont onze mulhousiens, se sont extirpés il y a peu d’un terrifiant marathon judiciaire qui aura duré près de 10 ans, ce qu’a rappelé l’élu d’opposition Joseph Simeoni.
Une épreuve au détour de laquelle deux juridictions françaises (dont la Cour de Cassation) ont cru nécessaire de déclarer coupables des militants et militantes, dont le crime était d’avoir appelé au boycott de produits israéliens manufacturés en territoire occupé palestinien.
Le 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme, rendait dans un arrêt rendu à l’unanimité des 7 juges, que : « La condamnation pénale des militants qui ont participé à la campagne BDS (boycott désinvestissement, sanctions) de boycott des produits importés d’Israël n’a pas reposé sur des motifs pertinents et suffisants et a violé leur liberté d’expression ».
Tentant d’assimiler des défenseurs de la cause palestinienne à des antisémites de la pire espèce, la justice française qui a déféré ces militants devant les tribunaux, devait se résoudre à ce qu’un boycott soit réputé légal dès lors qu’il ne valorise pas la violence, la haine, la xénophobie et toutes les formes de racisme.
Et dès lors qu’il s’inscrit dans un discours politique et militant dénonçant une politique gouvernementale contraire aux droits et aux libertés, dans le contexte d’un débat d’intérêt général.
De la même manière que la municipalité a omis ce jeudi soir de soutenir le vœu du groupe « Mulhouse cause commune », en solidarité avec le peuple Ouigour (de confession musulmane), martyrisé depuis des années par le régime chinois (pas assez local, selon Jean Rottner), on oubliera également que la principale opposante au texte contre l’antisémitisme proposé par l’IHRA, que vient d’adopter la municipalité mulhousienne, est la Ligue des Droits de l’Homme.
Créée le 4 juin 1898 par le républicain Ludovic Trarieux, à la faveur de la lutte contre un antisémitisme militaire et institutionnel français, visant le juif alsacien… Alfred Dreyfus.
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